La paupérisation d’une frange importante de la population soustrait celle-ci à l’accès à ce bien de première nécessité qu’est l’énergie

Transition énergétique

Publié le 25 février 2014 à 18:21 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout le monde s’accorde sur un point : la transition énergétique est devenue nécessaire, voire inéluctable, pour répondre à l’augmentation continue du prix du pétrole et au réchauffement climatique. Ce débat, le deuxième sur ce sujet depuis le début de l’année, est donc le bienvenu.

Cependant, dès que l’on parle de transition énergétique, de nouvelles interrogations apparaissent. Quelle énergie, et au service de qui ? Une transition décidée par qui, comment, sur quels critères ? En combien de temps ?

Toutes ces questions révèlent des tensions entre enjeux et acteurs différents. Ainsi, nous devons trouver de nouveaux modes de développement, de vie et de déplacement, réduire nos besoins et trouver de nouvelles sources d’énergie, sans toutefois fragiliser nos tissus économiques et sociaux ni renoncer complètement à notre confort, tout en étant attentifs à nos factures. Voilà bien des contradictions !

C’est dans ce contexte que nous débattons de cette proposition de résolution.

D’un point de vue économique, il est plus aisé d’aborder tout changement lorsqu’on se sent fort et rassuré. Or, aujourd’hui, c’est plutôt la « précarité » énergétique qui se développe en France. Nous regrettons, chers collègues, que vous n’utilisiez pratiquement pas ce terme dans votre proposition de résolution. Pourtant, la paupérisation d’une frange importante de la population soustrait celle-ci à l’accès à ce bien de première nécessité qu’est l’énergie. En outre, se profile toujours le risque d’une remise en cause du droit pour chacun d’accéder à l’énergie : que l’on songe à la volonté avortée de mise en place d’un bonus-malus énergétique...

La question énergétique est politique et sociétale avant d’être technique.

Nous devons prendre garde à ne pas transformer le droit des usagers-citoyens en une question de solvabilité du client.

De plus, le secteur énergétique a été largement libéralisé. Or la concurrence et la production privée ne peuvent assurer, à elles seules, un droit égal pour tous à l’énergie. Elles ont, en revanche, contribué à des hausses tarifaires importantes. Seule l’existence d’un grand service public garantit ce droit. Mais, à aucun moment, cette option n’apparaît dans votre proposition de résolution.

Par ailleurs, au regard des travaux de la commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité, dont j’étais membre, nous ne souscrivons toujours pas au postulat d’une hausse inéluctable des tarifs de l’énergie qui guiderait les choix énergétiques de demain.

Le débat national organisé l’an dernier était, convenons-en, extrêmement complexe : sa seule organisation n’a-t-elle pas nécessité un document de 106 pages ?

Certaines questions n’ont pas été évoquées, entre autres celles des externalités et des hausses tarifaires. Or nos concitoyens doivent disposer d’un état des technologies disponibles, de leurs atouts, de leurs risques. Il est important d’avoir des informations précises et dépassionnées sur toutes les solutions possibles en matière de mix énergétique : par exemple, le bilan carbone des énergies renouvelables, le bilan des aides publiques indirectes et directes, une évaluation des perspectives en termes d’emploi, d’activité industrielle ou de filière.

Nous le savons, et vous le rappelez dans votre proposition de résolution, il y aura pénurie de pétrole dans un futur proche. Toutefois, la course aux hydrocarbures est loin d’être terminée. Certes, l’énergie nucléaire nous a assuré une certaine indépendance énergétique et nous a fait bénéficier de l’électricité la moins chère d’Europe. Mais, après le dramatique accident de Fukushima, nous avons des exigences encore plus élevées en termes de surveillance et de maintenance des centrales. Il nous faut abandonner la sous-traitance et rendre à l’opérateur historique son rôle majeur, dégagé des contraintes de rentabilité.

Nous devons, de plus, réduire progressivement la voilure, de manière réaliste et raisonnable, contrairement à ce que vous proposez dans votre texte.

L’hydroélectricité, que vous évoquez également, est la première ressource d’énergie renouvelable et stockable en France. Les investissements réalisés dans notre pays nous permettent de bénéficier d’une capacité d’énergie dont le coût de production est plus faible que celui tout autre moyen de production. Pourtant, la perte de son statut d’établissement public et la suppression du droit de préférence portent juridiquement l’idée d’une mise en concurrence des concessions hydroélectriques.

La France serait donc le seul pays à offrir au marché ses torrents, ses rivières, ses lacs et ses fleuves, alors que les autres États européens ont pris des dispositions protectionnistes ?

M. Roland Courteau. Et voilà !

M. Jean Desessard. Ce n’est pas tranché...

Mme Mireille Schurch. Nous sommes, vous le comprendrez, opposés à une telle ouverture à la concurrence.

Autre question, et non des plus anodines, abordée par la proposition de résolution : l’effacement.

Pour conduire à une meilleure sobriété énergétique, l’effacement s’inscrit dans une logique vertueuse qui consiste à décaler une consommation d’énergie, et non pas à l’annuler systématiquement. Seul un système public intégré doit être mis en œuvre, piloté par RTE, ERDF et l’État.

Nous devons aussi miser sur l’installation massive des compteurs intelligents. À ce sujet, monsieur le ministre, pouvez-vous me dire où en est l’appel d’offres ? Vous le savez, je soutiens l’entreprise Landis+Gyr de Montluçon, qui pourrait fabriquer ces compteurs et même développer les suivants, encore plus communicants. J’attends votre réponse.

L’effacement doit reposer, selon nous, sur le volontariat et une réduction de facture pour l’usager, sans que cela entraîne pour lui la moindre restriction. Les gains pour la collectivité doivent permettre de financer la réalisation de travaux d’économie d’énergie, et non enrichir un nombre réduit d’agrégateurs commerciaux. Or la mise en place du marché de capacités que nos collègues de l’UMP appellent de leurs vœux est tout simplement contraire à ces objectifs, donc à l’intérêt général.

L’État stratège doit rester responsable de la cohérence nationale de la politique énergétique, de son efficacité, dans l’intérêt général, et de ses déclinaisons fiscales. Nous ne pensons pas, même si l’idée est séduisante, que la transition énergétique se fera par le biais d’une organisation régionale de l’énergie.

Une variabilité des prix selon le territoire est très dangereuse. (M. Jean-Claude Lenoir acquiesce.) Aux fractures déjà existantes en termes de transport et de présence des services publics, dont nous parlons tant dans cet hémicycle, s’ajouterait une fracture énergétique ; sans compter l’impératif d’une cohérence globale des réseaux de transport et de distribution.

La péréquation doit être le fil conducteur de toute politique énergétique.

Parce que les solutions énergétiques d’aujourd’hui sont appelées à bouger, la constitution d’un « pôle public de l’énergie », dont l’État serait le pivot, s’impose. Il serait la garantie du développement d’une filière multi-énergie performante. Il permettrait de favoriser la sécurité et les recherches fondamentales – sur la filière hydrogène, par exemple – et appliquées. De même, seul l’État peut structurer et pérenniser une filière de la rénovation thermique.

Pour toutes ces raisons, et parce tout ne peut être affaires de compétitivité, notre vision est aux antipodes de celle qui sous-tend cette proposition de résolution. C’est pourquoi les sénateurs du groupe CRC ne la voteront pas.

Mireille Schurch

Ancienne sénatrice de l'Allier

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