Madame la secrétaire d’État, permettez-moi tout d’abord de vous féliciter pour l’attitude que vous avez adoptée à la suite de la discussion à l’Assemblée nationale de l’amendement n° 252 de mon ami et camarade André Chassaigne. Vous avez été en phase avec le peuple de France : c’est pourquoi aujourd’hui huit Français sur dix soutiennent votre position.
Je ne sais pas si les membres de la majorité sont maintenant réconciliés. J’en doute au regard du vote de l’Assemblée nationale et des dissensions réelles qui persistent au Sénat, malgré l’absence de M. Jean-François Le Grand. Mais, en tout cas, le débat va nous montrer si le Sénat est en harmonie ou en décalage total avec l’opinion majoritaire au sein de notre pays.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la révolution verte n’aura pas lieu. La multiplication des paroles vertueuses, sans traduction sur le terrain, a eu raison des espoirs qu’avait fait naître le Grenelle de l’environnement. Les masques tombent, révélant les véritables intentions d’un gouvernement dont les politiques sont impudemment aux antipodes des objectifs du développement durable.
Pour réduire les gaz à effet de serre, on abandonne le fret en faveur du tout routier, ...
Mme Annie David. Oui !
M. Gérard Le Cam. ... l’objectif de réduction des pesticides est revu largement à la baisse. Pour défendre la biodiversité, on décide de développer les cultures d’organismes génétiquement modifiés. Nous pourrions hélas ! multiplier les exemples.
Nous devons dénoncer l’hypocrisie gouvernementale et prendre la responsabilité, dès aujourd’hui, de dire haut et fort que les engagements en matière de développement durable ne sont pas respectés.
Le texte dont nous discutons est symptomatique du fossé qui se creuse entre les attentes de nos concitoyens et les politiques de la majorité gouvernementale. Le déficit démocratique dont souffrent ces politiques, comme en témoigne dans le projet de loi votre volonté de repousser toutes les formes d’expression de la société civile, explique en partie ce décalage.
Les Français ne veulent pas d’OGM, ni dans leur assiette ni dans leur campagne ! Et vous leur répondez que, puisqu’ils en mangent déjà, pourquoi ne pas poursuivre dans cette voie ? Pourquoi ne pas continuer aussi à respirer l’amiante puisque nous l’avons fait pendant plusieurs décennies ? (Murmures sur les travées de l’UMP.)
Un des arguments avancés en faveur des OGM est que, puisque l’espérance de vie augmente, nous ne devons pas nous préoccuper de la présence sur le marché et dans notre environnement des produits de Monsanto. (Marques de désapprobation sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
Rappelons, cependant, que cette firme est le principal producteur de polychlorobiphényles ou pyralènes - polluants organiques persistants aujourd’hui interdits, responsables de nombreuses pollutions -, de l’agent orange - herbicide fortement cancérigène utilisé pendant la guerre du Vietnam - et d’hormones de croissance bovine et laitière, fort heureusement encore interdites en Europe. Et ce sont ces personnes que vous voulez soutenir ? (Exclamations ironiques sur certaines travées de l’UMP.)
Aujourd’hui, il est vrai, la communauté scientifique n’a pas tranché la question de l’innocuité ou de la nocivité des OGM. Mais, en présence de doutes, il appartient aux politiques de prendre leurs responsabilités, dans l’intérêt général de nos concitoyens.
La peur des conséquences des OGM sur la santé publique et sur la faune et la flore n’est pas irrationnelle. Le Président de la République, dans un discours faisant suite au Grenelle de l’environnement, affirmait d’ailleurs : « la vérité est que nous avons des doutes sur l’intérêt actuel des OGM pesticides ; la vérité est que nous avons des doutes sur le contrôle de la dissémination des OGM ; la vérité est que nous avons des doutes sur les bénéfices sanitaires et environnementaux des OGM ».
Prenons l’exemple des OGM pesticides. Leurs défenseurs les présentent souvent comme une alternative aux pesticides, dont ils ont raison de dénoncer la dangerosité. En ce moment, des députés européens mènent d’ailleurs une enquête sur les taux de pesticides présents dans les fruits et les légumes. Les premiers résultats sont alarmants. Pour autant, le recours aux OGM est-il une solution sans danger pour les consommateurs ?
Actuellement, il existe deux catégories de plantes génétiquement modifiées : d’une part, les « Bt » qui fabriquent des insecticides et, d’autre part, des plantes tolérantes aux herbicides du type Roundup, capables de les stocker sans en mourir. Il a été avancé que la protéine produite par les plantes génétiquement modifiées est identique à celle contenue dans certaines préparations autorisées en agriculture biologique : elle ne serait donc pas dangereuse. Or, le comité préfigurant la haute autorité sur les OGM a expliqué au contraire que la protéine produite par le transgène n’est pas identique à celle que produit le bacille de Thuringe. Vous le voyez, mes chers collègues, nous aurions tort de nous précipiter et de prendre des risques inutiles !
Au sujet de ces OGM, nous regrettons que, pour déterminer avec sérieux les risques toxicologiques encourus, les protocoles sur les pesticides ne leur soient pas applicables.
Ce constat pose la question des moyens alloués à la recherche. L’article 11 ter du projet de loi pose des principes intéressants. Espérons qu’ils trouveront une traduction en moyens financiers et humains, mais permettez-moi d’en douter !
De plus, afin d’éviter que nos débats ne soient parasités par des accusations primaires, nous voudrions être très clairs : nous sommes favorables aux manipulations génétiques, indispensables pour faire progresser la recherche. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Cependant, nos connaissances en la matière sont - rappelons-le - très récentes et doivent être encore approfondies pour éviter que l’introduction de nouveaux gènes ne modifie, par exemple, des inhibitions qui pourraient produire des effets inattendus sur la santé.
Pour nous, c’est la recherche fondamentale qui doit être davantage développée et encouragée pour que la recherche appliquée s’effectue en toute connaissance de cause. Nous devons continuer les recherches dans l’intérêt du plus grand nombre et non pour le développement commercial de deux ou trois groupes multinationaux.
Je voudrais dire quelques mots sur l’argument de l’indépendance de la France et de l’Europe en protéines végétales, souvent avancé dans cet hémicycle pour justifier le recours aux OGM : c’est une vraie question. Selon nous, d’autres solutions peuvent toutefois être avancées.
Nous nous réjouissons d’ailleurs de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement prévoyant la remise au Parlement d’un rapport relatif aux possibilités de développement d’un plan de relance de la production de protéines végétales. Ce plan constituerait une alternative aux cultures d’OGM, et il permettrait de garantir l’indépendance alimentaire.
Sur cette question, l’application du principe de la souveraineté alimentaire pourrait se traduire par une remise en cause des accords de limitation de production et la mise en œuvre de la préférence communautaire, ainsi que par le recours à des pratiques agronomiques abandonnées, comme le doublage des cultures. Quand j’étais enfant, on semait souvent une graminée dans les céréales de sorte que, lorsque les céréales étaient récoltées, les bêtes pouvaient paître. Aujourd’hui, cela ne se fait plus. Les sols sont nus, alors que l’on dispose de machines qui peuvent cueillir les épis, ce qui n’était pas le cas à l’époque.
En tout état de cause, nous restons persuadés que la généralisation des cultures OGM ne suffira pas à régler la question de la dépendance en protéines végétales.
Il est temps de prendre position et de se prononcer sur le modèle agricole que nous voulons. La promotion des OGM tout comme l’utilisation massive de pesticides répondent en effet aux exigences d’une certaine conception de l’agriculture.
Les tenants de cette conception ne s’embarrassent pas de la lutte contre la faim et contre les inégalités sociales, pas plus que de la réduction de la dépendance dans laquelle se trouvent les petits exploitants, bien au contraire, comme on le voit avec Monsanto. Ils soumettent les exploitants agricoles à une poignée d’oligopoles mondiaux dont l’unique but est de verrouiller et de contrôler l’ensemble du marché des semences, au mépris de l’indépendance alimentaire des pays.
M. Dominique Braye. Grâce à vous !
M. Gérard Le Cam. Telle est la vérité, même si elle vous choque, monsieur Braye !
Serons-nous capables, mes chers collègues, de concurrencer dans leurs domaines, notamment sur le terrain de la productivité, des pays aussi grands et aussi importants que les États-Unis, le Canada ou les pays d’Amérique latine ?
Le savoir-faire européen et la qualité de nos produits ne peuvent-ils pas nous rendre compétitifs dans d’autres créneaux, générant une plus grande valeur ajoutée ? Je pense que nous nous trompons véritablement de combat.
À cet égard, j’espère que la majorité sénatoriale ne répondra pas aux injonctions disgracieuses de M. Fillon tendant à supprimer la protection accordée notamment aux AOC. L’amendement déposé par l’UMP au Sénat est inacceptable : il tend à vider de son contenu l’amendement n° 252 déposé à l’Assemblée nationale par notre collègue André Chassaigne, amendement dont l’adoption a permis une avancée significative.
En ce qui concerne maintenant l’agriculture biologique, comment peut-on à la fois prétendre vouloir développer l’agriculture biologique en France - la part du bio devrait passer à 6 % de la surface cultivée en 2010 et à 20 % en 2020, contre 2 % actuellement - et reconnaître que ces productions seront très probablement contaminées par les cultures OGM, un simple mécanisme d’indemnisation étant prévu dans ce cas ?
Le risque de dissémination est bien réel. Les exemples de contamination de cultures se multiplient. Monsieur le ministre d’État, vous avez vous-même déclaré ceci : « Sur les OGM, tout le monde est d’accord : on ne peut pas contrôler la dissémination, donc on ne va pas prendre le risque. »
Mme Évelyne Didier. Eh oui !
M. Gérard Le Cam. Il a également été constaté que la faune est atteinte, que ce soit par des insectes ou par des vers de terre. Les apiculteurs ont ainsi rapporté, notamment dans le Lot-et-Garonne, la contamination du pollen de leurs abeilles. Nous n’avons pas inventé ces faits !
Pour conclure, si le projet de loi a fait l’objet de quelques améliorations à l’Assemblée nationale, nous ne saurions nous en satisfaire tant le modèle agricole qu’il traduit ne nous convient pas.
Cependant, nous serons vigilants afin que les quelques avancées du texte ne soient pas anéanties par le Sénat : je pense aux dispositions concernant les AOC, à la possibilité pour un député ou un sénateur de saisir le Haut conseil des biotechnologies, à la publicité des avis du Haut conseil au nom de la transparence et à l’étiquetage des semences.
Nous avons déposé un certain nombre d’amendements visant à assurer une meilleure information de nos concitoyens, grâce notamment à l’étiquetage des produits issus d’animaux nourris aux OGM.
Nous demanderons également une plus grande prise en compte de la société civile dans les décisions du Haut conseil, ainsi que des populations, pour décider avec elles si elles veulent ou non des OGM.
Gouverner, c’est non pas céder aux revendications des intérêts privés, mais au contraire satisfaire l’intérêt général. Gouverner, c’est non pas s’aligner, au nom de la fatalité, sur les décisions de quelques technocrates soi-disant éclairés, mais prendre des décisions au nom de l’intérêt général, en accord avec les attentes de nos concitoyens.
Le projet de loi ne répond pas à ces attentes, que ce soit à l’échelon national ou à l’échelon communautaire. Il n’apporte pas de garanties en termes d’absence de dangerosité ou de contamination. C’est pourquoi nous voterons contre.