Modification de la loi SRU

Publié le 12 novembre 2002 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Yves Coquelle

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

C’est dans la plus grande précipitation que notre Haute Assemblée est amenée ce jour à débattre de cette proposition de loi cosignée par M. BRAYE et plusieurs de nos collègues , dont le Président LARCHER, tendant à modifier la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

Une telle démarche appelle au moins une première observation : n’est ce pas en effet pervertir quelque peu le principe de l’initiative parlementaire et des journées réservées à l’examen des propositions de loi que de nous proposer d’examiner, toutes affaires cessantes, cette proposition de loi dont les attendus et les motifs sont plus que discutables ?

Pour étayer mon propos, je suis évidemment contraint de revenir sur le contexte dans lequel nous nous situons depuis les élections du printemps dernier.

En effet, depuis la constitution du nouveau Gouvernement, on constate l’absence de nomination d’un Ministre ou d’un Secrétaire d’Etat au Logement, comme l’atteste de manière signifiante le fait que la question d’actualité que j’ai posé ce jeudi sur le sujet n’a trouvé réponse qu’auprès du Secrétaire d’Etat aux programmes immobiliers de la Justice, M. BEDIER.

Je sais bien entendu que notre collègue BRAYE connaît fort bien ce jeune Secrétaire d’Etat mais avouez tout de même qu’il est étonnant qu’une question portant sur le logement social ne trouve réponse qu’auprès de celui qui parcourt la France pour convaincre les élus locaux de la nécessité de construire de nouvelles prisons ou des centres à encadrement renforcé pour jeunes mineurs…

Dans ce contexte, on constate également à profusion un discours à géométrie variable, porté tant par Monsieur DE ROBIEN, Ministre de l’Equipement que par Monsieur BORLOO, Ministre de la Ville, qui consiste à faire croire que l’Etat va puissamment s’engager dans une politique audacieuse du logement.

On annonce ici des chiffres ronflants de vastes opérations de démolition - reconstruction, ailleurs une démarche volontariste de mises aux normes de qualité, mais que voit - on dans les faits ?

Un budget qui baisse de 300 millions d’euros, avec une utilisation habile des reports de crédits pour faire croire au développement des dépenses d’équipement, une remise en question des droits des allocataires de l’APL, l’annonce de la suppression du parc social issu de la loi du 1er novembre 1948, et surtout l’abandon programmé de la priorité à la construction de nouveaux logements sociaux, répondant aux besoins des populations.

Car, dans la discrétion des mois d’été, par exemple, le Ministère a procédé à une vaste réforme des modalités d’attribution des aides personnelles au logement, pénalisant singulièrement les jeunes logés en FJT ,engagés dans des parcours de formation, et les salariés les plus modestes.

De la même manière, ce Gouvernement a décidé, dans le cadre de la loi de finances, de revenir sur ses engagements de financement du fonds de solidarité logement destiné aux familles en difficulté.

Et tout cela se produit alors même que nous devons examiner à partir de demain ce projet de loi liberticide sur la sécurité intérieure qui stigmatise des populations particulièrement vulnérables et qui va frapper notamment tous les exclus du droit au logement que sont les sans abri.

Tout cela nous ramène donc au texte de cette proposition de loi, dont on sent fort bien que l’esprit ne vient de la fertile imagination de notre collègue BRAYE, et qu’elle a été directement inspirée par les conceptions qui animent aujourd’hui la politique du logement dans ce pays.

Cette proposition de loi, polarisant sur les questions de la construction de logements sociaux, n’est, vous le savez fort bien, mes chers collègues, qu’un projet de loi honteux que le Gouvernement ne pouvait évidemment décemment soutenir.

Que M. BRAYE et quelques - uns de nos collègues aient ainsi décidé de servir de ’ faux - nez ’ au Ministère n’aura échappé à personne qui s’intéresse peu ou prou aux questions posées.

D’autant que l’on nous annonce pour le mois de décembre un projet de loi portant diverses dispositions relatives à l’habitat et à la construction, dont on peut s’attendre à ce qu’il ne soit qu’une remise en cause plus ou moins disparate des dispositions de la loi SRU ou de la loi Besson de 1990.

Revenons à la proposition de loi qui comprend en fait deux grandes parties.

Les six premiers articles de la proposition de loi portent sur les conditions d’application de l’article 55 de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains.

Les quatre articles suivants portent, pour leur part, sur des modifications du droit de l’urbanisme qui, sans avoir l’air d’y toucher, ne répondent manifestement aux problèmes posés par le développement de l’habitat dans notre pays.

Prétextant d’une consultation des professionnels pour motiver les dispositions préconisées, la proposition de loi peut en fait être résumée de manière relativement simple.

D’une part, un rejet forcené, quasi maladif de la mixité sociale, destiné à rendre inopérantes les dispositions de la loi SRU sur l’obligation de réalisation de logements sociaux, un rejet que l’on peut apparenter à un égoÏsme de classe, que nous ne pouvons évidemment que combattre.

D’autre part, un étonnant laxisme accordé aux élus locaux et aux promoteurs immobiliers ( on pense en particulier aux lotisseurs ) pour construire, tant en cœur de ville qu’en zones périurbaines, à peu près n’importe quoi, sans trop de considération sur les conséquences sociales et économiques découlant de ces choix de ce que l’on n’ose même pas appeler « d’aménagement « .

Cette proposition de loi est donc clairement une proposition de loi régressive, pour ne pas dire réactionnaire, et ce n’est décidément pas un honneur pour notre Haute Assemblée que d’avoir à en débattre dans la précipitation…

Les questions de l’aménagement et du développement urbains nécessitent d’autres choix que ceux guidant cette proposition de loi.

Dois - je d’ailleurs ici rappeler à notre collègue BRAYE que c’est à la grande époque du gaullisme, au cœur des années 60 , que l’on a construit à la va - vite les grands ensembles de logements dont il stigmatise aujourd’hui à l’envi les travers ?

Dois - je rappeler que cette politique là ne s’est jamais vraiment souciée de la question des infrastructures, des lieux de vie et d’échange et que ce sont des années de lutte des populations concernées, relayées ensuite par des gouvernements de gauche qui ont pu pour partie répondre aux errements du passé ?

Je ne résiste évidemment pas mon cher collègue, à vous citer dans votre défense et illustration des choix que vous aviez manifestés lors de la discussion de la loi Gayssot - Besson et que votre proposition de loi reprend pour l’essentiel.

Vous aviez ainsi, selon vos propres termes, dénoncé dans l’article 55 du projet de loi ( à l’époque article 25 du texte initial ) « un mécanisme technocratique, autoritaire et profondément attentatoire à l’autonomie des communes « et vous aviez assimilé les dispositions de l’article à « un retour au passé, volonté aveugle de privilégier le logement locatif de type HLM comme modèle de logement social, contre l’attente des Français, dont le désir majoritaire est l’accession à la propriété « 

Vous disiez encore, lors de cette séance du 27 avril 2000, que ce ’ désir, Monsieur le Ministre, Monsieur le Secrétaire d’Etat, vous le niez par une définition trop étroite du logement social, qui exclut le logement social de fait, le logement intermédiaire et, surtout l’accession sociale à la propriété « 

M. BRAYE, vous opposerez - vous, le moment venu, à la disparition de la loi de 1948 qui définit spécifiquement le logement social de fait ?

Venons - en maintenant à ce que vous disiez sur l’article 25, lors de la séance du 9 mai 2000.

Vous disiez alors ’ j’avais dénoncé, lors de la discussion générale, une vision de la mixité sociale qui relève davantage du nivellement par le bas que de la promotion sociale « .

Vous aviez requalifié le projet loi, en le stigmatisant « socialisme et rabaissement urbain « et fait un long exposé sur la situation de votre charmante localité et de son agglomération, celle du pays de Mantes.

Soulignant les spécificités de l’agglomération de Mantes la Jolie, vous aviez ainsi parlé de ’ tristes records ’.

’ Record de taux de chômage, avec un taux de 34 % à l’époque ’

’ Record de population étrangère, le Val Fourré est peuplé de 80 % d’étrangers, dont 55 % de Maghrébins, 15 % d’originaires d’Afrique de l’Ouest et 15 % d’origines diverses ( ce sont vos termes, Monsieur BRAYE et je ne peux que constater que l’être humain est parfois « divers « pour vous, comme s’il ne comptait pas )

’ Record de retard scolaire ’, chiffres à l’appui

Et, comme une cerise sur le gâteau, vous concluiez avec « un record, NATURELLEMENT ( je souligne le mot car il illustre le fondement de votre argumentation ) du taux de délinquance « .

Chacun appréciera donc cette mécanique de la pensée qui assimile logement social ( destiné à l’origine à loger les salariés de Renault Flins ou de Dunlopillo ) à immigration, immigration à échec scolaire et à délinquance.

En un autre lieu, Monsieur BRAYE, que notre Haute Assemblée, il n’est pas certain que vous n’ayez eu quelques problèmes…

Alors, votre proposition de loi, permettez-moi de vous le dire, mon cher collègue, n’est pas une mesure destinée à substituer le contrat à la contrainte en matière de réalisation de logements sociaux, elle n’est que l’illustration du plus parfait égoïsme, et la déclinaison d’une pensée guidée par la volonté d’exclure, de diaboliser, de ne pas permettre la mise en œuvre pleine et entière du droit au logement.

Et pour ce qui concerne les problèmes sociaux plus généraux qui se traduisent dans nos quartiers par la mal vie, que faites-vous donc ?

Quand on vote des deux mains toutes les lois créant les conditions d’un précarisation forcenée du travail, quand on vote toutes les lois qui écrasent les salaires, au seul bénéfice du patronat, on ne peut pas s’étonner que cela soit sans effets sur les difficultés sociales que rencontrent certains de nos quartiers.

Vous pouvez certes déposer une proposition de loi pour éviter que votre propre municipalité ne soit amenée à réaliser des logements sociaux ou s’acquitte d’une pénalité fiscale, mais que n’avez vous pas fait dans le passé lors des plans sociaux successifs qui ont touché les usines Talbot de Poissy ,Renault Flins ou Dunlopillo ?

Les logements sociaux, c’est bon pour Limay ou Mantes la Ville, pas pour votre commune, n’est ce pas ?

Je ne développerai pas plus sur la seconde partie de votre proposition de loi qui relève fondamentalement des mêmes attendus que la première et qui consiste à anéantir les avancées de la loi SRU en termes d’approche renouvelée de l’urbanisation.

Nous y reviendrons, notamment dans la présentation de la motion tendant à opposer la question préalable, mais sachez donc d’ores et déjà que notre Groupe s’opposera sans la moindre ambiguïté à l’adoption des conclusions de la Commission des Affaires Economiques sur cette proposition de loi.

Explication de vote

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Au terme de l’examen de cette proposition de loi relative à la modification de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, force est de constater que le texte initial qui nous a été présenté n’est pas sorti amélioré de la discussion que nous venons de mener.

Cette proposition de loi est crispée sur une conception profondément inégalitaire du développement urbain à venir, qui oppose artificiellement construction ou réalisation de logements sociaux avec harmonie et équilibre.

Nous avons démontré que la grande réticence manifestée par certains n’avait d’autre origine que le profond mépris dont ils font preuve à l’égard des familles qui demeurent aujourd’hui dans le parc locatif social.

Le reste, voyez - vous, mes chers collègues, n’est en quelque sorte que littérature ou plutôt adaptation de la législation aux seuls impératifs définis par cette vision pour le moins étroite de l’urbanisme, et plus largement, de la politique de la ville.

En gros, il s’agit de faire en sorte que tout puisse continuer comme avant, comme si de rien n’était et que la situation dégradée que connaît le secteur du logement n’existait pas, qu’aucun besoin ne se manifestait en la matière.

Ces choix ne permettront évidemment pas de relancer la construction de logements locatifs sociaux dans les communes qui en sont aujourd’hui largement dépourvues, pas plus qu’ils ne faciliteront au demeurant la réalisation de nouveaux programmes là où le patrimoine social est d’ores et déjà significatif.

Les habitants de notre pays ont besoin d’une autre politique du logement que celle qui se dessine, au fil des déclarations ministérielles ou à travers le soutien accordé par le Gouvernement à ce type d’initiative parlementaire qui ne rend pas ses auteurs plus honorables qu’avant.

Ils ont besoin d’autre chose que de choix politiques de liquidation du parc social de fait, de remise en question du niveau des aides personnelles au logement, d’absence de financement adapté de l’accession sociale à la propriété.

Ils ont besoin d’autre chose que de propositions de loi de ce genre, qui ne consistent qu’à encourager au statu quo.

N’oublions jamais, mes chers collègues, que l’un des plus redoutables moteurs de la violence urbaine est la perception concrète qu’on peut avoir des inégalités sociales et c’est cela que vous allez mettre en œuvre, en cas d’adoption et de promulgation de cette loi.

Pensez donc un peu, Monsieur le Rapporteur, aux jeunes du Val Fourré qui attendent un logement pour enfin commencer leur vie, et qui se rendent compte que rien n’est fait, dans leur région, pour répondre à ce besoin.

Ce sont clairement des choix de classe que vous venez d’exprimer.

Nous ne pouvons évidemment que voter contre le texte de cette proposition de loi telle qu’elle ressort de nos travaux.

Yves Coquelles

Ancien sénateur du Pas-de-Calais

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