Gestion durable des matières et déchets radioactifs

Publié le 30 mai 2006 à 16:58 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

Notre assemblée est réunie aujourd’hui pour débattre d’un projet de loi sur la gestion durable des matières et des déchets radioactifs.
Avant d’aborder le texte proprement dit, il nous semble utile de rappeler le contexte législatif dans lequel nous travaillons.

Les orientations préconisées par le sommet de Lisbonne, les directives européennes de 1996 et 1998 organisent l’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie. Certains commissaires européens vont même jusqu’à dire que les déchets nucléaires sont des marchandises commes les autres.
En France, les lois relatives à la politique énergétique et ainsi que le projet de loi relatif à la transparence et la sécurité en matière nucléaire, se situent dans la même lignée idéologique.
Comment, en effet, ne pas reconnaître que les objectifs même du libéralisme sont difficilement compatibles avec les principes qui doivent guider l’exploitation de l’énergie nucléaire ?

D’une manière générale, la recherche du profit maximum pour les actionnaires amène les entreprises à faire des économies sur tout ce qui concerne la sécurité, les salaires ou encore les conditions de travail.
Metaleurop, AZF et bien d’autres, nous rappelent pourtant que la logique libérale est toujours la même. Comment donc ne pas être inquiet ?
C’est pourquoi nous disons que seul l’Etat permet d’apporter des garanties réelles en matière de responsabilité. Seuls des acteurs désintéressés, dont l’objectif est de remplir une mission d’intérêt général dans le cadre d’un service public, peuvent garantir le plus haut niveau de sécurité.

Car demain quand la concurrence sera plus vive, quand n’importe quel grand groupe pourra devenir acteur de la filière nucléaire, qu’en sera-t-il de nos certitudes ?
Nous demandons un contrôle public, un contrôle démocratique associant les élus, les associations, les usagers, les salariés, les scientifiques mais aussi les citoyens.
Tout citoyen qui le souhaite doit être informé au mieux.
Et c’est pourquoi, nous nous réjouissons de la mise ne oeuvre du débat public par la commission ad hoc dont le bon fonctionnement fut salué par tous et qui a permis l’expression et l’information du grand public.
Ne serait-il pas bon que le législateur s’inspire des avis émis à cette occasion ?

Ainsi, la première conclusion est que nous devons traiter ces questions avec une prudence extrême au regard des inquiètudes exprimées par les personnes, avis partagé par l’institut de radioprotection et de sécurité nucléaire et par le conseil économique et social.
J’en viens à la deuxième partie de mon intervention.
Pour notre groupe, l’objectif de ce projet de loi est bien de permettre la poursuite des recherches dans les trois axes définis par la loi « Bataille » et mettre en place un système de gestion le plus fiable possible, dans l’état actuel des connaissances, tout en continuant les recherches.

Il nous semble donc prématuré de définir dans cette loi un calendrier avec à l’échéance 2025 un enfouissement des déchets.
Il ne s’agit pas là, comme c’est dit ici ou là, de se défausser sur les générations futures mais simplement d’affirmer que tout choix définitifs serait prématuré.
A ce propos, la commission nationale du débat public, si elle fait « un constat positif sur les résultats acquis dans le site de la Meuse », précise également que « les conditions d’une éventuelle décision finale de réalisation de stockage ne sont pas encore réunies, le laboratoire souterrain devant être exploité durant une durée suffisante ».

Une décision hâtive est d’autant plus difficile à prendre, que la loi Bataille n’a pas été tout à fait respectée.
En effet, l’article 4 de cette loi stipulait la mise en exploitation de plusieurs laboratoires de recherche pour le stockage géologique en couche profonde. Or, aujourd’hui, il n’en existe qu’un : celui de Bure. Malgré les grandes qualités du sol argileux, les éléments manquent encore à ce jour pour décider définitivement de l’enfouissement.
Il faut bien voir que, ce projet de loi, tout en réaffirmant que les recherches sont menés dans trois axes complémentaires, propose déjà de retenir comme solution de référence le stockage en couche géologique profonde, et ce, avant même que l’ensemble des études ne soient réalisées.
Si nous saluons l’introduction par l’Assemblée nationale de la notion de réversibilité dans le projet de loi, nous ajoutons que ce projet ne peut être l’ultima verba.
Il ne représente qu’une étape de plus. La mise en exploitation d’un site d’enfouissement doit faire l’objet d’une nouvelle loi votée par le Parlement.
Tout autre décision laisserait à penser que l’on veut forcer l’allure alors même que l’on a pas été au bout de l’expérimentation.

La troisième partie de mon intervention vise à réaffirmer notre attachement de la poursuite de la recherche sur la voie de la séparation transmutation et notre regret du manque d’ambition du texte à ce sujet.
En effet, les avancées du commissariat à l’énergie atomique permettent déjà d’envisager à long terme une gestion différenciée et efficace des différents types de radio éléments. Ainsi, ce procédé permet de récupérer 95% des combustibles usés pour les réutiliser et réduire à 5% la quantité des déchets dits ultimes. C’est un très grand progrès !
Cependant, le recyclage est aujourd’hui largement limité par l’inexistence d’une vraie filière à neutrons rapides.

En effet, les recherches sur la séparation transmutation sont liées à la réalisation d’un prototype de centrale 4ème génération en 2020. Cette date, qui correspond à la mise en exploitation, apparaît d’ailleurs totalement irréaliste au regard de l’avancement des recherches et de l’absence de réacteur expérimental après la fermeture de Phenix en 2008.
Cette voie de recherche mérite alors d’être activement poursuivie, en parallèle avec les projets EPR et ITER.
Le dernier rapport de l’OPECST en 2005 estimait même que la séparation transmutation constituait l’objectif ultime.

Pourtant, et c’est assez significatif, cette voie n’est pas mentionnée par l’article 4 du projet de loi. Ainsi, concernant les prérogatives du plan national de gestion des déchets, l’accent est mis sur les solutions types entreposage et stockage mais la séparation transmutation n’y figure pas explicitement, sauf à supposer qu’il s’agisse de nouveaux modes de gestions.
Autre disposition tout aussi symbolique : ce projet de loi crée dans son article 11 un fonds de financement de la recherche au sein de l’ANDRA. Celui-ci serait alimenté par le produit d’une taxe additionnelle sur les installations nucléaires de base.

Si nous adhérons au principe de création d’un fonds de financement de la recherche, nous estimons pourtant que tel qu’il est prévu par ce projet de loi, son utilisation oublie la recherche sur la séparation transmutation.
Ainsi, le financement des recherches dans cette voie est laissée à l’appréciation des producteurs dans le cadre de relations contractuelles de court terme ainsi qu’à la dotation budgétaire du commissariat à l’énergie atomique qui est en chute libre depuis plusieurs années.
De plus, l’évaluation des besoins de recherche est laissée, d’une part, à l’ANDRA sur la partie stockage et entreposage et, d’autre part, au CEA sur la partie séparation transmutation. Nous regrettons donc que ni le plan national pour la gestion des déchets, ni la Commission Nationale d’Evaluation n’aient, dans leurs attributions, d’évaluer et de définir les besoins financiers concernant les recherches.

Nous vous proposerons donc d’adopter un amendement visant à doter la CNE d’une mission d’évaluation des besoins de financement pour la recherche dans les trois axes définis par l’article 1er.
Parallèlement, nous vous proposerons également que le produit de la taxe additionnelle sur les installations nucléaires de base serve également à financer les études sur la séparation transmutation.
Concernant le plan national de gestion des déchets nucléaires, nous aurions également souhaité que les orientations fixées par ce plan fassent l’objet d’une évaluation.

Sur les questions de financement, les exploitants nucléaires ne sont pas seulement appelés à financer la recherche, mais également, par le biais de la constitution d’actifs dédiés, les charges de démantèlement de leurs installations et celles d’entretien et de surveillance de leurs installations de stockage de déchets radioactifs.
Cette disposition, prévue à l’article 14, a fait l’objet de débats passionnés à l’Assemblée Nationale pour savoir s’il valait mieux que ce fonds reste dans l’entreprise ou qu’il soit externalisé.
Pour notre part, nous estimons que les producteurs ne doivent pas échapper à leur responsabilités techniques et financières vis à vis des déchets.
En conséquence, ils doivent rester engagés dans le financement de l’aval du cycle nucléaire.
Une soulte libérant les producteurs serait donc une solution à exclure car elle aboutirait au financement par l’Etat et donc par le contribuable.
Il est nécessaire de mettre en place une organisation industrielle et des instances permettant une gestion et un contrôle public sur ces questions.

Je terminerai par ce point qui me semble absolument essentiel : le besoin absolu de transparence de la filière nucléaire. Il s’agit là d’un enjeu de démocratie évident.
Les pouvoirs publics ne doivent pas passer en force pour faire accepter le nucléaire.
Il faut donc reconnaître que le savoir en la matière n’est pas uniquement un domaine réservé aux experts mais que les citoyens disposent de leur propre expertise.
L’acceptation du nucléaire est à ce prix : connaissance partagée et expertise plurielle.
Ce fonctionnement démocratique que nous appelons de nos voeux passe alors par la mise en oeuvre de véritables contre pouvoirs ainsi que par une transparence renforcée afin d’obtenir la confiance des citoyens.

Dans ce sens, pourquoi ne pas ouvrir les conseils de surveillance des entreprises concernées, et notamment ceux de EDF, d’AREVA et du CEA à la société civile ?
Pourquoi ne pas associer également les CLI et les salariés au contrôle de ces fonds ?
A ce sujet, il faut souligner la création d’une commission nationale d’évaluation du financement des charges du démantèlement des installations nucléaires de base et gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs par l’AN.

Nous proposerons d’en améliorer la composition.
Pour une plus grande transparence, nous devrons également permettre des évaluations contradictoires et indépendantes. Un contrôle indépendant des installations de gestion des déchets apparaît, à ce titre, nécessaire.
De plus, cette démarche implique de faire le point régulièrement afin de permettre à chaque étape que les citoyens soient informés et en mesure de participer à l’élaboration des choix énergétiques.
Dans ce sens, la mise en oeuvre de référendums consultatifs locaux paraît être une étape importante dans le processus de décision.

Les départements qui font le choix d’accueillir des centres de stockage doivent également bénéficier d’aides pour la mise en oeuvre d’un projet de territoire permettant de renforcer leur attractivité. Nous leur devons bien cela.
Dernière exigence, la mise en oeuvre de rendez-vous périodiques, comme le préconisent les conclusions présentées par la Commission Particulière du Débat Public où il est souligné l’importance d’ « utiliser le temps pour construire une solution progressiste et prévoir des rendez-vous périodiques ». Cette solution est d’ailleurs partagée par la cour des comptes qui recommande l’instauration d’une structure permanente d’information du public.

Dans ce sens, nous avons souhaité par nos amendements conforter la place faite par la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dont nous débattrons demain, à un « Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire ».
Vous l’aurez compris, avant de nous prononcer sur ce texte, nous attendrons de mesurer son évolution au regard des préoccupations que je viens de formuler et que je préciserai au court du débat à travers mes interventions.

Évelyne Didier

Ancienne sénatrice de Meurthe-et-Moselle
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