Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une bonne part de l’activité économique est étroitement dépendante de la tenue de la consommation populaire, et je ne peux évidemment manquer de commencer cette intervention sans revenir, de ce point de vue, à quelques aspects essentiels.
La récession dans laquelle est plongé notre pays depuis plus d’un an trouve une bonne part de ses origines et de ses prolongements dans la situation du pouvoir d’achat des ménages, que deux années de présidence Sarkozy n’ont manifestement pas permis de renforcer. La prégnance du chômage, le recours de plus en plus massif aux bas salaires, la précarité renforcée, le ralentissement de l’activité et ses corollaires - périodes de chômage technique, plans sociaux, etc. - sont autant de facteurs installant la France dans une crise durable.
Les prévisions de récession formulées par le Gouvernement lui-même - une contraction de 3 % du PIB pour 2009 - attestent de la grave situation dans laquelle se trouve notre pays.
La croissance molle de 0,5 % prévue pour 2010, inférieure au potentiel du pays et largement insuffisante pour éviter plusieurs centaines de milliers de chômeurs de plus, procède, quelque part, de l’autosuggestion.
Ce qui est en cause dans cette affaire est bel et bien un mode de fonctionnement économique qui a accordé la primauté à la rémunération du capital au détriment de celle du travail et qui a négligé le développement économique durable et équilibré au profit des seuls créneaux les plus immédiatement porteurs de plus-values financières.
Sans doute allez-vous me demander ce qu’un tel discours macro-économique vient faire dans un débat consacré au droit de la consommation, notamment à la manière dont les contrats de prêt accordés aux particuliers seront rédigés à compter de la promulgation du présent texte.
En l’occurrence, il convient de rappeler d’emblée deux éléments. D’abord, comme je viens de l’indiquer, on ne peut pas évoquer le crédit et la consommation indépendamment du contexte économique général, sauf à réduire la portée du sujet dont nous débattons. Ensuite, le crédit est précisément l’un des éléments moteurs de l’économie ; les conditions dans lesquelles il est distribué sont déterminantes pour l’activité et la croissance.
Notons d’ailleurs quelques faits.
Au cours des dernières années, une bonne part de la croissance aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne a été fondée sur le développement du crédit, donc sur l’endettement des entreprises et des ménages.
Mais ceux qui vantaient le modèle de croissance américain ou britannique oubliaient soigneusement de nous rappeler que, dans les deux pays concernés, les ménages, par ailleurs soumis à la précarité des conditions de travail, étaient endettés au-delà du possible, notamment au-delà de leur revenu disponible. Et cette fuite en avant dans l’endettement, si elle était porteuse d’activité dans un premier temps - c’était le cas, pour aller un peu vite, dans le bâtiment, chez Wal-Mart ou chez Woolworth -, était également source de crises futures, à l’image de celle que nous avons pu constater lorsque la dette des ménages américains s’est muée en crise des subprimes.
Au demeurant, la récession qui frappe les États-Unis comme le Royaume-Uni est encore plus forte que celle à laquelle notre pays est confronté, et le nombre d’emplois supprimés y est plus élevé qu’en France.
Toutefois, le Gouvernement devrait éviter de s’attribuer le mérite d’une telle situation. Ces résultats valident non pas son action, mais juste le fait que des décennies de luttes populaires ont conduit à créer un système de protection sociale dans notre pays, système qui sert aujourd’hui de puissant amortisseur à la crise.
Et ces mêmes luttes sociales ont contribué à installer dans notre pays un droit du travail suffisamment « rigide » pour que l’usage du licenciement intervienne seulement en dernier recours. Les pays où le marché du travail est plus « souple », selon les termes de quelques économistes libéraux, sont aussi ceux où la souplesse se traduit aujourd’hui par des licenciements massifs.
Cela étant, le crédit et l’endettement des ménages qui en découle participent pleinement de la croissance et de l’activité économique en général.
La remarque vaut également pour le crédit accordé aux entreprises, puisque sa raréfaction a causé un accroissement sensible des procédures collectives de redressement et de liquidation d’entreprises au cours de ces derniers mois.
Il faut dire que, préoccupées par leurs créances douteuses et parfois invisibles au premier abord, les banques de notre pays ont commencé par tenter de reconstituer leurs marges avant de penser à leur métier essentiel : favoriser le financement de l’économie.
Ainsi, les ménages français ont échappé à la situation dramatique de leurs homologues américains et britanniques - le peu de succès de l’hypothèque rechargeable, pourtant promue par le Gouvernement, et du crédit hypothécaire en général en témoigne -, mais un certain nombre d’entre eux ne sont pourtant pas à l’abri des difficultés. Je pense en particulier aux ménages surendettés, dont le projet de loi vise à éviter au maximum l’accroissement et pour lesquels il essaie de définir les voies et moyens de solutions admissibles, à travers la transposition d’une directive européenne datant du mois d’avril 2008, donc antérieure à la date officielle de naissance de la crise financière de cet automne.
Ce surendettement résulte, pour une bonne part, du recours grandissant au crédit à la consommation et, plus encore, au crédit non affecté, que l’on appelle dans un mauvais franglais le « crédit revolving » et que nous aurions tendance à dénommer le « crédit revolver ». (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
En effet, comment expliquer que, pour faire face aux dépenses de la vie courante, des ménages salariés soient contraints de souscrire des crédits de cette nature, parfaitement non affectés et dont le coût consomme une part importante de leurs ressources ?
Pour en revenir au départ, précisons d’emblée que cela provient largement de la modicité et de la faiblesse des ressources des ménages.
Des années de modération salariale, fortement encouragées par des politiques publiques malthusiennes, font sentir leurs effets aujourd’hui. Un salarié sur sept est actuellement payé au SMIC. Comme les dépenses liées au logement ont dans le même temps progressé pour devenir le premier poste budgétaire des ménages, ce qui reste se révèle bien souvent insuffisant pour faire face au quotidien.
Mais il n’y a pas que cela.
Il y a également une forme de « mal-croissance » de l’économie, largement fondée sur la sollicitation des besoins, sur l’agressivité de la publicité et sur les pratiques commerciales de fidélisation de la clientèle, c’est-à-dire sur tout un ensemble de stratégies de marchandisation qui appellent, en corollaire, la pratique généralisée du crédit.
Dans nombre de grandes enseignes de la distribution de notre pays - en fait, dans toutes -, on peut aujourd’hui disposer d’une carte de fidélité qui est en réalité - cela a déjà été souligné - une carte de crédit, puisqu’elle consiste à faire en sorte que le paiement de la baguette de pain ou du kilo de pommes de terre devienne objet de crédit !
Ne parlons pas plus longuement des méthodes consistant à proposer systématiquement des crédits gratuits aux clients des magasins d’ameublement ou de matériel informatique, méthodes qui permettent juste aux enseignes de transférer les données personnelles du client à l’organisme de crédit - lui n’est pas gratuit ! - avec lequel elles ont l’habitude de « travailler ». Cela vaut évidemment audit client de recevoir par toutes les voies possibles - courrier postal, internet ou relances téléphoniques - des messages réguliers à caractère informatif, avec pour seul objectif de l’amener à souscrire un nouveau prêt pour acquérir un bien meuble plus « consistant ».
De fait, le crédit est devenu un élément pivot des pratiques de vente de nombre d’acteurs du secteur commercial. Dès lors, on peut presque se demander s’il n’est parfois pas plus essentiel que la diffusion et la distribution des produits matériels ou des services, c’est-à-dire la raison d’être de ces acteurs.
Combinée à des pratiques d’approvisionnement qui ne sont pas nécessairement compatibles avec la préservation de la planète, une telle contamination des activités commerciales par l’usage abusif du crédit amène pratiquement au pire des modèles de développement économique, sans parler des conditions léonines imposées à la sous-traitance et aux fournisseurs, dont l’actuel conflit sur les produits frais, notamment les produits laitiers, est une illustration.
Il est grand temps que les pratiques agressives et souvent assez peu responsables des grandes enseignes commerciales en matière de crédit soient un peu plus réglementées. Ce texte, s’il est correctement rédigé, peut y contribuer.
Nous ne pouvons pas laisser des ménages s’endetter simplement parce qu’ils ont dans leur portefeuille une carte de fidélité qui s’apparente parfois à une carte d’embarquement pour l’enfer de l’endettement ou telle ou telle carte « privilège » privilégiant seulement la rentabilité de celui qui la distribue !
Il faut également s’interroger sur le surendettement lié à la pratique de taux d’intérêt particulièrement élevés.
Pour le moment, les règles déontologiques en matière de crédit à la consommation, que le présent projet de loi entend renforcer, ne portent pas sur le niveau des taux d’intérêt pratiqués.
Un tel manquement se relève immédiatement dans certaines publicités alléchantes, qui évoquent des taux particulièrement bas, et même parfois nuls, mais pour de courtes périodes suivies d’un retour immédiat aux taux les plus élevés possible, sans espoir de rétractation.
Une telle démarche nécessite de soulever quelques questions. Comment justifier que le crédit à la consommation soit assorti d’un taux de 15 % à 20 %, ce qui est énorme au regard des sommes empruntées, même si cela représente peu en montant nominal, sachant que 93 % des crédits accordés ne donnent lieu à aucune difficulté de paiement et de remboursement et que le risque de créance irrécouvrable semble devoir porter sur seulement 2 % des cas ? Comment se constituent, se structurent de tels taux d’intérêt ? En vertu de la rémunération ou de la prévention de quels risques de telles pratiques voient-elles le jour ?
Avec la crise, les taux bancaires ont connu une sensible décrue, à commencer par le taux directeur de la Banque centrale européenne, qui s’établit aujourd’hui à 1 %.
Les banques françaises trouvent aujourd’hui de telles conditions de refinancement qu’elles utilisent de moins en moins la « réserve d’argent » disponible - vous voyez que le crédit cher n’est pas forcément une bonne chose - constituée par les ressources de la Société de financement de l’économie française, laquelle a pourtant été dotée d’une capacité de 320 milliards d’euros par le collectif budgétaire du mois d’octobre dernier.
Mais les crédits à la consommation, qui sont diffusés par des services spécialisés étroitement liés aux établissements bancaires, continuent de surfer sur des vagues de taux d’intérêt particulièrement élevés.
Ces taux finissent évidemment par poser problème aux ménages confrontés, eux, au gel du traitement des fonctionnaires et à la modération salariale dans le secteur privé, doublés de la généralisation des périodes de chômage technique. Cela pèse en outre sur la croissance : la consommation populaire ne peut plus venir autant au secours d’exportations défaillantes ou du ralentissement de l’investissement dans les entreprises.
Si le crédit est nécessaire à l’activité économique, il ne peut pas avoir vocation à la « vampiriser », au risque de voir son coût absorber une part croissante de la richesse créée par le travail de la valeur ajoutée produite.
Revenir à une situation plus conforme aux intérêts du pays et de ses salariés impose d’aller plus loin que ne le fait ce texte dans la responsabilisation et la maîtrise d’un tel outil de financement de l’économie.
Nous avons fait le choix de déposer sur le texte un nombre relativement important d’amendements, largement inspirés par les réflexions et l’action des associations de défense des consommateurs et répondant aux préoccupations que nous avions nous-mêmes au départ.
Notre vote final dépendra du sort qui sera réservé à nos amendements et de la manière dont le projet de loi sera finalement rédigé. Mais notre position a priori n’est nullement favorable à ce texte, qui nous semble largement insuffisant.