Organisation et régulation des transports ferroviaires : question préalable

Publié le 19 février 2009 à 08:55 Mise à jour le 8 avril 2015

Le Gouvernement se livre à un grand écart : il y a quelques semaines nous débattions de la loi relative au Grenelle de l’environnement, qui devait représenter, selon les mots de M. le ministre d’État, « une rupture puissante, forte et radicale » dans le secteur des transports. Mais la révolution annoncée n’est pas au rendez-vous. Le Gouvernement propose aujourd’hui de libéraliser le transport international des voyageurs à partir du 13 décembre 2009. Comment croire que la loi du marché suffira à développer le transport ferroviaire ? Comment modifier l’équilibre entre la route et le rail et moderniser le réseau tout en continuant d’affaiblir l’opérateur historique en charge du service public ?

Le Gouvernement poursuit donc la politique de libéralisation des services publics alors que la crise actuelle devrait l’inciter au pragmatisme, voire à une révision de sa doctrine. La course au profit comme unique modèle de développement des entreprises encourage le dumping social et fiscal et conduit à la déconnexion des marchés financiers et de l’économie réelle. L’idée fallacieuse de la main invisible comme unique régulateur du marché et l’absence d’harmonisation fiscale et sociale au niveau européen ont fait renoncer les pouvoirs publics à répondre aux besoins collectifs de la population.

L’ouverture à la concurrence, selon ses partisans, devait permettre d’offrir aux usagers un meilleur service à un meilleur prix. La démonstration est faite du contraire : les usagers des services de téléphonie, d’énergie et de transports en savent quelque chose... Les prix ont augmenté et le service s’est détérioré ; les seuls bénéficiaires sont les actionnaires des nouveaux opérateurs et des opérateurs historiques privatisés, qui ont réalisé de juteux profits... Les accidents répétés sur les voies ferrées outre-Manche devraient nous inciter à la prudence. L’Allemagne, elle, semble avoir renoncé à privatiser la Deustche Bahn.

En France, la libéralisation du fret ferroviaire a conduit à la disparition de milliers d’emplois, de 262 gares et de dessertes jugées peu rentables. Plus d’un million de camions supplémentaires sont venus encombrer nos routes. Le budget de la SNCF pour 2009 prévoit la suppression de 1 600 emplois, dont 1 400 dans le secteur du fret.

Mais vous persévérez dans cette voie, comme si la seule réponse aux dérives du libéralisme consistait à accélérer les réformes libérales : c’est sidérant !

La transposition d’une directive n’est pas une obligation juridique.

Si le Gouvernement français souhaitait réellement mettre en oeuvre une autre politique des transports, fondée sur le développement du service public, il pourrait se faire entendre par la Commission. On a bien vu récemment que la détermination de la France et de l’Allemagne avait permis de suspendre l’application du pacte de stabilité. D’autre part, il faut quand même rappeler que cette directive entérine des choix fait par le Gouvernement français au sein des institutions européennes. Bref, rien ne nous oblige à adopter en urgence des dispositions qui n’entreront en vigueur qu’à la fin de l’année. Pour toutes ces raisons, nous demandons qu’un bilan de la libéralisation du secteur soit entrepris et que, dans l’attente, un moratoire soit décrété sur les directives libérales.

Pourquoi donc un tel zèle de la part de notre Gouvernement à poursuivre dans l’erreur, y compris en allant plus loin dans le démantèlement du secteur ferroviaire que la directive européenne ne l’impose ? La création des opérateurs de proximité n’est en aucun cas la traduction d’une exigence communautaire, ni de la mise en demeure du 28 juin 2008 de la commission. Or, ces fameux opérateurs de proximité auraient à leur charge non seulement le service de transport mais également la gestion du réseau. C’est donc l’unité du réseau national que vous remettez en cause. Les collectivités risqueront d’être dans l’obligation de participer à la création de ces opérateurs pour éviter l’abandon de lignes jugées trop peu fréquentées ou trop dégradées.

Le texte actuel s’en tient à une séparation comptable au sein de la SNCF selon que les activités relèvent de gestion de l’infrastructure ou de l’exploitation de service de transports. La lettre de grief de la commission n’impose pas davantage. La création de l’ENCF que le ministre propose par voie d’amendement affaiblit encore un peu plus la SNCF, dont le découpage progressif annonce la privatisation future.

L’ouverture à la concurrence des transports régionaux proposée par M. Haenel ne répond, elle non plus, à aucune obligation communautaire puisque les transports régionaux relèvent soit du cabotage clairement encadré par la directive de 2007, soit du règlement OSP qui laisse le choix aux autorités organisatrices de conserver ou non le monopole de la SNCF. Mme Kosciusko-Morizet a rappelé très clairement que « l’objet de ce règlement n’est pas d’anticiper l’ouverture à la concurrence des services ferroviaires intérieurs. (...) Les autorités organisatrices ne pourront se prévaloir du règlement pour mettre en concurrence les transports régionaux. » Vous semblez pourtant vouloir quand même ouvrir cette possibilité en la cantonnant à l’expérimentation sur la base du volontariat des régions. Cette ouverture n’est pas opportune et ferait peser des risques importants sur la sécurité des voyageurs. L’unité du réseau, de sa gestion, comme l’unité d’exploitation par la SNCF, constitue la seule garantie d’un système performant et sûr sur l’ensemble du territoire.

Nous voyons bien la tentation des nouveaux opérateurs de considérer les règles de sécurité comme des entraves à leur compétitivité. Lors de son audition, le représentant d’Euro Cargo Rail nous indiquait que la compétitivité des entreprises ferroviaires ne devait pas être remise en cause par l’établissement public de sécurité ferroviaire ; de même, le directeur général de Veolia transport a souhaité que la commission de régulation vérifie que les règles de sécurité imposée par l’EPSF n’aient pas pour objectif d’évincer la concurrence.

Le fait même que l’EPSF soit placé sous la tutelle de l’autorité de régulation nous inquiète. Nous ne sommes pas favorables à la mise en place de telles autorités. Outre qu’elles symbolisent la libéralisation, leur forme, leur mission, leur pouvoir sont contestables. Ces ovnis juridiques ne correspondent ni à notre conception de l’indépendance, ni à celle de la transparence. Elles ne sont pas légitimes puisque leurs membres sont nommés et qu’ils ne sont pas responsables des décisions prises dans le cadre de leurs pouvoirs exorbitants. En créant une telle autorité, les pouvoirs publics cherchent à se dédouaner des questions de sécurité, d’aménagement du territoire, de la mise en oeuvre du service public ferroviaire, à se délester de leur responsabilité politique en s’en remettant à des experts présentés comme indépendants. La mission de contrôle des activités ferroviaires n’avait ni les mêmes fonctions, ni le même statut.

D’un point de vue juridique, confier le pouvoir réglementaire, même s’il reste marginal, ainsi que des pouvoirs décisionnels et juridictionnels, c’est donner la possibilité à cette autorité d’être le juge de ses propres réglementations. Pourtant, la commission veut doter cette autorité de la personnalité morale et de l’autonomie financière.

Il serait invraisemblable que le refus d’homologation par le ministre de la réglementation proposée par cette autorité doive être motivé. C’est le ministre qui dispose de la responsabilité politique. Le professeur Claude Champaud est très clair sur la définition de ces autorités : bien qu’administratifs, ces organismes doivent moins veiller au respect du bien public qu’à la préservation des intérêts privés dont la sauvegarde est d’intérêt général.

L’essentiel, dont il n’est pas du tout question dans ce projet de loi, c’est le service public ferroviaire ; l’urgence n’est pas d’une libéralisation accrue mais d’une implication de la puissance publique pour le rendre plus performant et accessible à tous.

Alors que le Grenelle devait faire de la question des transports une priorité de l’action publique, ce texte laisse les intérêts privés définir le niveau de l’offre de service. Une mission d’information sur le financement des infrastructures de transports terrestres a dressé un état des lieux accablant, comme avait déjà fait l’audit de l’école polytechnique de Lausanne : si rien n’est fait, entre 30 à 60 % des infrastructures ne seront plus utilisables dans quelques années. Y compris dans votre logique libérale, cela pose problème : si le réseau est vétuste, aucun opérateur privé ne trouvera intérêt à proposer ses services et l’avantage concurrentiel de la route sera encore renforcé.

La mission d’information sur les transports terrestres insistait sur la nécessite d’une reprise rapide de la dette de RFF pour lui permettre d’investir dans les réseaux. La Cour des comptes allait dans le même sens en avril 2008. C’est quand même ahurissant ! Le Gouvernement a trouvé des milliards, à deux reprises, pour les banques et rien pour RFF ! Je ne reviens pas sur la privatisation des concessions d’autoroutes, décision qualifiée d’erreur historique par la mission d’information parce qu’elle prive l’Afitf de ressources pérennes, ni sur la diminution drastique des crédits affectés à la mission Transport dans la loi de finances. La seule subvention aux infrastructures a été divisée par deux depuis 2002. L’État se défausse sur les régions et sur le secteur privé pour la réalisation des infrastructures, grâce aux contrats de partenariat, et pour l’exploitation du service par l’ouverture à la concurrence généralisée.

Les partenariats public-privé ne peuvent constituer une alternative : le financement des infrastructures d’intérêt général doit être prévu sur le long terme et dégagé des aléas des marchés financiers. Or on va confier les infrastructures non rentables au secteur public et celles qui seront jugées rentables au secteur privé. Autrement dit, on privatise les profits et on socialise les pertes.

L’ouverture à la concurrence des transports de voyageurs ne répond pas aux défis environnementaux. Les grandes lignes internationales, financièrement rentables, risquent d’être privilégiées au détriment de l’aménagement du territoire et le mécanisme de péréquation financière entre axes rentables et axes non rentables de voler en éclat. La concurrence va s’exacerber sur les axes saturés et dans les périodes horaires de haute fréquence en favorisant des conflits d’intérêts dans l’attribution des sillons et des surenchères financières pour leur acquisition, dont le voyageur fera les frais par le biais d’augmentations des tarifs. En outre, la concurrence va jouer sur les normes sociales, comme cela est devenu monnaie courante au sein de l’Union européenne.

Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à voter cette question préalable, parce que la libéralisation n’est pas une réponse au problème majeur que connaissent les transports aujourd’hui : celui du désengagement massif de l’État de ses missions de service public, notamment en termes d’investissement. En pleine crise sociale, il ne faut pas priver nos concitoyens de la garantie collective assumée par la puissance publique mais faire jouer les solidarités nationales pour garantir leurs droits et notamment celui à la mobilité. (

Odette Terrade

Ancienne sénatrice du Val-de-Marne

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