La concurrence libre et non faussée n’a pas démocratisé l’accès aux nouvelles technologies

Télécommunications

Publié le 8 décembre 2010 à 09:52 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le secteur des télécommunications constitue un merveilleux exemple de l’incapacité du marché à susciter une véritable concurrence qui, à défaut de servir l’intérêt général, profiterait au moins un peu aux consommateurs.

L’ouverture du secteur à la concurrence, notamment en ce qui concerne la téléphonie mobile, a très vite donné lieu à des condamnations du Conseil de la concurrence concernant les trois opérateurs principaux.

Dès la fin des années 1990, l’autorité administrative indépendante dénonçait les ententes commerciales, établies à travers l’existence de documents manuscrits mentionnant de manière explicite un « accord » entre les trois opérateurs. Elle signalait l’existence d’une « pacification du marché », ou encore de ce que l’on avait appelé un « Yalta des parts de marché », et décrivait les similitudes relevées au cours de cette période dans les politiques commerciales des opérateurs, notamment en matière de coûts d’acquisition et de tarification des communications.

Dans ce contexte de déséquilibre dans les relations commerciales, le Gouvernement a fait le choix d’un droit peu contraignant, accompagné d’un code de bonne conduite. Ce fut le cas, dans d’autres secteurs, avec la loi de modernisation de l’économie, mais également avec la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.

Bien entendu, cette politique ne fonctionne pas, et il n’est guère étonnant de voir l’ARCEP conclure, deux ans après l’entrée en vigueur de la loi Chatel, que « les dispositions de la loi n’ont été que partiellement appliquées par les opérateurs et [que] les modalités de leur mise en œuvre appellent certaines critiques ».

Cette instance constate également que la concurrence demeure limitée, les consommateurs restant majoritairement engagés pour des périodes longues chez leurs opérateurs.

On se souvient par ailleurs des engagements sans lendemain de la grande distribution envers les producteurs. Dès lors, vous comprendrez que les accords du 23 septembre 2010 entre le secrétaire d’État chargé du commerce et de la consommation, Hervé Novelli, et la Fédération française des télécoms, nous laissent dubitatifs.

Aujourd’hui, nous constatons que la concurrence libre et non faussée n’a pas su démocratiser l’accès aux nouvelles technologies, pas plus qu’elle n’a favorisé un développement équitable et harmonieux des infrastructures et des réseaux sur l’ensemble du territoire.

Les lacunes du service universel, comme les offres spéciales RSA, montrent à quel point il est fait peu de cas de la situation des plus démunis de nos concitoyens, auxquels on demande encore de payer pour un service très réduit.

Nous avons eu de nombreux débats sur le thème des télécommunications au Sénat. Voilà un an, Michel Mercier, alors ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, qui présidait le comité de pilotage du plan « Zones blanches téléphonie mobile », évoquait « son objectif de faire bénéficier tous les Français du très haut débit fixe et mobile, y compris dans les zones rurales, car les standards de vie urbains sont désormais partagés par l’ensemble de la population ».

Si des progrès ont été peu à peu réalisés, des zones blanches existent encore et le désengagement de l’État pèse lourdement sur les collectivités territoriales.

Mes chers collègues, arrêtons-nous sur l’exemple du déploiement de la fibre optique jusqu’à l’abonné, qui prend tout son intérêt dans le contexte des offres groupées.

L’appétence des opérateurs alternatifs pour la mise en place de réseaux de fibre optique jusqu’à l’abonné dans les zones denses trouve sa source dans des considérations économiques. Comme le note très justement l’ARCEP, ces entreprises préfèrent investir dans une infrastructure propre plutôt que de payer des sommes importantes à France Télécom – plus d’un milliard d’euros par an – pour la location de son réseau de cuivre, notamment au titre du dégroupage.

En revanche, dans le cadre du programme national « Très haut débit » du Gouvernement, les collectivités territoriales sont amenées à jouer un rôle dans le déploiement de la fibre, en particulier dans les zones non rentables, dites « zones III ». En bref, on leur demande de financer des opérations d’aménagement qui sont incompatibles avec les logiques de rentabilité des opérateurs privés.

On assiste toujours au même scénario : on ouvre à la concurrence des secteurs clés pour l’économie et la vie de nos concitoyens au profit des intérêts privés, et les collectivités doivent payer pour préserver l’intérêt général.

La proposition de loi de nos collègues du groupe du RDSE s’inscrit dans ce contexte de contrôle du marché par un oligopole privé. Elle vise à protéger les consommateurs contre des pratiques abusives des opérateurs, mais également à éviter que certains opérateurs, plus installés, ne profitent trop de leur position sur le marché. Cette proposition tente, en quelque sorte, d’instaurer une véritable concurrence.

Si nous partageons le constat dressé par les auteurs du texte, nous considérons, pour notre part, que la réponse se trouve dans un autre système économique, qui passe par une maîtrise publique du secteur et un réengagement de l’État dans l’aménagement de son territoire.

Je voudrais exposer ici, en quelques mots, notre avis sur les dispositions de la proposition de loi. Nous aurons l’occasion de revenir, au cours du débat, sur les amendements de la commission des affaires économiques.

L’article 1er de la proposition de loi interdit aux exploitants de réseaux de télécommunications de restreindre ou de refuser la connexion des équipements terminaux de télécommunications. Il reprend notamment les dispositions de l’alinéa 3 de l’article 7 de la directive européenne concernant les équipements hertziens et les équipements terminaux de télécommunications et la reconnaissance mutuelle de leur conformité.

Il aurait peut-être été opportun de viser tous les équipements connectables aux réseaux de télécommunications, pour être certains que la législation s’applique aux autres équipements connectables, comme les tablets.

L’article 2 est très intéressant. Il fait aux ententes qui existent entre les opérateurs et les constructeurs. En interdisant aux fabricants d’équipements de terminaux de télécommunications de refuser l’accès de leurs équipements à certains exploitants, bien que le choix de ce déterminant soit ambigu, les auteurs de la proposition de loi entendent mettre un terme aux accords d’exclusivité. Cette disposition pourra-t-elle, à terme, profiter au consommateur ?

Enfin, l’article 3 prévoit la gratuité du déverrouillage d’un téléphone mobile acquis dans le cadre d’un réengagement d’abonnement pour un an ou plus. Nous regrettons que cet article modifie l’article L. 35-5 du code des postes et des communications électroniques et qu’il concerne seulement le service universel, ce qui limite sérieusement le dispositif.

Par ailleurs, d’après l’association UFC-Que choisir, le simlockage a été conçu comme une possibilité transitoire dans l’attente de solutions efficaces contre le vol des terminaux. Or, depuis 1998, d’importants progrès ont été réalisés et n’ importe quel téléphone peut désormais être bloqué ou débloqué à distance. Il suffit, pour cela, de communiquer son numéro IMEI, pour International Mobile Equipment Identity, à son opérateur.

Par conséquent, le simlockage du téléphone mobile n’est plus nécessaire pour le protéger du vol. En outre, le blocage technique, via l’utilisation du numéro IMEI, est plus efficace, puisque le simlockage permet toujours d’utiliser le téléphone sur le réseau de l’opérateur qui l’a vendu au consommateur. Nous nous interrogeons donc sur la nécessité de maintenir cette pratique.

En conclusion, si nous saluons l’initiative de nos collègues du RDSE, nous considérons que la proposition de loi ne répond que partiellement aux nombreuses préoccupations des consommateurs.

Odette Terrade

Ancienne sénatrice du Val-de-Marne

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