Monsieur le président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Aujourd’hui s’ouvre, devant notre assemblée, le débat tant attendu sur le projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, texte qui je le rappelle a été adopté en conseil des ministres dès le 11 juin 2008. Nous regrettons que l’urgence ait été déclarée, privant les parlementaires d’une seconde lecture, promise d’ailleurs aux députés au regard de l’accélération des débats à laquelle ils avaient consentie.
Nous saluons la qualité des travaux qui ont réunis de longs mois les représentants des collectivités territoriales, des organisations non gouvernementales (ONG), des professionnels, des syndicats, de l’Etat, et peut-être dans une moindre mesure du Parlement. Nous saluons à ce titre la vigilance de notre rapporteur qui a constitué un groupe sénatorial de suivi du Grenelle de l’environnement dont les nombreuses auditions ont débutées dès l’automne 2007. Les échanges dans les différents groupes de travail ont permis d’éclairer utilement le Parlement sur des dossiers aussi divers et techniques que le réchauffement climatique, la biodiversité, les déchets, les enjeux en terme de santé publique. Ce fut là une source de renseignements précieux car notre expérience d’élu ou de citoyen ne nous donne qu’une vision partielle des enjeux et problématiques.
Cette démarche est d’autant plus louable qu’elle illustre une nouvelle forme de gouvernance à laquelle nous souscrivons. En se construisant en direct avec la société civile, elle renforce la prise de conscience de nos concitoyens.
Monsieur le Ministre devant nos collègues députés vous avez affirmé « qu’il est plus facile d’être dans le déni ou dans le mépris de l’autre, de lancer des anathèmes plutôt que d’élaborer avec tous les acteurs de la société un diagnostic réel, sincère et sans concession ». Je vous rassure, nous partageons le diagnostic grave établi par les scientifiques, nous sommes conscients comme la majorité de nos concitoyens de l’urgence à agir, et nous sommes déterminés à mener cette lutte jusqu’au bout. Cependant, si le constat est partagé, il est de notre responsabilité politique d’affirmer, dès la discussion générale, que l’écologie est fondamentalement sociale, que la protection de l’environnement et les droits, qui y sont attachés et ceux qui nous restent à construire, nécessitent des politiques publiques fortes au service de l’homme et de l’intérêt général.
Le projet Grenelle 1 décline de bonnes intentions, parfois des objectifs plus précis, en satisfaisant inégalement selon les domaines aux attentes qu’il a suscitées. Nous pouvons d’ores et déjà, même si c’est de façon incomplète, avoir une idée sur la manière dont le Gouvernement souhaite les mettre en œuvre.
Tout d’abord, le Grenelle II, projet de loi portant engagement national pour le l’environnement, a été déposé au Sénat le 12 janvier. C’est un texte très technique qui demande un travail approfondi. Nous regrettons à cet égard que l’urgence soit déclarée. Ce texte n’a pas encore été examiné il est difficile de préjuger du résultat final, mais en l’état actuel il manque toujours des mesures structurantes, en terme de fiscalité, concernant la santé, les mesures relative à la protection des lanceurs d’alerte, et à la responsabilité sociale et environnementales restent limitées.
Ensuite, les mesures en faveur de l’environnement contenues dans les lois de finances ne sont pas plus satisfaisantes.
Rappelons que les quatre cinquièmes du financement de la réforme échappent à l’autorisation budgétaire annuelle. Le plan triennal de financement du Grenelle révèle en effet que, sur les 7,3 milliards d’euros qui seront consacrés à la mise en œuvre de ses orientations, seuls 17 % le seront sous forme de crédits budgétaires, 38 % sous forme d’allégements fiscaux nouveaux et 45 % sous forme de ressources affectées aux opérateurs ou de contribution de la Caisse des dépôts et consignations.
Nous avons eu l’occasion de donner notre sentiment sur ce que vous appelez, Monsieur le rapporteur, le verdissement des mesures fiscales : que ce soit le prêt à taux zéro acquisition, du crédit d’impôt TEPA et de l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties, l’éco prêt à taux zéro rénovation et le crédit d’impôt développement durable. Le prêt à taux zéro ne doit pas être considéré comme la solution miracle au désengagement financier de l’Etat. C’est d’abord, et avant, tout un cadeau fait aux établissements bancaires. D’ailleurs on pourrait dialoguer longuement sur les pratiques discriminatoires de certains établissements dans l’attribution de tels prêts !
On peut s’interroger sur l’efficacité de telles mesures là où un engagement financier fort de l’Etat serait nécessaire. Que penser des objectifs ambitieux en faveur de la biodiversité lorsque la mission « Urbanisme, paysage, eau et biodiversité » est amputée d’une partie de crédits prévus dans le budget écologie. Quel crédit accorder à vos bonnes intentions quand on constate que l’Office National des forêts, dont on connait le rôle dans la préservation de la biodiversité, voit ses crédits diminuer chaque année. Depuis 23 ans cet établissement public a perdu près de 37% de ses effectifs !
D’autres coupes budgétaires pourraient être dénoncées et nous n’y manquerons pas dans le cadre des débats : il en va ainsi des budgets de la recherche et de l’éducation qui ont provoqué, encore ces dernières semaines, la colère des enseignants, des lycéens et des chercheurs. Pourtant plusieurs articles du Grenelle font de la recherche et de l’enseignement les moteurs du développement durable.
Enfin, vous attendez beaucoup des collectivités locales. Elles n’ont pas attendu pour prendre en compte les impératifs de protection de l’environnement. Cependant, l’Etat ne peut pas se désengager financièrement à leur détriment, sauf à mettre en péril le grand chantier que nous souhaitons tous lancer. A ce titre, la réforme générale des politiques publiques privent nos territoires de personnels et de compétences qui étaient jusque là d’utiles expertises au service des collectivités.
Vous comprendrez que notre appréciation du texte ressorte quelque peu ternie au regard des financements réellement engagés.
Sur le fond le Grenelle 1 présente certaines avancées, d’autres points au contraire sont en net recul au regard des exigences qui s’étaient dégagées dans les groupes de travail. De plus, les avancées sont bien souvent à relativiser au regard des récentes politiques gouvernementales.
En ce qui concerne la lutte contre le réchauffement climatique nous ne pouvons que saluer les objectifs affichés et les efforts consentis au niveau européen en dépit d’un contexte politique difficile. La division par quatre de nos émissions de CO2 entre 1990 et 2050, la baisse de 20% des émissions de CO2 dans les transports à l’horizon 2020, la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique portée à 23% en 2020 constitue une feuille de route honorable même si l’urgence nous pousserait à demander plus !
Cependant, le système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre sur un marché, évidemment, « libre et non faussé » ne sert pas l’objectif de réduction des émissions de tels gaz ! Rappelons que le bilan des mécanismes d’échanges actuels n’a pas été dressé. Cette spéculation sur la tonne de dioxyde de carbone au service de l’environnement est une fausse bonne idée ! En ce qui concerne le secteur des transports, vos politiques en faveur de l’ouverture à la concurrence du transport de marchandise et bientôt du transport de voyageurs entrainent l’abandon des lignes de proximité les moins rentables, laissant aux collectivités territoriales la responsabilité d’assurer la desserte de leurs territoires ! Cela remet dangereusement en cause les objectifs en terme de report modal. Quant aux futures « autoroutes ferroviaires », elles risquent de priver l’essentiel du territoire d’une véritable relance du fret ferroviaire de proximité. De plus quelle sera l’efficacité de grandes lignes ferroviaires si les camions reprennent la route puisque tous les relais des petites lignes auront été détruits ?
Enfin, en ce qui concerne le bâtiment. La précarité énergétique qui est présente dans le logement social et dans le logement privé n’est pas prise en compte dans le texte du Grenelle. Vous ignorez sans doute que de nombreuses personnes n’ont pas les moyens de financer les travaux d’économie d’énergie nécessaires à la réalisation des objectifs.
En ce qui concerne les mesures relatives à la biodiversité : nous soutenons la mise en place d’une « trame verte », pour rétablir les continuités écologiques, et celle d’une « trame bleue » qui constitue son équivalent pour les milieux aquatiques. Je reviendrai plus longuement sur la politique de l’eau qui reste très en retard sur certains points.
Dans le secteur agricole l’objectif est de réduire l’usage des produits phytosanitaires et d’atteindre 6 % des surfaces cultivées en agriculture biologique en 2013 et 20% en 2020 (contre 2% actuellement). Ce sont de bonnes mesures. Mais quelle crédibilité accorder au Gouvernement ? Comment oublier les débats sur les OGM, ou la philosophie qui guide, depuis la loi d’orientation agricole jusqu’à la réforme de la politique agricole commune, vos actions en faveur d’une agriculture intensive, et libérale. Là encore le Grenelle 1 met en avant le bio. Mais la réalité c’est l’absence de soutien public de ce mode de production et sa mise en danger par les OGM.
Sur la question des agro-carburants, nous nous réjouissons que le texte vise ceux de deuxième et troisième génération. En effet, la question du coût environnemental des agro-carburants ne doit pas être ignorée. Nous savons qu’ils présentent de sérieux inconvénients en terme d’érosion des sols et de biodiversité. De plus, ces cultures ont commencé à se faire au détriment des cultures destinées à l’alimentation, et ça nous ne devons pas l’encourager.
Les chapitres consacrés à la prévention des risques pour l’environnement et la santé et la prévention des déchets, mériteraient qu’on leur consacre tout particulièrement les déchets, une loi de programmation détaillée. On sait que les avancées en la matière se font aux prix de luttes difficiles. Je pense ici au règlement REACH qui, sous la pression de lobbyings puissants, est malheureusement rester en deçà des objectifs de départ. L’engagement d’instaurer une filière de responsabilité élargie des producteurs de déchets est un premier pas. Cependant, la réflexion n’a pas été poussée assez loin pour réduire les déchets à la source.
Nous défendrons l’instauration d’un moratoire sur la construction d’incinérateurs. On connait les conséquences sur la santé des personnes de telles installations. Et cette connaissance nous rend responsables dès aujourd’hui des mesures à prendre pour préserver la santé de nos concitoyens.
Enfin, je vais vite car le temps m’est compté, nous porteront une attention particulière, comme nous l’avions fait lors de la loi sur la responsabilité environnementale, sur la responsabilité sociale des entreprise, et notamment celle des sociétés mères.
Le développement durable suppose une refonte radicale de nos modes de production et de consommation, mais également de lutter contre les inégalités entre les peuples et les individus. C’est pourquoi, les sénateurs du groupe CRC-SPG soutiendront des mesures visant à améliorer la protection de l’environnement mais également à promouvoir les intérêts sociaux.
Tant que le gouvernement continuera de croire que l’idéologie économique libérale, que la croissance verte peuvent tout résoudre alors toutes les bonnes intentions d’un Grenelle 1 resteront lettre morte.