Projet de loi d’orientation sur l’énergie

Publié le 9 juin 2004 à 21:46 Mise à jour le 8 avril 2015

par Odette Terrade

Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,

Nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, obligation de faire face à une consommation d’énergie dont tout porte à croire qu’elle demeurera globalement croissante, ou encore impératif de diversifier et de garantir nos approvisionnements dans un contexte de tensions géopolitiques et d’épuisement des ressources fossiles…

On mesure l’ampleur des contraintes, accrues et parfois contradictoires, avec lesquelles notre pays, à l’unisson du reste du monde, est désormais tenu de composer pour définir une politique de l’énergie digne de ce nom.
Il n’est pas besoin de rappeler que notre groupe a toujours été favorable à une politique prospective de l’énergie. Pour nous, une telle politique, se doit de satisfaire prioritairement les objectifs d’aménagement du territoire, d’indépendance énergétique et de péréquation tarifaire.

Aussi, lorsqu’a été annoncé le dépôt sur le bureau de notre assemblée d’un projet de loi d’orientation sur l’énergie, nous osions espérer qu’il traduirait un réel volontarisme politique. D’ailleurs, l’examen d’un tel texte semblait, il y a encore quelque mois compromis. Mais la déroute électorale des régionales ainsi que la force du mouvement social ont fini de convaincre le gouvernement que le débat national lancé par Nicole Fontaine ne pouvait pas se conclure sans l’intervention du Parlement.

Cependant, je peux vous annoncer d’ores et déjà que nous voterons sans état d’âme contre son adoption. Deux raisons justifient amplement ce choix.
Première raison : le hiatus entre la multiplicité des objectifs formulés et l’extrême pauvreté des moyens débloqués pour les atteindre, est particulièrement préoccupant. La plupart des grands enjeux précédemment évoqués sont certes abordés. Néanmoins, les réponses envisagées, faute d’être assorties d’une obligation de moyens, ne sont manifestement pas à la hauteur. Les objectifs chiffrés, bien rares au demeurant, apparaissent fantaisistes au regard de l’action menée par le gouvernement depuis juin 2002.

A bien des égards, on est en droit de se demander si ce projet de loi n’a pas une portée essentiellement médiatique. Comment ne pas penser au mot du politologue Jean-Marie Cotteret pour qui « gouverner, c’est paraître » ou encore à la fameuse phrase « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent » attribuée au Président de la République ? En effet, les articles 1er à 1 quinquies s’apparentent à une collection de bonnes intentions. Or, cela ne fait pas une politique.
Pour étayer ce propos qui peut sembler exagérément sévère - mais sachez mes chers collègues que cette sévérité est proportionnelle à notre déception - il me semble indispensable d’évoquer quelques exemples significatifs.

Premier exemple : l’objectif de garantir l’accès de tous les citoyens à l’énergie et, en particulier à l’électricité, est réaffirmé. Le texte proposé nous rappelle que l’énergie n’est pas un bien comme les autres. Le gouvernement n’est pas loin de reprendre le slogan des militants altermondialistes pour lesquels « le monde n’est pas une marchandise ». Pourtant, lorsque l’on examine le texte issu des travaux de l’Assemblée Nationale, aussi bien que le contenu de l’amendement n°4 du rapporteur, on s’aperçoit que les 5 alinéas qui déclinaient cet objectif dans l’annexe du projet de loi initial ne sont plus que 2 ! Et comme par hasard, la référence à la péréquation nationale des tarifs de l’électricité a disparu.

Les députés communistes et républicains ont proposé par un amendement de rétablir le texte initial de l’annexe. Rien de bien révolutionnaire, me direz-vous. Las ! Ils ont essuyé un refus tout aussi brutal qu’incompréhensible.
Pour justifier leur choix de liquider la référence à la péréquation tarifaire le rapporteur et le ministre se sont contentés de prononcer le mot : « défavorable ». Cela se passe de commentaire !
Deuxième exemple : les énergies renouvelables.

A ce niveau, on nous promet presque le grand soir ! Cependant, comment peut-on prétendre porter la production d’électricité d’origine renouvelable à 21% de la consommation intérieure d’électricité totale à l’horizon 2010 tout en acceptant l’adoption d’un article additionnel (en l’occurrence l’article 8 bis) qui, en disposant que les permis de construire sont délivrés après avis conforme de la commission des sites, semble devoir signer l’arrêt de mort des éoliennes ?
Comment peut-on mettre la barre aussi haut et dans le même temps réduire les moyens budgétaires des organismes de recherche ?
Indéniablement, ce texte regorge de paradoxes.
Troisième exemple, qui n’est pas sans lien avec le précédent, l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 3% par an. Encore une fois, peut-on vous prendre au sérieux ? Peut-on accorder ne serait-ce qu’un minimum de crédibilité à une déclaration au caractère manifestement incantatoire ?

La réalité de la politique gouvernementale prouve que la principale priorité n’est pas de renforcer la lutte contre l’effet de serre. Loin de là !
Rien, absolument rien, n’est mis en œuvre concrètement, en matière de transport, pour rompre avec le « tout routier » et autoroutier. C’est un comble lorsque l’on sait que le transport est responsable du tiers des émissions de CO2 et que toutes les prévisions tablent sur une croissance du trafic.
Les quelques mesures très concrètes qui ont été prises contreviennent ostensiblement au discours officiel qui se veut volontiers rassurant.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2004, le gouvernement a décidé de supprimer les lignes budgétaires consacrées aux subventions pour les transports en commun en site propre. Cette annonce a fait l’effet d’une bombe. Le président de l’UMP lui-même s’en est ému, c’est dire ! La suppression de ces concours financiers indispensables à la réalisation d’investissements en faveur du développement des transports en commun est une aberration économique et environnementale. Avec de telles mesures, il est totalement vain de prétendre inciter nos concitoyens à laisser leur automobile au garage.

Par le biais de cette même loi, le gouvernement a fait le choix de relever le montant de la Taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers applicable au gazole.
A l’époque, Francis Mer et Alain Lambert, auditionnés par la commission des finances, juraient que cette mesure était inspirée par des préoccupations environnementales.

Une telle hypocrisie n’a trompé personne.
Au moment même où le tarif de la TIPP était relevé (avec pour effet d’augmenter le prix du litre à la pompe de 3 centimes d’euros), le texte gouvernemental prévoyait non seulement de maintenir mais encore d’accroître le remboursement accordé aux transports routiers, dont l’activité contribue fortement à l’émission de gaz à effet de serre et autres rejets polluants. Bien évidemment, le souci de renforcer la protection de l’environnement n’était qu’un leurre destiné à légitimer une disposition résolument inique !

Le Titre Ier du projet de loi à sa manière est lui aussi symptomatique de cette volonté d’épargner le secteur des transports ; ce qui rend illusoire la poursuite d’un projet conséquent de diminution des émissions de gaz à effet de serre. Sur le principe même, la création d’un marché des certificats d’économie d’énergie, révélateur du caractère typiquement libéral de la démarche gouvernementale, est éminemment contestable.

Cette sinistre invention, qui n’est pas sans rappeler les élucubrations scientistes en vogue au 19° siècle, s’inscrit dans la droite ligne de l’ordonnance du 15 avril dernier portant création d’un marché des quotas d’émission de gaz à effet de serre. Le présent texte dispose que ces certificats d’économie d’énergie sont des biens meubles négociables. Dès lors, la solution la plus simple pour en acquérir consistera à les acheter. Cela signifie qu’à condition d’en avoir les moyens financiers, les personnes visées par l’article 2 du projet de loi pourront en acquérir tout en se dispensant de participer effectivement à l’effort d’économie d’énergie. Sans parler de morale, on est en droit de douter de l’efficience de ces mécanismes qui renvoient expressément au mythe du marché autorégulateur. En outre, compte tenu du fait que le secteur des transports est le plus gros consommateur d’énergie et que sa consommation de produits pétroliers est en forte croissance, il est absolument inadmissible de voir que pour l’essentiel ces consommations seront exemptées des efforts d’économie d’énergie. A nos yeux, le parti pris d’exonérer les fournisseurs de carburant de tout effort est injuste et cette injustice donne encore plus de poids à nos critiques portant sur la création d’un marché des certificats d’économie d’énergie.

Pour aller plus loin dans la démonstration de ce hiatus entre les ambitions affichées et les moyens mobilisés pour les atteindre, et toujours dans l’optique de démontrer le caractère irréaliste de l’objectif chiffré de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il est nécessaire de revenir sur les nombreuses études (en particulier le bilan prévisionnel de l’équilibre production/consommation pour la période 2006-2015 réalisé par le gestionnaire du réseau de transport d’électricité) qui révèlent que notre pays n’est pas suréquipé en moyen de production d’électricité. Des difficultés de fourniture sont à prévoir pour les périodes de pointe à partir de 2005 ainsi qu’un déficit de production à l’horizon 2009-2010, chiffré entre 4000 et 8000 MégaWatt.
Vous annoncez votre intention de laisser ouverte l’option nucléaire à l’horizon 2020 et à ce titre annoncez la réalisation du réacteur EPR afin d’assurer la continuité de production.

Vous savez, et les députés communistes et républicains ont eu l’occasion de le rappeler, que nous accueillons favorablement cette annonce. Convaincus que l’indépendance énergétique conditionne la maîtrise par les peuples de leur développement, et compte tenu du fait que chaque source d’énergie présente des avantages et des inconvénients, nous estimons que la diversité du bouquet énergétique est essentielle. A court terme les énergies renouvelables - malgré les bons résultats obtenus, notamment, en matière hydraulique, par la France - ne sont pas en mesure de répondre à tous les enjeux précédemment énumérés. Prétendre le contraire serait irresponsable tout comme il serait irresponsable de ne pas engager un effort soutenu en vue d’assurer leur développement.
C’est au nom de ce raisonnement que nous défendons la poursuite du programme nucléaire civil.

Malgré tout, il faut de 10 à 12 ans entre la décision de construire une centrale et la disponibilité de l’énergie produite sur le réseau. La mise en service de l’EPR aurait donc lieu au mieux en 2014.
D’ici là, on l’a vu, les risques de pénurie sont sérieux d’autant plus que les tranches nucléaires mises en service avant 1984 vont dépasser 30 ans. L’éventualité d’imposition d’arrêt de ces installations est plus que probable.

Il est donc urgent de prendre des décisions d’investissement pour que de nouvelles mises en service puissent avoir lieu avant 2010. Cependant, le gouvernement s’emploie à minimiser les risques. Au demeurant, on comprend bien pourquoi. Dans un contexte où il s’incline devant le poids du lobby pétrolier, reconnaître que notre pays à besoin d’installation à court terme le mettrait dans l’embarras.
En effet, en l’état actuel des choses les technologies susceptibles de nous permettre d’éviter la pénurie annoncée dans l’attente de la disponibilité des kilowattheures produits par l’EPR ne peuvent être que des centrales à gaz ou à charbon immanquablement contributrices, malgré les progrès réalisés, à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre.
Cette référence à l’EPR me permet d’en venir à la deuxième raison qui nous conduit à ne pas voter le texte.

La sûreté des installations doit être et demeurer optimale. C’est à nos yeux un pré-requis incontournable. Aucun compromis n’est envisageable sur ce point. Il faut mettre un terme au développement des contrats précaires au recours aux « nomades du nucléaire » et à l’accroissement des menaces pesant sur le statut des agents publics, sachant que ces dérives sont étroitement liées au mouvement de déréglementation et d’ouverture à la concurrence à l’échelle européenne. Surtout, il convient de préserver, mieux de renforcer, la maîtrise publique de la filière nucléaire. Un amendement de mon collègue Daniel Paul allant dans ce sens a été adopté à l’Assemblée Nationale.

Cependant, encore une fois, l’hypocrisie est de taille. Le 27 mai, en effet, alors que s’achevait l’examen en première lecture des articles du projet de loi au Palais Bourbon, des dizaines de milliers d’électriciens et de gaziers manifestaient dans les rues de la capitale et se rassemblaient place des Invalides. Ils clamaient haut et fort leur totale opposition au projet de loi de changement de statut et d’ouverture du capital des Etablissements publics à caractère industriel et commercial EDF et GDF.
Avec eux, nous refusons qu’un bien comme l’énergie, avec tous les outils qui le servent et notamment l’ensemble des installations, réseaux et compétences mis en œuvre dans le cadre du service public, soit livré aux marchés financiers tout cela dans le but d’obtenir des rentrées budgétaires dérisoires destinées à combler un déficit aggravé par la multiplication des cadeaux fiscaux aux nantis.
Certes, le projet de loi qui enclenche le processus de privatisation d’EDF et de GDF n’est pas le texte dont nous allons débattre aujourd’hui.

Si votre habileté mérite d’être soulignée, nous ne sommes pas dupes et nous savons pertinemment que les orientations énergétiques seront mises en œuvres par des entreprises et que la nature, le statut et la raison d’être de ces dernières influent sur ces orientations.

L’introduction d’intérêt privés dans le capital de ces 2 opérateurs historiques suffira pour que les choix d’investissements et les conditions de fonctionnement prennent en compte, prioritairement, la rentabilité des sommes investies par les actionnaires.
Vous ne pouvez pas ignorer plus longtemps, les élus, notamment locaux, les salariés, les entrepreneurs et les usagers qui veulent maintenir l’énergie hors de ce carcan.

Il est absurde de prétendre définir les fins poursuivies par la politique énergétique au moment où le gouvernement est sur le point de réaliser un coup de force en privant notre pays des outils de service public dont il a su se doter à la Libération.
Aussi, la définition des objectifs et des orientations de la politique énergétique suppose, au préalable, que vous retiriez le projet de loi d’ouverture du capital d’EDF et de GDF et de spoliation de notre peuple qui, rappelons-le, n’est ni imposé par la Commission européenne ni par les Traités !!

Odette Terrade

Ancienne sénatrice du Val-de-Marne

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