Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
Nous voici réunis pour adopter dans sa forme définitive le projet de loi de « régulations des activités postales ».
Le débat parlementaire a apporté une modification notable par la création immédiate d’un fonds de compensation, initialement soumis à la remise d’un rapport au Parlement prévu en 2007 puis en 2005.
Cette modification montre bien l’insuffisance des dispositions initiales de la loi pour permettre à la poste d’assurer le service universel.
En effet, il est difficilement tenable, voire impossible de libéraliser le service postal, de mettre en concurrence la poste ses activités les plus rentables, tout en imaginant qu’elle puisse continuer à assumer le financement du service universel.
Mais, cette création ne règle pas vraiment le problème car la loi renvoit la création de ce fonds à un décret d’application qui serait pris sur demande de la Poste et après avis de l’ARCEP. Or, nous savons très bien le positionnement qu’adopte ce type d’autorité de régulation : elles ne favorisent pas le maintien de l’opérateur historique, mais mettent tout en oeuvre pour que la concurrence prospère, y compris au péril de la survie de l’opérateur historique.
Le Président de France Télécom le reconnaissait à sa façon, hier, devant la commission des affaires économiques en déclarant « qu’avec l’ART, la concurrence est choyée ».
En dehors de cette modification, la majorité est restée ferme dans sa volonté de livrer aux intérêts privés les activités postales, en dehors de toutes considérations d’intérêt général.
Je tiens à rappeler que la Poste, en tant que service public fondamental, devait rester soumise à certains principes comme le rappelait notre collègue rapporteur, Pierre Hérisson, en 1996, dans la proposition de résolution E474 où il considérait qu’un certain nombre de principes tels que l’universalité, l’égalité, la neutralité, la confidentialité, la continuité et l’adaptabilité comme éléments indissociables et complémentaires du service public.
Le sujet de cette résolution était la transposition d’une directive européenne relative au développement des services postaux communautaires et l’amélioration de la qualité du service.
Dix ans après qu’en est-il de ces bonnes intentions ?
En soumettant la poste aux seuls critères de rentabilité et de performance économique, vous privez le pays du service public qui représente l’intérêt général territorialisé, vous abandonnez les missions étatiques d’aménagement du territoire et de cohésion sociale.
Ce faisant, vous revenez sur les principes d’égalité d’accès aux services publics. En effet, avoir dans sa commune, un point poste, un agence postale communale, ou un bureau de plein exercice constitue une véritable différence pour les usagers, ou plutôt devrais-je dire les clients selon les nouveaux impératifs de gestion de cette entreprise publique. D’un côté nous avons du personnel qualifié et compétent et de l’autre, au mieux, de la bonne volonté. Il s’agit bien d’un service au rabais proposé pour maintenir la présence postale en milieu rural !
Comment seront fixées les règles d’accessibilité ? Je peine à croire que d’autres critères entreront en ligne de compte que le rendement du bureau de poste pour décider de son maintien. Les élus des territoire ruraux voient ainsi, un à un disparaître leur service public, renforçant le déclin de ces territoires et leur désertification.
Concernant, les critères d’accès au réseau postal de l’article 1er bis, la commission mixte paritaire a finalement retenu la proposition du Sénat en deuxième lecture, selon laquelle, sauf circonstances exceptionnelles, pas plus de 10 % de la population ne peut être éloignée de plus de 5 km et de 20 minutes d’un point d’accès au réseau postal.
Nous continuons à considérer qu’il s’agit d’une rupture, inscrite dans la loi, au principe d’égal accès et de continuité territoriale qui exclut 10% de la population du bénéfice d’une présence postale de proximité. D’autre part, la formulation « sauf circonstances exceptionnelles » laisse la porte ouverte à toute dérive.
Parallèlement, vous persévérez dans votre volonté de filialiser les services bancaires assumés par la poste en créant la banque postale, une banque comme les autres, qui ne se souciera guère de tous ceux qui sont exclus du système classique, parce qu’ils ne rapportent pas assez. De plus, selon un rapport du sénat, il est affirmé que la poste n’a pas vocation à détenir l’ensemble du capital de sa filiale.
Cette ouverture se fera par une décision du gouvernement, sans consultation du Parlement. En votant cette loi, c’est en réalité le service bancaire postal que l’on brade aux intérêts privés, pour leur permettre une nouvelle fois de faire des profits rapides et maximaux. Or on vérifie chaque jour que la rentabilité économique s’obtient au détriment des usagers et des personnels.
Pour illustration, vous allez jusqu’à supprimer l’obligation faite à la poste d’ouvrir un compte d’épargne à toute personne qui le demande. Vous mettez ainsi fin au service public bancaire.
A l’inverse, nous vous proposions de créer un pôle public bancaire. Mais cette proposition qui vous dérange n’a jamais fait l ’objet d’un débat sérieux.
La mise en oeuvre de cette loi, associée au contrat de plan 2003/2007 annonce la fin de la péréquation, la possibilité pour les investisseurs privés de se saisir de secteurs financièrement intéressants et de ne laisser à la Poste que la partie la plus difficile de ses missions.
La direction de La Poste, elle même, sera donc contrainte d’appliquer de nouveaux critères de gestion pour permettre une meilleure rentablité de ses activités.
En effet, elle partira, par exemple, d’un bureau classé de plein exercice, déterminera une zone allant jusqu’à 12 km à la ronde (zone de vie) et fixera un seuil de rentabilité. Tout bureau qui n’atteint pas ce seuil sera transformé ou fermé.
Les concurrents vont se saisir des pans les plus rentables pour y offrir des prix plus attractifs, n’ayant pas à assumer les obligations de service public, alors même que la directive de 1997 permettait de les soumettre à des contraintes de service public et notamment de desserte de l’ensemble du territoire national.
Pour faire face, la poste devra encore fermer des bureaux, réduire les coûts... c’est une spirale de déclin et de recul qui est engagée.
La confiance des usagers dans la Poste s’est faite sur la bases des valeurs de la République. Votre loi est une atteinte au pacte républicain et aux principes de solidarité nationale.
Elle entraînera une remise en cause du statut, avec le recours accru au recrutement de contractuels et donc d’opérations de division des personnels...
La mise en concurrence des entreprises publiques avec des entreprises privées qui ne sont pas soumises aux mêmes charges ne peut que se solder par la mise en péril de la survie de la Poste.
En effet, on ne peut que s’interroger sur les moyens que mettra en oeuvre la poste pour gagner de nouveaux marchés, le marché du crédit n’étant pas extensible.
La poste a d’autres missions à remplir pour développer le service public et pour cela, elle a besoin de disposer d’un réseau étendu, contrairement aux préconisations de la cour des comptes qui nous annonce qu’« avec 2915 bureaux, la poste améliorerait considérablement la rentabilité de son réseaux car elle ne perdrait que 3,25 % de son chiffre d’affaire total tout en améliorant son résultat de 4 % ». Où se situe dans ces appréciations le souci de répondre aux besoins de la population ?
Comme je vous le disais plus haut, le Parlement tente d’améliorer la situation de La Poste en adoptant le principe de la création le fonds de compensation postal. Mais je crains qu’il ne s’agisse là d’un artifice, car au lieu de laisser à la Poste les moyens d’assurer la péréquation entre ces différentes activités pour assumer un service public de qualité, vous préférez libéraliser le marché en soumettant les nouveaux entrants à une taxe basée sur leur chiffre d’affaire réalisé pour la fourniture du service universel.
Encore conviendra-t-il de vérifier la création de cette taxe et la fixation de son montant.
Vous allez un peu loin en prônant les bienfaits du marché par la mise en concurrence tout en faisant croire que l’intérêt général tiendra à coeur aux nouveaux prestataires de service.
Nos propositions n’étaient évidement pas celles là. Pour les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen, il fallait financer ce fonds avec une taxe dont l’assiette était basée sur les revenus financiers des nouveaux opérateurs, donc de l’ensemble de leurs revenus. En faisant un autre choix, vous privez ce fonds des ressources suffisantes à sa bonne activité.
Vous nous répondrez comme d’habitude, que le gouvernement n’a fait que son devoir en transposant la directive de 1997.
Pourtant vous allez beaucoup plus loin que ce que propose la directive. Ainsi vous désaisissez complètement le pouvoir politique de toute intervention dans ce domaine en créant une autorité de régulation. Celle-ci est dôtée de compétences très importantes, et notamment celle du contrôle de la bonne éxecution du service public, dont les missions seront définies par décret pris en Conseil d’Etat.
Il appartient pourtant au Parlement, représentant de la nation, de se prononcer sur les moyens accordés à l’action publique et sur les règles auxquelles elle est soumise. Encore une fois, la représentation nationale est contournée.
Il est vrai qu’avec le projet de constitution européenne que l’on nous propose d’adopter cette tendance sera renforcée. Ce type de loi sera effectivement la conséquence directe du traité, toute autre politique que celle de libéralisation et de mise en concurrence ne sera plus possible.
Pourtant, à l’aube du XXIème siècle, les besoins en termes de solidarité et d’égalité sont immenses. La mise en oeuvre de service public performant économiquement, socialement et humainement correspond à une réponse pertinente.
Le véritable travail parlementaire serait celui de définir mieux ces besoins, d’y apporter des solutions et des réponses, de ne pas se résoudre, par choix idéologique, à abandonner toute initiative de l’Etat.
Bref, abandonner la mission étendue du service public postal est un recul sans précedant pour la société tout entière, les sénateurs du groupe Communiste, Républicain et Citoyen ne peuvent s’y résoudre et c’est pour cette raison qu’ils voteront contre ce projet de loi.