Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,
« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».
Ce vers de La Fontaine pourrait fort bien s’appliquer aux exploitations agricoles, victimes des crises à répétition des monopoles de la grande distribution, de la PAC et de l’OMC.
Bien plus qu’une loi d’orientation agricole, ce texte met le turbo pour en finir avec tout ce qui a permis à des générations d’agriculteurs d’exister, de vivre ou de survivre parfois, de conquérir leur indépendance foncière, humaine et sociale depuis la seconde guerre mondiale. En témoigne ce titre d’Ouest-France du 19 octobre dernier « Douze jours pour façonner une agriculture libéralisée » et toujours dans le même article, je cite : « le états d’âme à droite qui s’étaient manifestés lors de la discussion, ont été remisés aux vestiaires... »
Le texte donne le coup de grâce à ces centaines de milliers d’agriculteurs et leur famille, qui aux yeux du gouvernement et ceux qui le soutiennent, n’ont plus lieu d’exister.
Répondant ainsi à la théorie du « moins nombreux, nous vivrons mieux », théorie qui n’a jamais fait ses preuves en France, où, malgré la réduction des effectifs agricoles - de 3. 847. 000 en 1979 à 1. 189.000 en 2003 - 60% ne paient pas l’impôt sur le revenu.
Le texte donne également le coup de grâce à la multifonctionnalité de l’agriculture préconisé par la précédente LOA de 1999 ; après avoir supprimé les CTE et la modulation, il laisse libre champ à l’injuste répartition des aides et conforte le 80% des aides à 20% des agriculteurs ; de surcroît, il ouvre de nombreuses portes à l’entrée de capitaux extérieurs à l’agriculture qui échappe au pouvoir des agriculteurs.
Le texte s’inscrit totalement, d’une part, dans la logique de l’OMC qui préconise des prix agricoles mondiaux extrêmement bas, ne permettant pas aux agriculteurs français de survivre ; il laisse penser qu’en augmentant la compétitivité et la productivité, il serait possible de se rapprocher de cette aberration économique qu’est le prix mondial. D’autre part, il s’inscrit dans la baisse des prix agricoles, la réduction et la renationalisation des aides. Le 29 mai dernier, 70% des agriculteurs ont su dire NON à ces orientations confirmées et amplifiées par la Loi d’orientation agricole que nous nous apprêtons à examiner. L’amnésie et la cécité des promoteurs de ce texte pourrait conduire à de nouvelles déceptions, mais la ligne de conduite du gouvernement, n’est-elle pas de dire « libéralisons, libéralisons, il en restera toujours quelque chose ! »
Venons-en à l’analyse des principales dispositions de ce texte où le plat de résistance est servi dès l’entrée et où les amuse-gueule viennent clore le menu.
En 1999, déjà, la majorité de droite du Sénat s’était acharnée à modifier les titres des chapitres et articles de la loi GLAVANY, en y introduisant systématiquement les mots « entreprises » ou « entrepreneurs ». La droite a au moins un mérite, c’est celui d’avoir de la suite dans les idées, même quand elles ne sont pas bonnes.
L’entreprise agricole et ses nouvelles formes sociétaires permettant à des non-agriculteurs d’entreprendre est un pas de plus vers la privatisation capitalistique de l’agriculture.
Le dispositif de création d’un fonds agricole comparable au fonds de commerce ou artisanal, intègre le foncier, le cheptel et le matériel, chose normale, mais se voit grossit par des éléments incorporels tels que les quotas laitiers, les quotas de tabac, de carbone, les DPU, les marques de producteurs, les accords commerciaux... Quelques remarques :
1) Le volume financier exorbitant de ces fonds va rendre de moins en moins transmissibles les exploitations agricoles.
2) Les éléments incorporels ne vont profiter qu’à une seule génération d’agriculteurs, appât de circonstance pour trouver grâce auprès du monde agricole.
3) Ces éléments incorporels n’ont pas été achetés par les agriculteurs, ils leur ont été accordés et ne peuvent donc être vendus. Ils sont inconstitutionnels au sens de l’égalité de traitement des citoyens.
4) Ces fonds ne peuvent être amortissables au plan comptable, ils pénalisent donc les futures générations, à savoir, nos enfants, nos petits-enfants.
5) Le nantissement du fonds agricole qui se veut être une garantie risque, a contrario, d’accroître la dépendance des futurs acquéreurs vis-à-vis des organismes bancaires.
6) Ce fonds qui est censé organiser la transparence, régularise de fait les multiples pratiques frauduleuses qui intégraient déjà, dans le cadre des transmissions, certaines valeurs incorporelles légalement non commercialisables.
Il légalise donc la fraude existante, c’est peu flatteur dans un texte de loi !
Le fonds agricole optionnel est une fausse bonne idée, M. le Ministre, opportunité d’aujourd’hui, handicap de demain et vecteur d’une financiarisation forcenée. Nous le combattrons dans le cadre du débat.
ÿ Deuxième grande idée de ce texte : le bail rural cessible hors du cadre familial. Cette mesure nous prépare à un débat succulent au sein de cette assemblée, où votre majorité va exiger toujours plus de garanties et de droits pour le bailleur, malgré les larges compensations fiscales et financières que leur accorde le texte. Cela s’appelle « le beurre et l’argent du beurre ! »
ÿ Il est vrai que ce nouveau type de bail comporte de multiples inconvénients :
1) Il remet en cause le statut du fermage qui jusqu’à présent, n’autorisait de transmettre le bail sans autorisation qu’au conjoint ou aux descendants.
2) Il s’attaque encore au statut du fermage en permettant au bailleur le non-renouvellement sans motif.
3) Il engage pour 18 ans au lieu de 9 ans et fait flamber le loyer des terres jusqu’à 50% de majoration.
4) Il interdit au bailleur, sauf paiement d’une indemnité, de conserver toute maîtrise de l’avenir et choix de ses locataires, y compris sur ses propres descendants.
5) Il supprime le droit de préemption, des SAFER.
6) Enfin, il va créer de sérieuses difficultés aux collectivités locales en matière d’acquisition et de prix pour leur développement. Comment va-t-on pouvoir acheter ou exproprier des terrains faisant à la fois partie d’un fonds agricole et d’un bail cessible, M. le Ministre ?
La question mérite d’être posée.
L’article 2 bis qui autorise la participation de personnes morales aux sociétés agricoles bénéficiant de mises à disposition de biens loués vient conforter notre analyse du texte. En effet, l’apport en capitaux de non-exploitants ouvre des brèches insoupçonnables quant à la maîtrise des orientations de demain et la prise de participation de puissances financières hostiles à notre agriculture.
L’article 5 atténue le contrôle des structures de la CDOA et tout particulièrement celui des agrandissements. Il va dans le sens du libéralisme et supprime les derniers freins existant à la concentration en relevant les seuils de contrôle, et en soustrayant du champ de l’autorisation préalable la diminution du nombre d’associés - les prises de participation au capital d’une exploitation - le contrôle des élevages hors-sol et l’action régulatrice des SAFER.
Quant l’article 6, nous proposerons de le supprimer dans la mesure où il fait porter tous les risques financiers à l’agriculteur, cédant dans le cadre du crédit-transmission.
ÿ Le chapitre II a trait à l’amélioration de la protection sociale et des conditions de travail des personnes.
‹ Les mesures d’accès au statut de conjoint-collaborateur, si elles vont dans le bon sens, doivent être rendues obligatoires. Quant au crédit d’impôt relatif au remplacement pour congé de l’exploitant, il risque de se heurter à un déficit de main-d’œuvre et une précarisation de celle-ci dans la mesure où il nécessiterait 16.000 emplois pour seulement 3900, équivalent temps plein.
‹ La multiplication des exonérations de charges sociales au sein de ce chapitre ne va pas dans le sens que nous préconisons et les contributions sociales des entreprises sont nécessaires aux bon fonctionnement de notre modèle social, mis à mal ces dernières années. Réduire le code du travail à une peau de chagrin d’un côté et faire des cadeaux au patronat de l’autre, ne relève pas d’une politique responsable.
Le titre II prétend consolider le revenu agricole et favoriser l’emploi. Parler de revenu agricole sans évoquer la question centrale des prix agricoles, relève d’un tour de passe-passe dont le gouvernement a le secret. Certes, la biomasse et les biocarburants peuvent être des sources de revenu non négligeables, mais la frilosité du gouvernement en matière de défiscalisation est évocatrice du devenir de ces filières. Demain, comme pour d’autres productions, ce seront l’Etat et ses taxes, les usines de transformations des matières premières, les exploitations industrielles et l’agro-business qui se sucreront aux dépens des producteurs ordinaires.
‹ Quant à la participation de l’ONF dans des sociétés privées, à savoir les industries de transformation du bois, c’est le début de sa privatisation par effet inversé, c’est-à-dire que le jour où elle possédera un pourcentage suffisant de capitaux dans le secteur privé, elle n’aura plus lieu de demeurer dans le giron public.
L’organisation de l’offre constitue le second volet d’une politique agricole destinée à consolider le revenu, selon le texte. Ce volet de la loi n’est pas le moins libéral, loin s’en faut, sous des aspects techniques et organisationnels, il instille partout les germes d’une agriculture calquée sur le monde industriel.
‹ Aujourd’hui, environ 50% des producteurs ont choisi de ne pas commercialiser leurs produits par les organisations de producteurs, cette liberté de choix est mise en cause par le mécanisme de la loi qui privilégie les OP et le transfert de propriété des produits agricoles. Il s’agit en fait de généraliser l’intégration, de faire des agriculteurs les futurs salariés des OP. Nous avons déjà pu constater les dégâts en Côtes d’Armor et en Bretagne pour la filière avicole qui était la plus intégrée. Dire que le regroupement de l’offre permettra de faire face aux centrales d’achat, c’est tromper le monde agricole. Les centrales achètent où elles veulent, quand elles veulent et au prix qu’elles ont décrété.
Tant que des mesures nationales et communautaires coercitives ou incitatives ne seront pas prises à l’égard des centrales d’achat, il sera vain de parler d’une véritable politique de revenus rémunérateurs pour les producteurs. Ni la loi, « Nouvelles Régulations Economiques », ni la loi relative au Développement des territoires ruraux, ni le coefficient multiplicateur ne sont parvenus à établir des relations équilibrées entre producteurs et centrales d’achat.
Le troisième et dernier volet de la politique des revenus a trait aux aléas climatiques et à l’assurance récolte. Les mesures préconisées encouragent le recours aux assurances privées au détriment de mesures de solidarité nationale et de renforcement du FNGCA.
En ce qui concerne la coopération agricole, le texte tue définitivement l’esprit coopératif en introduisant les parts sociales à avantage particulier pour les coopérateurs les plus argentés et en permettant aux associés non coopérateurs, porteurs de capitaux, de percevoir des dividendes à l’image de ce qui se passe dans n’importe quelle société privée.
Le titre III de la loi tente de « répondre aux attentes des citoyens et des consommateurs ». Le gouvernement se donne ainsi bonne conscience en confiant l’évaluation du risque lié aux intrants agricoles à l’AFSSA, il privatise au passage les contrôles de véhicules transportant des denrées alimentaires en habilitant des agents, via un GIE, à assurer ces contrôles en lieu et place des agents des DSV.
Il adapte le régime de signes de qualité à la réglementation communautaire, le tout par ordonnance, s’il vous plaît ! Enfin, de modestes gages sont jetés en pâture à l’agriculteur biologique qui se voit attribuer un crédit d’impôt de 2005 à 2007 et la possibilité de conclure un bail environnemental.
Le titre IV a pour but de simplifier et moderniser l’encadrement de l’agriculture.
‹ La coordination des organismes d’enseignement, de formation, de recherche et de développement agricole, sans doute nécessaire, aboutira-t-elle à la pensée unique du modèle agricole français, voulue par cette loi ?
‹ Le dispositif génétique se voit passer sous les fourches caudines du service universel, ce qui veut dire en français, qu’il est livré à la concurrence du secteur privé.
Enfin, les offices agricoles sont restructurés en un organisme de paiement ; l’Agence unique de paiement qui est concernée par les aides du premier pilier et le CNASEA qui sera chargé des aides du second pilier.
‹ Bien que très technique, l’article 29 signe le début de la fin des offices et de leurs fonctionnaires et personnels à statut public, un signe qui ne trompe pas, l’AUP pourra employer des personnels sous contrat à durée indéterminée.
Je laisse le soin à notre charmante collègue, Gélita HOARAU, de traiter des questions spécifiques liées à l’Outre-mer, domaine qu’elle connaît beaucoup mieux que moi et qu’elle aura à cœur de défendre.
M. le Ministre, mes chers collègues, notre groupe estime que votre texte est contraire à l’idée que nous nous faisons d’une agriculture moderne du XXIème siècle, nous ne sommes ni des passéistes, ni des archaïques, ni des nostalgiques.
Notre modernité est de placer l’homme au cœur des défis de notre société, et pas d’en faire une variable d’ajustement de la rentabilité des capitaux investis comme le confirme les orientations libérales et ultralibérales.
Nous combattrons donc ce texte en sollicitant de nombreuses suppressions d’articles, mais nous avons aussi une vision de l’agriculture dont notre pays et notre ruralité ont besoin, aussi, nous proposerons un certain nombre d’amendements constructifs.
L’agriculture française, à l’issue de cette loi, va tout droit dans les dix ans à venir vers une diminution spectaculaire du nombre de ses exploitations qui va être divisé par deux ou trois.
Le modèle agricole dont la France a besoin devrait s’articuler autour d’objectifs clairement définis.
‹ Assurer l’indépendance alimentaire du pays à partir de structures multifonctionnelles, de taille différente, aux productions variées, au sein desquelles exploitants et salariés soient le plus nombreux possible, avec des revenus réguliers et rémunérateurs.
‹ Donner les moyens aux jeunes diplômés ou non d’accéder au métier d’agriculteur, en revalorisant la DJA et en l’accordant à tous - en assurant les compléments de formation nécessaires tout au long de leur carrière.
‹ Favoriser l’accès au sein des exploitations en développant et modernisant les GAEC et l’achat de parts sociales.
‹ Encourager l’agriculture familiale et multifamiliale.
‹ Accorder les droits à produire au prorata des emplois existants sur l’exploitation et interdire leur commercialisation.
‹ Répartir les aides différemment en tenant compte des emplois existants, des différences de capacité productive des régions.
‹ Adapter les cotisations sociales au revenu agricole.
‹ Elever de manière significative le montant des retraites agricoles en mettant à contribution les super profits de la grande distribution et de l’agro-business.
‹ Diversifier les modes de commercialisation en favorisant la vente directe ou collective, les sociétés coopératives d’intérêt collectif, les sociétés coopératives de production, en interdisant la vente à perte et en contraignant, par la loi, à pratiquer des prix rémunérateurs.
‹ Etablir des coopérations mutuellement avantageuses avec les pays du Sud.
‹ Repenser la PAC et sortir l’agriculture des négociations de l’OMC.
‹ Rassembler agriculteurs, consommateurs et distributeurs autour d’objectifs solidaires de qualité sanitaire et environnementale, de prix et de coopération.
‹ Recréer le lien affectif entre agriculteurs et non-agriculteurs par la reconnaissance du travail et du rôle de chacun.
‹ Conforter le rôle culturel, social et économique de l’agriculture en milieu rural et périurbain.
Oui, ces propositions non exhaustives sont aux antipodes de la loi qui nous est proposée, elles permettraient cependant de réorienter l’agriculture dans un sens humain et moderne.
Au moment où le ciel s’assombrit dans le cadre de la PAC qui réduit ses soutiens internes et ses subventions aux exportations de l’Europe, qui baisse son pantalon devant l’OMC en réduisant les tarifs douaniers de 35 à 60%, selon les produits.
Au moment où la plupart des productions sont en crise, ce n’est pas d’une loi qui amplifie les causes de la situation actuelle dont nous avons besoin.
« Nous sommes en guerre. Une guerre sans trêve pour conquérir le marché intérieur et le marché extérieur... » affirme le Ministre brésilien de l’Agriculture.
Oui, le veto du Président de la République est nécessaire à Hong Kong, nécessaire mais pas suffisant.
Oui, la critique du comportement du Commissaire MANDELSON, qui brade l’agriculture française est nécessaire mais pas suffisante.
Il faudra, demain, réformer la PAC, l’OMC, et à nouveau la politique agricole française si nous voulons construire un monde meilleur pour les hommes et non pour le capital.
Là est toute la contradiction de la majorité gouvernementale qui soutient un texte moulé sur mesure pour répondre aux objectifs de la PAC et de l’OMC.