Modernisation de l’économie

Publié le 30 juin 2008 à 14:11 Mise à jour le 8 avril 2015

Le Gouvernement place beaucoup d’espoir dans ce texte, 0,3 point de croissance, 50 000 emplois, la relance du pouvoir d’achat. Pourquoi alors avoir attendu la session extraordinaire pour nous le présenter ? Nous sommes d’accord sur le diagnostic -l’emploi et le pouvoir d’achat sont les préoccupations principales des Français- mais nous divergeons sur les remèdes. Vous ne vous attaquez pas aux racines du mal.

« Faire souffler un vent de liberté sur l’économie » peut-on lire dans l’exposé des motifs. Mais la liberté pour qui ? A l’examen de ce texte dogmatique, l’espoir de voir le pouvoir d’achat de nos concitoyens augmenter s’est éteint. Au même moment, le Gouvernement dépense 4,63 millions d’euros en publicité pour ce message déprimant : « Il faut attendre ». Aux familles qui ont du mal à payer leur loyer, à ceux qui voient leur budget amputé par la hausse du prix de l’essence, à ceux que touche de plein fouet la précarité, il dit : « Patientez ! ». C’est une insulte à tous ceux que préoccupe chaque jour l’évolution de leur pouvoir d’achat. Alors que les routiers manifestent, que tant de nos concitoyens se demandent comment ils vont pouvoir partir en vacances, le Gouvernement répond comme à l’ordinaire : il communique au lieu d’agir.

Modernisation, ce mot que le Gouvernement apprécie tant, rime décidément avec incantation. Qu’a donc de moderne cette compilation de dispositions hétéroclites, assortie qui plus est de huit ordonnances et de soixante-trois décrets d’application ? Qu’a donc de moderne cette vision de la liberté économique qui conduit à réduire l’intervention de l’État à la portion congrue tout en faisant sur fonds publics -alors qu’on répète que les caisses sont vides !- des cadeaux aux entreprises, sans aucune garantie que ce sera efficace ?

Dernier exemple en date, la banalisation du livret A.

M. Jean Desessard. - Mais oui !

Mme Odette Terrade. - Cette épargne plébiscitée par les Français -c’est le Gouvernement lui-même qui le dit- est aujourd’hui centralisée par la Caisse des dépôts ; on l’offre en cadeau aux banques, avec le risque que les fonds destinés au logement social soient détournés vers d’autres produits financiers et la spéculation. Il est invraisemblable de prétendre que le monopole de La Poste et des Caisses d’épargne, que le circuit actuel sont des obstacles à la croissance ! (M. Jean Desessard approuve) Tout aussi invraisemblable de laisser croire que le taux actuel de rémunération du livret A empêcherait les organismes HLM d’emprunter pour construire moins cher ! Il en faudrait bien plus pour que les coûts de construction des logements sociaux neufs rentrent dans le cadre fixé par le plafonnement des loyers !

En défiscalisant les investissements immobiliers privés et en encourageant les ventes à la découpe, les gouvernements de votre majorité ont favorisé une spéculation immobilière effrénée. Et vous nous parlez aujourd’hui du taux anormalement élevé du livret A ? N’avez-vous pas transformé la politique d’accession sociale à la propriété en crédit d’impôt pour un prêt à taux variable qui a tout de la subprime à la française ? Une fois de plus, l’État se montre généreux avec les entreprises privées et s’en remet à leur bon vouloir, espérant que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes et que notre économie en profitera. Or ce genre de risques n’est pas de son ressort : il doit garantir la meilleure gestion de son budget au profit du plus grand nombre.

Certes, quelques points positifs émergent de ce magma de mesures, tels la volonté de développer la fibre optique, l’élargissement du rescrit social ou le recours à des organismes du type Oséo pour encourager la recherche industrielle, mais sans bâtir une construction solide et efficace. Peut-on croire que les grands groupes de la distribution traiteront demain leurs fournisseurs de manière équitable en les réglant plus rapidement ? Ils exigeront en retour des conditions de prix encore plus difficiles à tenir. Les fournisseurs devront adapter leurs coûts de production et, en dernière instance, les salariés paieront la facture.

La question de l’égalité devant l’impôt se pose pour les mesures d’incitation fiscales. Les articles relatifs à la fiscalité des entrepreneurs individuels relèvent d’une validation de la fraude fiscale et créent une distorsion manifeste de concurrence selon la date de démarrage de l’activité. Avec cette vision purement idéologique de la société, on fait croire que l’esprit d’entreprise, l’audace économique et le risque financier sont l’alpha et l’oméga de la réussite individuelle et de l’économie. Cette vision se double d’une nouvelle mise à contribution du budget de l’État au travers d’allégements d’impôt ou de cotisations sociales. Ces mesures sont assez proches des dispositifs mis en place par la loi Madelin, la loi Pasqua sur l’aménagement du territoire, la loi Dutreil sur l’initiative économique et la loi sur les PME de 2005, qui n’ont fait l’objet d’aucune évaluation. Ainsi, plus de quatre ans après la promulgation de la loi Dutreil, la franchise d’ISF liée à la participation à un pacte d’actionnaires n’a séduit que 2 % des contribuables de cet impôt...

A défaut de logique, ce qui ressort de ce texte, c’est votre foi sans limite dans le dogme libéral. Que dire, ainsi, des lois concernant l’économie de l’immatériel, qui n’a d’autre coût que le temps et l’intelligence ? L’appropriation d’une idée peut constituer une manne. En modifiant la législation sur les brevets, vous remettez en cause un principe fondateur de la République française : le bien commun. Vous rendez possible le brevet d’un usage et non d’un principe, ce qui générerait énormément d’argent mais nuirait à l’évolution des connaissances, fondée sur le partage. Vous mettriez ainsi l’évolution humaine dans les mains d’entreprises qui ne céderont la connaissance que sous conditions.

Pour moderniser notre économie, faut-il proposer aux chômeurs et aux faibles revenus de travailler encore plus en prenant plus de risques, par le biais de l’auto-entreprise ? Quand vous aurez considérablement augmenté les contraintes sur les chômeurs avec l’« offre raisonnable d’emploi », ceux-ci devront choisir entre la peste et le choléra : se faire radier des Assedic ou être auto-entrepreneur sans peut-être pouvoir se verser un salaire. Ne s’agira-t-il pas là d’un cadeau de plus aux grandes entreprises qui, plutôt que d’assumer les charges d’un salarié, pourront « externaliser » son activité ? Quel sera l’effet de ce dispositif sur l’économie française alors que la grande majorité de ces entreprises ne résiste pas plus de quatre ans ?

Entre le projet initial présenté à l’Assemblée nationale et celui que nous examinons aujourd’hui, ce texte est passé de 42 articles à plus de 120. Avec le recours quasi systématique aux ordonnances et aux décrets d’application, il semble y avoir une fuite en avant, que confirment les quelque 150 amendements déposés par la commission. Et un certain nombre de dispositions paraissent répondre à des demandes de grandes entreprises -Numéricable, Auchan, Leclerc et Carrefour... Pour qui cette loi a-t-elle été faite ? Certainement pas pour les agents de l’Insee, dont l’indépendance va être mise en cause par une nouvelle autorité qui fournira au Gouvernement les statistiques nécessaires à la promotion de sa politique. Et encore moins pour les fonctionnaires de la Caisse des Dépôts et Consignations, sur qui pèsera la loi d’airain des marchés financiers, ou pour les agents de la Poste, transformée en « banque des pauvres ». Sans parler des 4 500 emplois qui vont être supprimés dans le réseau des caisses d’Épargne ni des milliers de licenciements qui devraient frapper le secteur de l’expertise comptable et du commissariat aux comptes.

Cette loi servira-t-elle l’intérêt commun ou les intérêts de quelques grandes entreprises ?

M. Jean Desessard. - C’est plutôt ça.

Mme Odette Terrade. - Présentées en session extraordinaire avec une urgence déclarée, donc des conditions de débats limitées, ces dispositions semblent destinées à les récompenser.

Alors que nos concitoyens espèrent des solutions immédiates et simples pour leur pouvoir d’achat, cette loi leur propose d’attendre un abaissement des coûts à la consommation en distribuant des cadeaux aux grands groupes et en s’en remettant aux promesses d’un avenir libéral et radieux. Le groupe CRC votera contre ce texte, dépourvu de garantie d’efficacité pour le développement de notre économie et de répercussions positives sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens.

Odette Terrade

Ancienne sénatrice du Val-de-Marne

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