Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,
Nouvelle étape majeure pour la Poste avez-vous dit, Madame la Ministre, en effet. Ce texte est la suite logique tout d’abord de la loi de 1990 qui a modifié le changement de statut de la Poste, puis d’une première directive européenne en 1997 qui a ouvert à la concurrence le secteur postal. Nous avons, pour ce qui concerne notre groupe, dès les premiers instants donné un avis négatif à ces transpositions.
Le projet de loi présenté aujourd’hui concerne la mise en œuvre de la directive 2002. C’est donc un pas supplémentaire dans le processus de libéralisation qui nous est proposé.
La machine de guerre contre les services publics est de nouveau à l’œuvre et prend pour cible la Poste, comme elle s’en était prise à Air France et à France Télécom, comme elle va prochainement s’attaquer à EDF.
Votre gouvernement, depuis son arrivée, est pris d’une telle fièvre, qu’il détruit tout ce qui pourrait ressembler à du public, avec une telle rapidité et un tel systématisme, qu’on pourrait se demander d’où vient cet acharnement.
C’est à un pilonnage en règle auquel nous assistons et jamais notre pays n’avait connu de telles destructions sur le plan économique.
Bien au contraire, y compris dans des périodes difficiles où il fallait relever le pays des décombres, nos prédécesseurs avaient eu la volonté politique au sortir des années noires, de construire des services publics efficaces pour satisfaire les besoins de nos concitoyens, dans des conditions financières particulièrement précaires, en faisant preuve d’innovation, d’intelligence et d’humanité.
Vous vous attaquez à la Poste, parce qu’elle est l’exemple même d’une présence de l’Etat sur tout notre territoire, par ses bureaux, le lien étroit qu’entretiennent l’ensemble de ses agents avec la population, parce qu’elle représente un espace, non marchandisé, qui pourrait servir d’exemple à d’autres développements économiques.
Vous voulez remplacer la notion de service public par celle de service universel qui n’est en fait qu’un service à minima. Le service public considère que tous les citoyens sont à égalité de droit, vous, vous constituez deux catégories de citoyens pour un système à deux niveaux.
Pour cela, vous utilisez toujours la même arme : c’est la concurrence. C’est par elle, que les différents secteurs, y compris à l’interne, se mèneront une guerre sans merci, avec pour seul objectif : une meilleure rémunération des actionnaires et tenter d’obtenir le leadership européen en menant une véritable guerre de position.
Pour y parvenir, vous en connaissez les moyens : ceux-là même qui ont mené à la disparition de 30 000 emplois dans ce secteur au Royaume Uni, ou qui ont fait passer les effectifs de la Poste allemande de 400 000 à 300 000 employés et qui selon vos objectifs devraient ramener le nombre de bureaux en France de 17 000 à 6000 et ne remplacer que la moitié des 140 000 départs en retraite d’ici 2012.
La privatisation est déjà bien présente dans le groupe La Poste où le mode de gestion s’inspire directement du privé :
- par une recherche systématique des coûts les plus bas,
- par la suppression massive des bureaux de Poste,
- par la précarisation de l’emploi et par la réorganisation des circuits d’acheminement.
La rentabilité financière devient le maître mot et ne peut se développer que par
la pression sur les salaires, 90% des contractuels perçoivent moins de 1200 euros par mois,
-la dégradation des conditions de travail, une « commission stress » a d’ailleurs, été créée, constatant un nombre croissant de dépressions,
-l’explosion de la précarité ( 1 emploi sur 3 est précaire, voir à temps partiel).
- la diminution de la qualité de réponse en terme de service aux usagers.
Certains d’entre vous, mes chers collègues, sont fascinés par le modèle allemand qui gère 7000 bureaux et est présent dans 5000 points de vente. Mais aujourd’hui les exigences de rentabilité ont été placées à un tel niveau dans ce pays, que des points de vente, disparaissent et que la continuité du service n’est plus assurée.
C’est un système à deux vitesses qui se met en place, géographiquement mais aussi socialement puisque les gros clients sont privilégiés dans le traitement du courrier.
Madame la Ministre, la frénésie avec laquelle le gouvernement mène cette politique d’ouverture à la concurrence vous aveugle à tel point que vous ne prenez même pas le temps de vérifier ce qui se passe ailleurs.
La panne d’électricité aux USA l’été dernier n’est pas seulement technique, la faillite de Parmalat n’est pas un phénomène isolé, elle survient après Enron et bien d’autres… quelle catastrophe faudra-t-il pour que vous sortiez de ce dogmatisme qui vous anesthésie.
Un bilan de ces déréglementations est nécessaire :
Notre groupe a demandé qu’une commission d’enquête se mette en place pour réaliser ces bilans et tirer les conséquences de ces déréglementations sur l’emploi, la qualité des services, l’aménagement du territoire, la gestion des ressources naturelles et de l’environnement. Qu’attendez-vous pour y répondre favorablement ?
Vous-même, qui êtes favorables à cette culture de l’évaluation, pourquoi refusez-vous de l’appliquer à ce secteur de l’économie ? Auriez-vous la crainte d’être désavouée ? Pourquoi ne pas accepter que nos concitoyens puissent vérifier démocratiquement ce que vous faites de nos entreprises.
Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen disent çà suffit !
Madame la Ministre, cette politique libérale est dévastatrice pour notre pays !
Vous détruisez les services publics parce qu’ils sont un obstacle au développement du capitalisme mondialisé,
- parce qu’ils représentent une certaine conception de la société, qui va à l’encontre de votre philosophie,
- parce que les services publics participent au respect des droits de chacun, au respect d’un statut pour les salariés, au respect du bien commun, à plus de lien social et à plus de solidarité.
Cette mise en concurrence des hommes et des femmes ne sert qu’à renforcer tous les individualismes. Avec ce texte, vous transformez les usagers qui ont le droit d’accès en toute égalité, aux services publics, en clients qui ne pourront le faire qu’en fonction de leurs revenus.
Les services publics posent la question de la satisfaction des besoins de tous les citoyens ; avec la privatisation vous posez celle de la satisfaction des gros actionnaires, en mettant en avant la seule rentabilité.
Vous voulez à travers ces directives européennes que vous avez suscitées, récupérer toute parcelle de l’économie qui aurait pu échapper aux lois du marché et de la concurrence.
Madame la Ministre vous ne faites qu’appliquer l’essence même du traité de Maastricht en construisant une Europe libérale au service du capital. La Constitution Européenne pourrait ainsi parachever la destruction totale des services publics en inscrivant la concurrence comme système économique dans son texte.
Le projet de loi proposé aujourd’hui pour la Poste est un pas supplémentaire, dans la mise en œuvre de cette politique dogmatique qui ne voit que, par la concurrence comme « mode d’organisation unique des rapports entre les hommes ».
Votre souci est de trouver une adéquation entre la partie rentable des activités et la fraction solvable des consommateurs, pour faire fonctionner votre système ;
En fait, votre seul objectif est de livrer aux multinationales de nouveaux secteurs d’activités pour accroître leurs profits et ne laisser à la Poste que le fameux service universel qui est, bien entendu, la partie la moins rentable !
Mais comment sera financé ce service universel ? Un certain flou sur cette question est de nature à nous inquiéter et ce n’est pas dans trois ans qu’il faudra réagir.
Les pertes occasionnées par la distribution en zone rurale, qui répond au principe d’égalité de tous les citoyens, seront difficilement compensables. Elles le sont aujourd’hui par les excédents engendrés par le courrier dit « industriel », qui, dégageant des marges d’exploitation substantielles pourrait être cédé à des opérateurs externes.
Tout est mis en place pour mettre à bas l’édifice en sapant les fondations. La destruction est programmée en deux étapes : la première à partir de 2006, l’achèvement en 2009.
L’édifice particulièrement miné, par une série de filiales privées, verra son cœur de métier réduit à néant, et ses agents fonctionnaires voués à la disparition.
Vous tentez de camoufler l’opération sous des oripeaux technocratiques, mais la réalité est bien plus simple ; avec ce texte, le gouvernement est en fait le fossoyeur d’un outil qui pouvait se targuer d’une grande efficacité, doté d’un réseau incomparable dans aucun autre pays, et qui aurait pu se développer de façon innovante en s’appuyant sur ces potentialités.
Vous voulez nous faire croire Madame la Ministre que La Poste est vieillissante et que la privatisation pourrait aider à sa modernisation.
Or c’est à tout le contraire que nous assistons, partout où la libéralisation s’est installée.
Un semblant de régulation va être mis en place avec l’extension au secteur postal de l’ART prévue initialement pour les télécom. Mais une régulation pour quoi faire ? Pour distribuer les licences aux nouveaux opérateurs, et pour suppléer en grande partie à l’action du ministère. L’expérience que nous avons de l’ART devrait nous conduire à une certaine prudence !
Pensez-vous, un instant, que cette organisme a une réelle efficacité ?
Dans ce cas, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen aimeraient savoir quel a été son rôle lors des investissements incontrôlés de France Télécom à l’étranger ?
Comment se fait-il que cet organisme ne nous ait pas alertés suffisamment tôt pour éviter la dérive. Enfin pensez-vous que son action puisse devenir plus pertinente ?
Le conseil que cette autorité est censée donner devrait-il selon vous, nous amener à croire que son efficacité serait supérieure à celles d’autre pays européens.
Les catastrophes que ma collègue Marie-France BEAUFILS a évoquées il y a un instant, toutes, dues à des dysfonctionnements, liés au manque d’investissements, ou à des fraudes comptables ou fiscales, n’ont pas incité ces autorités de régulation à être plus perspicaces, et à signaler les risques encourus par ces sociétés !
On voit que cette structure aura un poids considérable au point que certains s’inquiètent déjà qu’elle puisse prendre le pas sur le politique !!!
Cette orientation révèle une volonté de désengagement de l’Etat, au profit d’un organisme, et conduit inexorablement à une libéralisation exacerbée ; l’ART pourra ainsi se substituer progressivement aux missions de l’Etat laissant le champ libre à toutes les dérives possibles. Madame la Ministre pouvez-vous nous dire alors ce qu’il adviendra du Contrat de Plan entre l’Etat et la Poste ?
Ce désengagement de l’Etat peut apparaître également dans la mise en place du fonds Postal national de péréquation, qui mobilisera des participations financières des collectivités territoriales.
Les craintes de la mise en place d’un système qui pourrait s’apparenter à celui des régions pour la SNCF sont réelles avec toujours le même objectif : celui de faire sortir complètement l’Etat de la Poste, pour mieux répondre aux critères de Maastricht, en faisant baisser les dépenses publiques, sachant que cela mènera très rapidement à une externalisation complète sur l’ensemble du secteur postal.
Tout cela confirme la forte volonté d’effacer tout ce qui est en relation et en connotation avec le service public.
Le démantèlement n’est jamais une opération positive, c’est un moyen de gérer dans la précipitation, c’est une forme d’éclatement qui n’a aucun fondement économique, et qui vous permet de faire disparaître une entité, lisible par tous et utile pour tous.
Madame la Ministre, vous nous dites être contre les monopoles ; certes nous avons compris que vous étiez surtout contre les monopoles publics. Car les exemples de libéralisations nous montrent partout que ce sont des monopoles privés qui prennent en général la relève. Mais cela ne peut être fait que pour vous satisfaire !
Comment seront traités les critères d’accessibilité et de présence territoriale ? Nous l’apprendrons par un décret en conseil d’Etat alors que c’est la question essentielle ; celle qui détermine l’égalité des droits des citoyens !
Les usagers ont toutes les raisons d’être très inquiets de l’aggravation que vous introduisez par cette loi.
En mettant en avant, les seuls critères économiques que vous n’appréciez qu’à l’aune de la rentabilité, vous occultez la première des missions de la Poste qui est celle du service rendu à la population !
Vous n’avez mené aucune concertation avec les intéressés, que sont les usagers, les ignorant mais veillant, bien entendu, à satisfaire avant tout, les intérêts des grandes entreprises.
Le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui est en pleine cohérence avec le contrat de plan signé entre la Poste et l’Etat. Les deux textes participent de la même logique, en s’appuyant sur les directives européennes.
Madame la Ministre le financement par l’Etat de l’acheminement de la presse par abonnement qui est maintenu jusqu’à 2004 sera-t-il prolongé au-delà ?
Rien ne nous l’assure et les tergiversations actuelles ne nous incitent pas à l’optimisme. La question dépasse la seule sphère financière, elle pose, celle des fondements même de notre démocratie, de la pluralité de la presse, et de l’existence indispensable d’une presse d’opinion.
La solution proposée passera-t-elle par des rapprochements entre des sociétés d’éditions de presse et des filiales de la Poste, ce qui nous semblerait plutôt de nature à privilégier certains secteurs de la presse en bonne santé économique, au détriment de la presse en général et de celle qui rencontre des difficultés, en particulier.
Les quotidiens sont en danger, tous les quotidiens !
Ils doivent faire face à des charges croissantes et à une baisse générale des produits publicitaires. Il y va de notre responsabilité de ne pas assister en spectateurs à ces disparitions de titres ;
L’Etat doit maintenir sa participation à l’acheminement de la presse, nous devons ici en être les principaux défenseurs.
Madame la Ministre la question de la démocratie ne peut être soumise aux seules règles de la rentabilité, notre presse est un élément fort du développement démocratique, la Poste doit pouvoir continuer à livrer les journaux avec l’aide de l’Etat.
Aujourd’hui La Poste existe par ses 17 000 bureaux répartis sur tout le territoire et concentre son activité majoritaire sur le secteur financier (près de 60% du chiffre d’affaire). Ce réseau est un atout extraordinaire qui pourrait permettre de développer ces activités et l’ouvrir à d’autres publics. On peut se demander, alors que tout le monde reconnaît son utilité, pourquoi cette volonté de l’amputer de 11 000 bureaux.
C’est la raison pour laquelle nous rejetons ce texte et toute nouvelle dégradation du service public, La Poste doit être maintenue et développée dans sa dimension sociale et citoyenne.
Nous rejetons ce texte, Madame la Ministre parce que nous nous opposons à la transformation des bureaux de poste en bureau de proximité, ou autres agences postales quand ce n’est pas l’installation dans des commerces de proximité.
Nous rejetons ce texte parce qu’il est un pas supplémentaire, dans la dégradation des conditions de travail des salariés et développera de nouvelles précarités, parce qu’il finalise la disparition des fonctionnaires. Nous pensons quant à nous que l’emploi et la qualification sont des atouts pour le développement de La Poste.
Nous rejetons ce texte parce qu’il ne tient aucun compte de l’avis des usagers qui sont les premiers concernés par les questions d’accessibilité au réseau postal.
Nous rejetons ce texte parce que nous sommes favorables à la construction d’une véritable entreprise publique qui prenne en compte les principes fondamentaux du service public.
Nous rejetons ce texte parce que nous sommes favorables au contrôle démocratique avec de nouveaux pouvoirs pour les salariés et les usagers ainsi que pour les élus.
Enfin nous rejetons ce texte Madame la Ministre parce qu’il fait partie de l’arsenal du gouvernement de destruction des services publics et que nous pensons qu’il faut stopper ce processus tant qu’un bilan public des privatisations n’aura pas été fait pour en mesurer les conséquences désastreuses.
Madame la Ministre, mes chers collègues, c’est pour toutes ces raisons que les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen vous demandent de vous opposer fermement à ce projet de loi qui mènerait à la perte notre service public postal.