Initative économique : deuxième lecture

Publié le 18 juin 2003 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Odette Terrade

Nous avions souligné quelques aspects positifs de ce texte en première lecture. Cela n’empêche pas d’émettre de nouvelles réserves face à un texte où prévaut le caractère fiscal et qui ne répond pas aux besoins essentiels de nos petites entreprises.

Les P.M.E. ont un rôle déterminant en termes d’emplois et d’aménagement du territoire ; leur disparition peut condamner à terme, dans certains de nos départements déjà éprouvés par les plans sociaux à répétition des grands groupes, l’activité économique et la vie sociale de territoires ruraux ou périurbains.

Vous avez souligné, monsieur le Ministre, les chiffres « records » de création d’entreprises, en nette progression depuis le début de l’année. Mais ces chiffres n’ont guère de sens en eux-mêmes : seule compte, en matière de développement économique, la création nette d’entreprise et donc la viabilité, à moyen terme, des entreprises créées. Or, 40 % des entreprises créées disparaissent au bout de trois ans (47 % quand le créateur est chômeur). Peut-on se réjouir du fait que les plus démunis sont aujourd’hui « les plus nombreux à s’engager sur la voie de la création d’entreprise », alors que beaucoup sont condamnés à l’échec faute d’un réel soutien, d’une politique de formation et d’aide aux petites entreprises ? Nous l’avions dit en première lecture et votre texte ne comble pas ce vide.

De janvier à mai 2003, plus de 21 000 P.M.E. ont déposé leur bilan, soit une augmentation de 12,8 % par rapport à 2002. Les études montrent que les défaillances touchent plus particulièrement les très petites entreprises employant moins de dix personnes. En dépit de certaines mesures positives, vote texte rate sa cible : les petites entreprises et l’artisanat.

Au gré des amendements, ce texte sert de prétexte à une déréglementation sociale préjudiciable aux salariés, à preuve les mesures de régression sociale qu’il contient : durcissement du régime d’aide à la création d’entreprises en faveur des personnes en difficulté, retour à la présomption de non-salariat, assouplissement du droit du travail concernant les pratiques d’essaimage, de marchandage voire de tâcheronnage, renforcement des liens de subordination des sous-traitants aux grandes entreprises donneuses d’ordre.

La portée ultralibérale de ces dispositions témoigne d’une confusion entre l’esprit d’entreprise à « libérer » et l’allégement des contraintes sociales, ces « rigidités », qui selon vous, entraveraient ce fameux « esprit d’entreprendre ».

À croire que vous avez oublié la leçon de Lacordaire : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » !

Les causes des défaillances d’entreprises montrent combien nos P.M.E., pour la plupart sous-traitantes, ont besoin, elles aussi, d’être protégées contre la pression toujours plus forte sur les coûts, les délais, les exigences de flexibilité et de malléabilité exercés par les donneurs d’ordre.

L’expansion de la sous-traitance et de l’externationalisation depuis vingt ans, exige une réglementation plus volontariste de ces pratiques, sans quoi les P.M.E. seront toujours plus fragilisées et, loin de continuer à jouer leur rôle d’amortisseur dans les conjonctures basses, elles amplifieront la dynamique récessive liée à la rationalisation imposée par les grands groupes dans une fuite en avant à la rentabilité immédiate et à la baisse des coûts.

Nous avions fait des propositions pour interdire, par exemple, l’achat de biens ou de services à des prix mettant en péril les sous-traitants et les contraignant à réduire les salaires et déroger au droit du travail par des pratiques illicites. Nos amendements ont été balayés sans discussion de fond ! Même insuffisantes, des mesures de protection contre les pratiques abusives de la grande distribution ont été prises concernant l’agriculture. Pourquoi, et cela aurait dû être un objet de ce texte, ne pas fixer des limites semblables à la fixation des prix de cession, parfois très bas, s’appliquant aux sous-traitants en bout de chaîne ? C’était une autre de nos propositions.

Nos P.M.E. ont d’énormes besoins, au premier rang desquels un environnement stable fondé sur un accès facilité à des crédits bancaires sûrs et renouvelables, à des taux d’intérêt faibles. C’est pourquoi nous proposions de créer un « pôle public bancaire » capable de financer des activités créatrices d’emplois et génératrices de qualifications. Au lieu de cela, votre politique manque d’ambition et ne résiste pas à la tentation ultralibérale dont le but et de faire triompher, au mépris de l’accroissement des inégalités, le laissez-faire libéral.

Le retour à la loi Madelin en est significatif. Une politique incitative réduite à des exonérations fiscales est forcément limitée dans son ambition, quand le but délibéré n’est pas, comme c’est le cas ici, d’aboutir à une injustice fiscale et sociale frisant l’indécence. Vous programmez dans un texte qui n’est pas un projet de loi de finances, le démantèlement de l’I.S.F. au prétexte qu’il encouragerait les délocalisations. Or, la plupart des défaillances de P.M.E. ne résultent pas de délocalisations. Il s’agit de fermetures pures et simples, conséquences des plans de licenciement décidés en amont par les grands groupes, à l’exemple de Metaleurop, et qui se répercutent en chaîne sur l’ensemble des sous-traitants et petits fournisseurs.

Exceptés certains secteurs tel le textile- habillement, grand consommateur de main-d’œuvre et très exposé au dumping social, la plupart des P.ME., de services notamment, celles qui disposent d’une main-d’œuvre qualifiée sont peu soumises aux contraintes de la concurrence internationale.

Les avantages fiscaux annoncés sont absolument disproportionnés et dépourvus de justification économique. Certaines dispositions, je pense à l’article 26 ter, loin de décourager les délocalisations, renforceront les disparités fiscales au sein de l’Union européenne par une surenchère à la défiscalisation.

En réduisant la notion de compétitivité à son expression la plus primaire, la compétitivité-coût, prenant pour cible la baisse des charges, vous commettez une erreur de raisonnement économique. Le dernier rapport du conseil d’analyses économiques (C.A.E.) a une tout autre approche de la notion de compétitivité. Intégrant les considérations de long terme, il insiste sur les dimensions sociales et environnementales, facteurs de compétitivité, telles la qualité du service public et des infrastructures, l’innovation, la formation et la qualification. Alléger l’I.S.F., c’est autant de crédits qui feront défaut dans d’autres domaines.

Les choix de société de ce gouvernement en matière de retraites, de privatisation des services publics, de déréglementation sociale ne font qu’attiser les tensions sociales alors que la situation exigerait des solutions volontaristes et innovantes. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte qui constitue un véritable recul social.

Odette Terrade

Ancienne sénatrice du Val-de-Marne

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