Le loup a sa place en France, et une cohabitation avec les activités pastorales doit être possible

Création des zones d'exclusion pour les loups

Publié le 30 janvier 2013 à 08:37 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà près de vingt-cinq ans, le loup entrait de nouveau en France après y avoir été exterminé entre le XIXe siècle et le début du XXe siècle, pour disparaître en 1939.

Aujourd’hui, il est de nouveau présent dans de nombreux territoires, notamment les Alpes, le Jura, le sud du Massif central, les Pyrénées orientales, les Vosges,…

M. Pierre Hérisson. La Haute Savoie !

Mme Évelyne Didier. …et j’en oublie sans doute !

C’est un prédateur sociable et intelligent qui se nourrit essentiellement d’espèces sauvages. Celles-ci représentent de l’ordre des trois quarts de son régime alimentaire.

M. Jean-Louis Carrère. Et ces espèces ne sont pas menacées ?

Mme Évelyne Didier. Certes, certains de mes collègues ont cité les chiffres, le nombre d’attaques de troupeaux d’ovins augmente. Toutefois, ne nous y trompons pas, cette évolution est surtout due à l’extension de l’aire de présence du loup. Ce dernier prend simplement de plus en plus de place en France.

M. Alain Bertrand. Précisément !

M. Rémy Pointereau. Eh oui !

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. Il faut donc la juguler !

Mme Évelyne Didier. Il s’agit donc non pas d’une densification, mais d’une présence de plus en plus étendue, d’un étalement de l’aire géographique des loups.

M. François Fortassin. Eh oui !

Mme Évelyne Didier. Cet accroissement de la population de loups n’a pas vocation à être infini, puisque le territoire est, de fait, limité.

M. Dominique Watrin. Soit, ils s’arrêteront à Brest ! (Sourires.)

Mme Évelyne Didier. Pour autant, nous sommes tout à fait conscients de la préoccupation des éleveurs qui perdent régulièrement des bêtes et voient ainsi une partie de leur travail anéanti. Même si le bénéfice du doute leur est toujours favorable, l’indemnisation parvient difficilement à compenser les préjudices subis et nécessite surtout des procédures très lourdes.

Ainsi, la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise prévoit d’établir un zonage au niveau de précision de la commune, soit quelques dizaines de kilomètres carrés, pour une espèce dont le territoire est d’un tout autre ordre de grandeur. En effet, une meute de loups couvre un espace représentant, en moyenne, 200 à 300 kilomètres carrés.

De surcroît, ce zonage, changeant d’une année à l’autre, permettrait d’abattre des loups dans chacune de ces zones et dans des proportions déterminées selon des modalités que le présent texte ne définit pas. Il reste également à interpréter ce qu’est une « perturbation de grande ampleur aux activités pastorales ». Voilà une notion juridiquement peu claire !

La motivation de ce texte réside dans une volonté de contraindre les populations de loups à s’adapter aux activités humaines par une régulation plus adaptée.

Cependant, la France est tenue par ses engagements européens, avec la directive « Habitats » de 1992, et internationaux, avec la convention de Berne de 1979. Il faut protéger le loup.

Par ailleurs, notre pays s’est engagé dans une politique claire de protection de la biodiversité, que traduit la stratégie nationale pour la biodiversité et qui est désormais au cœur de la conférence environnementale.

C’est bien cette protection nationale et internationale qui a, de fait, permis l’expansion du loup depuis les Apennins italiens.

Le groupe CRC est profondément attaché à la stratégie de protection des espèces vulnérables, qui est nécessaire pour assurer l’équilibre des écosystèmes. C’est une nécessité légale et, surtout, une nécessité pour le bon fonctionnement de la nature.

De fait, le loup rend des services éco-systémiques par la prédation d’animaux sauvages : la dispersion de certaines espèces évite des concentrations excessives dommageables à la flore comme à d’autres espèces animales. Le loup assure également l’élimination d’animaux faibles et malades. Il permet sans aucun doute à d’autres espèces moins connues de bénéficier également de ces moyens de protection. C’est ce qu’il est convenu d’appeler le principe de « l’espèce parapluie », qui vaut également pour le panda ou la baleine bleue.

Nous avons tendance à plaindre davantage les baleines bleues et les tigres,…

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Que les moutons !

Mme Évelyne Didier. … ce qui revient à sous-entendre que ce qui est très bien chez les autres ne l’est pas nécessairement chez nous. Prenons garde à ces contradictions !

La régulation de la population des loups se fait avant tout naturellement par la compétition pour les territoires que j’ai déjà évoquée. Néanmoins, la survenance de dommages importants causés sur les troupeaux d’ovins exige également que l’homme adopte des mesures supplémentaires de régulation, en prélevant un certain nombre d’individus (M. le président de la commission manifeste son scepticisme.), qui, en dépit des moyens de protection, causent des dommages répétés susceptibles de prendre une plus grande ampleur si rien n’est fait.

De telles dispositions sont prévues par l’article 9 de la convention de Berne, qui énumère un certain nombre de dérogations possibles, en particulier pour « prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts ». Telle est l’action qui est actuellement menée par l’État. Je relève, au passage, qu’un changement de gouvernement a eu lieu il y a quelques mois :…

MM. Jacques Mézard et Henri de Raincourt. Ah bon ? (Sourires.)

Mme Évelyne Didier. Le plan loup a été mis en place par un gouvernement de sensibilité politique différente. L’État agit conjointement avec l’aide de ses agents bénévoles, des louvetiers, et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS.

En vérité, ce texte révèle un tout autre malaise : celui du pastoralisme.

Les difficultés ne datent pas des années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix. La concurrence internationale est forte, par exemple face à la Nouvelle-Zélande. Les troupeaux sont de plus en plus grands et la main-d’œuvre de moins en moins nombreuse. La faible présence humaine n’est d’ailleurs sans doute pas étrangère au problème qui nous occupe aujourd’hui.

Pour autant, le secteur ne survit que grâce au soutien de l’État et de l’Union européenne : en moyenne, les deux tiers du revenu des éleveurs sont constitués de subventions publiques, sans compter les aides liées au loup, qui profitent également au pastoralisme, même s’il s’agit de traiter des dommages. Je pense aux subventions pour l’achat de matériels de protection, pour l’acquisition de chiens ou encore pour l’emploi de bergers et d’aides-bergers.

Cette politique de soutien doit être poursuivie, car le pastoralisme est une activité nécessaire et structurante pour nos territoires. La France est déjà très dépendante de l’étranger en matière de viande de mouton notamment. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous devons protéger l’élevage ovin.

De plus, la question de l’entretien des alpages est manifeste.

Le plan loup nous permet de dresser un état des lieux réguliers de la situation, et son élaboration doit être l’occasion de mener une véritable concertation. Le plan d’action national sur le loup 2008-2012, engagé, je le répète, par un gouvernement de droite, arrive à son terme, et le plan 2013-2017 est en cours d’achèvement.

Il est indispensable que le ministère de l’écologie mène ce travail avec ambition et aboutissent à des résultats en intégrant toutes les parties prenantes. Les conclusions du groupe national loup seront d’ailleurs rendues publiques la semaine prochaine, et le plan sera dévoilé en avril. J’espère vivement qu’il tiendra compte de tout ce qui aura été dit aujourd’hui dans cet hémicycle, comme de tout ce qui s’est dit dans les différents territoires.

D’ici là, profitons de cette occasion pour dire ce qu’il y a à dire et pour que le nouveau plan loup puisse satisfaire tous les acteurs. Quelles que soient ses conclusions, les dispositifs d’accompagnement existent, ainsi que les mesures de défense et de régulation.

On peut estimer que l’accompagnement n’est pas satisfaisant, ni même suffisamment mobilisé ; c’est pourquoi il est avant tout nécessaire d’encourager les pratiques innovantes, les retours d’expérience et les échanges entre éleveurs sur les pratiques pastorales pour les adapter.

M. Alain Bertrand. Des études ! Toujours des études !

Mme Évelyne Didier. Il convient donc d’anticiper en toute transparence l’expansion future de la population des loups, afin de préparer les évolutions à venir et de laisser le temps aux hommes de prendre la mesure des changements nécessaires.

Le loup a sa place en France, et une cohabitation avec les activités pastorales doit être possible. Elle doit être organisée ; partant, il faut la préparer. Cependant, chaque région a ses spécificités culturales, pastorales et historiques : il est donc indispensable d’adapter les modalités d’action à chaque territoire.

Sur ce plan, les déclarations de Mme la ministre me semblent aller dans le bon sens. Même si je comprends l’appel lancé par notre collègue Alain Bertrand, j’estime qu’il faut laisser le travail de long terme engagé par le ministère de l’écologie s’accomplir sereinement dans le cadre du nouveau plan loup, fondé sur la concertation avec tous les acteurs.

Croire qu’un texte de loi peut résoudre une question aussi complexe ne me semble pas raisonnable.

M. Jacques Mézard. À quoi sert le législateur ?

M. Alain Bertrand. C’est cela, supprimons le Parlement !

Mme Évelyne Didier. Au contraire, cette démarche est de nature à créer un clivage sur ce débat, ainsi que nous avons pu le constater ici. Cela ne doit pas être.

C’est pourquoi, dans sa grande majorité, le groupe CRC n’est pas favorable à la présente proposition de loi.

Évelyne Didier

Ancienne sénatrice de Meurthe-et-Moselle
Voir le site Contacter par E-mail

Ses autres interventions :

Sur le même sujet :

Environnement