Les services publics ne doivent pas être considérés comme de simples activités marchandes

Modification du statut de La Poste : explication de vote sur la motion d’irrecevabilité

Publié le 3 novembre 2009 à 16:58 Mise à jour le 8 avril 2015

Explication de vote sur la motion d’irrecevabilité

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Les services publics ne doivent pas être considérés comme de simples activités marchandes, c’est pourquoi en 1946, le Constituant a souhaité protéger les citoyens contre la domination des puissances économiques et financières. L’Etat a le droit mais surtout le devoir d’intervenir dans certaines activités, car il est le seul à pouvoir préserver l’intérêt général.

En réservant la propriété des services publics nationaux à la collectivité, le Constituant a entendu protéger celle-ci contre les appétits privés. Par notre motion, nous dénonçons solennellement, devant vous, l’atteinte grave qui est portée au Préambule de 1946, et à travers lui à l’intérêt général !
Or, cette atteinte est inadmissible car nous touchons là au noyau irréductible de ce qui doit demeurer sous le contrôle de la Collectivité, ce qui doit appartenir à l’ensemble de la communauté.

L’exploitant public La Poste, comme vient de le montrer ma collègue Marie-France Beaufils, constitue un monopole de fait et exploite un service public national du fait de la volonté du législateur. Certaine de ces activités dépendent de services publics constitutionnels comme celui de la Justice, mais également de la défense.

C’est pourquoi le projet de loi du Gouvernement en dépossédant la collectivité au profit de la satisfaction des intérêts privés est inconstitutionnel. Cette nouvelle atteinte du gouvernement au socle des services publics est d’autant plus grave que ce même gouvernement fait reposer sur l’opérateur historique de lourdes responsabilités en matière de défense nationale et de sécurité publique.

Ainsi, en vertu de l’article R1-1-25 issu du décret du 5 janvier 2007 relatif au service universel postal et aux droits et obligations de La Poste et modifiant le code des postes et télécommunications, « La Poste prend, conformément aux directives du ministre chargé des postes, toute mesure utile pour assurer l’exécution des missions de défense nationale et de sécurité publiques qui lui sont prescrites. A ce titre, elle accomplit toute opération considérée comme indispensable à la continuité de l’action gouvernementale ». On voit mal comment demander à La Poste société anonyme d’assurer de telles missions.
C’est pourquoi il est nécessaire que l’entreprise reste un exploitant public sous le contrôle exclusif de l’Etat.

La volonté du gouvernement de livrer in fine coûte que coûte l’exploitant public au privé, alors même qu’il s’agit d’un service public national entraîne des incohérences dans le texte : A calquer un peu vite le modèle de la société anonyme sur l’établissement public le gouvernement a oublié quelques règles élémentaires.

Ainsi, l’article 7 du projet de loi prévoit que les fonctionnaires de la poste sont sous l’autorité du président de la poste et gérés par lui. Le gouvernement a rappelé l’avis du Conseil d’Etat du 18 novembre 1993, pour nous rassurer sur une éventuelle violation de l’article 13 de la Constitution et de l’ordonnance du 28 novembre 1958. Ce texte précise les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du Président de la République peut être délégué par lui.
Cependant, l’article 7 du projet de loi en prévoyant que le président de La Poste peut « autoriser la subdélégation de ses pouvoirs de nomination et de gestion » dépasse largement les questions posées au Conseil d’Etat en 1993 et entre en contradiction avec l’article 13 de la Constitution. En effet, cela revient à permettre que des fonctionnaires soient nommés par des salariés de droit privé par exemple.

Vous le voyez, les griefs d’inconstitutionnalité du projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales sont nombreux.
Par ailleurs, M. Estrosi se dit prêt à soutenir un amendement visant à reconnaître le caractère de service public national de la Poste. Très bien, mais dans ce cas là, tirez-en les conséquences et retirez votre projet de loi. Vous dîtes « Service public national / société anonyme », nous nous disons « Service public national établissement public national ». Nos différences sont irréductibles malgré vous manipulations pour laisser penser le contraire.
De plus, le Conseil Constitutionnel a précisé que « le transfert au secteur privé d’une entreprise exploitant un service public national suppose que le législateur prive ladite entreprise des caractéristiques qui en faisait un service public national ».

Mes chers collègues, en votant le changement de statut de La Poste, et le titre II du projet de loi, qui met en œuvre l’ouverture totale à la concurrence ; que fait d’autre le législateur si ce n’est de priver La Poste de ses caractéristiques de service public national ?
D’un côté le Gouvernement veut inscrire dans la loi que La Poste exploite un service public national et par ce même projet il prive l’entreprise de tous les éléments qui en font un service public national.

Mes chers collègues, il s’agit pour nous de protéger l’intérêt général, il s’agit ici de préserver des activités régaliennes de l’Etat, il s’agit de préserver un outil essentiel de la solidarité nationale. C’est pourquoi, les sénateurs du groupe CRC-SPG soutiennent avec force cette motion et votent bien évidemment pour.

Odette Terrade

Ancienne sénatrice du Val-de-Marne

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