Quels moyens pour le développement du transport fluvial ?

Agence nationale des voies navigables (deuxième lecture)

Publié le 11 janvier 2012 à 08:54 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici quasiment parvenus au terme du processus législatif, s’agissant du projet de loi relatif à Voies navigables de France. Force est pourtant de constater que, malgré des débats nourris, ce texte ne règle toujours pas la question essentielle, celle des moyens consacrés au développement du transport fluvial et de la voie d’eau.

Ainsi, nous regrettons que ce projet de loi se borne à traiter de questions organisationnelles, sans réellement aborder la problématique des missions de la nouvelle agence, ni celle de ses moyens humains et financiers. Il a en effet quasiment pour seul objet de regrouper au sein d’une même entité juridique les 400 salariés de droit privé de Voies navigables de France et les 4 400 agents de droit public qui travaillent principalement dans les services de la navigation.

Ce texte, dont la rédaction initiale avait été très mal accueillie, fait suite à deux protocoles d’accord, en date du 24 juin et du 1er juillet derniers, signés entre les syndicats et le Gouvernement et posant le principe de la réunion des personnels au sein d’une nouvelle agence. Ces protocoles d’accord ont marqué des avancées significatives, en amenant une modification de la nature même du projet de loi initial, qui, disons-le clairement, visait tout simplement à externaliser les missions de l’État en vue d’une privatisation à terme des services de la voie d’eau.

Nous pensons que ce texte doit s’inscrire dans le respect du dialogue social mené entre les syndicats et le Gouvernement. Si, d’un point de vue juridique, les parlementaires ne sont bien évidemment aucunement tenus par ces protocoles, ils se doivent moralement de respecter le compromis qui les sous-tend.

De ce fait, nous continuons de regretter que le Sénat ait fait le choix, lors de la première lecture, de rétablir l’appellation « Voies navigables de France », contrairement à ce que prévoyaient les protocoles d’accord. Symboliquement, cela augure mal, pour les agents de l’État, de leur intégration au sein du nouvel établissement : ils peuvent en retirer l’impression d’être purement et simplement aspirés par l’ancien VNF.

À l’Assemblée nationale, il a été proposé de transférer le domaine fluvial de l’État à la nouvelle agence, ce qui allait là aussi à l’encontre des protocoles d’accord. Heureusement, grâce à l’adoption d’un amendement de notre collègue Daniel Paul, cette tentative a échoué.

De manière plus positive, nous estimons que, dans sa rédaction actuelle, le texte respecte les protocoles d’accord en ce qui concerne les dispositions ayant trait aux personnels de la nouvelle agence : il maintient le principe de la création d’un comité technique unique obligatoire après un délai de deux ans. Celui-ci sera composé d’une formation représentant les personnels de droit public, d’une formation représentant les salariés de droit privé et d’une formation plénière compétente pour les questions communes aux deux catégories d’agents. L’introduction par l’Assemblée nationale de la personnalité juridique pour la formation représentant les personnels de droit privé constitue une exception au regard de ce qui se pratique aujourd’hui, mais cela ne pose pas de problème majeur.

Nous saluons le fait que, malgré les déclarations de certains parlementaires, l’Assemblée nationale et le Sénat aient fait le choix de conserver à l’établissement le statut d’établissement public administratif, conformément à ce que prévoyaient les protocoles d’accord. Ce choix nous semble cohérent avec les missions d’intérêt général dévolues à l’agence, ainsi qu’avec les missions de réglementation et de police de navigation qui lui sont confiées.

En ce qui concerne les missions, nous regrettons que les députés aient restreint aux seules opérations d’aménagement l’application de la condition que les filiales créées par VNF ou les sociétés faisant l’objet d’une prise de participation soient à capital majoritairement public. Il nous semblerait préférable d’en revenir à la rédaction qui avait été adoptée au Sénat sur proposition conjointe du groupe CRC et du groupe socialiste.

Nous prenons acte de la création d’une organisation interprofessionnelle de la filière fluviale, même si nous aurions préféré que soit mis en place, comme nous l’avions proposé en première lecture, un comité d’usagers disposant de compétences claires pour formuler des propositions de prescriptions réglementaires s’imposant au gestionnaire de la voie d’eau, aux gestionnaires des ports et aux collectivités riveraines en matière d’hygiène et de sécurité pour les navigants.

Comme je l’ai annoncé au début de mon intervention, nous regrettons avant tout l’absence de toute référence aux moyens de relancer la voie d’eau conformément aux engagements du Grenelle de l’environnement.

Ainsi, alors que le préambule du protocole d’accord du 24 juin 2011 prévoit bien que 840 millions d’euros seront investis sur la période 2010-2013 pour la mise en sécurité, la modernisation et le développement des voies navigables, sur un total estimé à 2,5 milliards d’euros d’ici à 2018, nous craignons que les montants réellement engagés ne soient pas à la hauteur de ces prévisions, d’autant que les ressources propres de l’établissement seront amputées du fait du plafonnement de la taxe hydraulique.

Nous sommes encore très loin d’un véritable plan-programme pour le développement d’un réseau national fluvial qui permettrait réellement aux chargeurs d’utiliser la voie d’eau plutôt que la route. Cela est bien dommage, car le rééquilibrage modal est une exigence politique, économique et environnementale incontournable.

Sur le fond, pour que ces missions d’intérêt général puissent être remplies, nous estimons qu’une maîtrise publique de l’infrastructure de transport fluvial, adossée à des moyens financiers publics suffisants, est nécessaire. Nous refusons donc que le jeu de la valorisation foncière permette à VNF de compenser le désengagement de l’État, comme c’est le cas, dans le secteur du transport ferroviaire, pour Réseau ferré de France. Or le contenu du contrat d’objectifs et de performance de VNF nous fait craindre un accroissement du recours à cette valorisation, puisqu’est préconisé « un développement des recettes soit par le développement de projets immobiliers sur le domaine, à l’instar de port Rambaud à Lyon, soit par une politique de cessions ».

Par ailleurs, nous désapprouvons la décision du Gouvernement de ne plus recruter des ouvriers des parcs et ateliers, au prétexte du transfert qui a été opéré au profit des départements par la loi de 2009.

À cet égard, par un avis émis le 23 novembre dernier, le Conseil économique, social et environnemental a demandé la suspension de l’application de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, et une évaluation globale des moyens des politiques publiques. Cela suppose, dans le domaine de la voie d’eau, d’inverser la logique de réduction des emplois à hauteur de 271 équivalents temps plein, le seul projet de loi de finances pour 2012 prévoyant d’en supprimer 84.

Il apparaît ainsi, en creux, que l’objectif premier de cette réforme organisationnelle reste la réduction des coûts par le biais d’une rationalisation du nombre de postes, au rebours de l’ambition affichée de relancer la voie d’eau. Ainsi, le contrat d’objectifs et de performance indique clairement qu’« il convient d’accompagner les gains de productivité nécessaires pour satisfaire aux objectifs de réductions d’emplois arbitrés par l’État dans le cadre de la RGPP, sur la période 2011-2013 ».

En ce sens, le présent projet de loi s’intègre dans la logique d’austérité qui enferme chaque jour davantage notre pays dans la crise.

Nous sommes encore très loin d’un véritable plan-programme pour le développement d’un réseau national fluvial qui permettrait réellement aux chargeurs d’utiliser la voie d’eau plutôt que la route. Cela est bien dommage, car le rééquilibrage modal est une exigence politique, économique et environnementale incontournable.

Mireille Schurch

Ancienne sénatrice de l'Allier

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