Développement des territoires ruraux (deuxième lecture)

Publié le 18 janvier 2005 à 17:13 Mise à jour le 8 avril 2015

par Gérard Le Cam

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

Le texte que nous allons examiner à l’occasion de la seconde lecture du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, n’apporte pas d’éléments suffisants pour infléchir l’opinion que nous avions émise au groupe communiste républicain et citoyen en première lecture.

En effet, les modifications apportées par l’Assemblée Nationale, certains positives, d’autres négatives, ne modifient pas en profondeur l’économie de ce texte, texte d’ailleurs très économe en matière de deniers publics. J’aurai l’occasion d’y revenir.
Le caractère « fourre-tout » de ce texte évoqué par nombre de collègues, aurait pu contribuer à la force du texte au regard de la diversité et de la complexité de la ruralité.

Cependant, l’orientation des mesures en déséquilibre dans le rapport privé-public, le manque de crédits d’Etat, la sollicitation financière des collectivités locales déjà défavorisées et le caractère libéral du texte, en atténuent sérieusement l’efficacité recherchée.

Nous continuons de penser qu’il manque l’essentiel à ce texte pour assurer un développement harmonieux des territoires ruraux, en témoigne la vitalité des débats que nous avions initiés en première lecture, notamment autour de la question des prix agricoles et de la dotation globale de fonctionnement des collectivités locales.
En effet, ce texte manque cruellement de moyens financiers, de mesures phares et les questions de fond qui sont nécessaires aux territoires ruraux ne sont pas traitées.

Je voudrais en évoquer quelques unes qui n’ont toujours pas trouvé de réponse :

  • Comment conserver notre potentiel d’agriculteurs autour de 600.000 personnes et éviter d’être 300.000 dans moins de dix ans ?
  • Comment assurer des prix rémunérateurs pour l’ensemble des productions agricoles ?
  • Comment réorienter l’agriculture vers le durable au sens le plus large du terme ?
  • Comment encourager l’installation agricole de manière efficace et les structures d’exploitation permettant des conditions de vie décentes ?
  • Comment revaloriser et humaniser les professions de l’agro-alimentaire ?
  • Comment réglementer les usages de la nature ?
  • Comment assurer une présence commerciale et multiservices dans chaque commune de France ?
  • Comment adapter de vrais services publics aux besoins des populations rurales ?
  • Comment faciliter la scolarisation dans les zones rurales les plus défavorisées et les plus dépeuplées ?
  • Comment organiser l’intégration des populations communautaires qui arrivent dans nos campagnes ?
  • Comment, enfin, se dégager, au nom de la subsidiarité, du carcan de l’OMC et de certaines directives européennes qui, par leur ultralibéralisme mettent en péril les uns après les autres, les secteurs vitaux du monde rural et agricole ?
    Sans vouloir être exhaustif, j’aurais également pu évoquer le logement, les salaires, les déplacements, la santé, la culture, le tourisme rural… tous ces secteurs où les moyens manquent aux collectivités.
    Poser ces questions, c’est déjà commencer à y répondre, mais le texte n’y répond pas ou si peu.
    Nos amendements et interventions reflètent donc ces aspects que nous jugeons essentiels pour un véritable développement rural.

A propos de l’avenir de l’agriculture, nous constatons que ce n’est jamais le bon moment d’évoquer la question de prix rémunérateurs, ce qui serait d’ailleurs porteur pour la profession et inciterait davantage de jeunes à l’installation. Nous allons donc renouveler notre demande d’une Conférence nationale des prix rassemblant tous les acteurs concernés, du producteur au consommateur, sans oublier la transformation et la grande distribution. Nous redéposerons également les amendements relatifs au prix minimum et au prix de référence, produit par produit, afin de garantir aux producteurs de ne pas vendre à perte et de gagner décemment leur vie. Le principe du coefficient multiplicateur qui consiste à établir un rapport entre le prix d’achat et le prix de vente, pourrait également être adopté, afin d’inciter la grande distribution à acheter à un prix correct et ceci, pas seulement en période de crise. Nous sommes bien conscients cependant que les régulations que nous proposons contreviennent radicalement aux dispositions prises par l’Europe et l’OMC qui supprime toute entrave à la libre circulation des produits et favorise ainsi les importations de pays tiers à bas prix pour faire pression sur les prix européens.

Aucune référence à la préférence communautaire n’apparaît dans le projet constitutionnel européen et le principe de l’unicité des prix des produits agricole laisse la place, je cite « à une politique commune éventuelle des prix ». La Politique agricole commune, en instaurant le découplage des aides, va également accentuer les concurrences et les déséquilibres tant au plan infra-communautaire qu’au plan infra-national par le déplacement physique et temporel des productions de légumes en particulier. C’est également la PAC réformée qui va modifier en profondeur la valeur marchande des terres en fonction du montant des aides qui leur seront attachées et rendre encore plus difficile, la transmissibilité des exploitations agricoles, donc l’installation des jeunes. Si nous ne voulons pas rester des spectateurs impuissants devant la saignée des effectifs agricoles, il convient d’encourager financièrement la transmission dans un cadre collectif ou pluri-individuel. Et ce n’est pas l’OMC, dont la principale préoccupation est d’abolir les protections douanières, qui va rassurer les agriculteurs, dans un monde où la loi de la jungle sera la règle du jeu.

Autre élément structurant des territoires ruraux, les services publics de proximité. A ce titre, les trois articles 37EAA, 37EA et 37F, rescapés du débat, sont loin de faire la révolution dans le domaine des services publics. Le premier, relatif à l’unicité du tarif de base pour le secteur réservé des services postaux, semble oublier que ce secteur va lui aussi disparaître au nom de la déréglementation européenne. Formons le vœu que les manifestations des postiers ce jour contribuent à éclairer les Français sur ce qui les attend.

Le second ouvre la porte à la privatisation des maisons de services publics quant au troisième, il est truffé de bonnes intentions autour des projets de réorganisation des services publics « en français dans le texte, il faudrait écrire autour des projets de casse des services publics ». La concertation autour des préfets semble vouloir aider ces néfastes mesures à paraître acceptables. En réalité, il s’agit là d’un enrobage parlementaire destiné à camoufler la disparition des services publics voulue par le gouvernement qui supprime des fonctionnaires à tour de bras et voulu par l’Europe, dont la philosophie exclusivement marchande et libérale, ne connaît pas la notion de services publics et la substitue à la notion de service d’intérêt économique général (SIEG).

A ce propos, le projet de Constitution européenne est également édifiant, après avoir répété à de multiples reprises que « l’Union offre à ses citoyens un marché unique où la concurrence est libre et non faussée » et défini l’organisation économique comme suit à l’article 130 :
Partie III - Article 130 sur l’organisation économique :
« L’Union adopte les mesures destinées à établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur. Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux est assurée. »
On peut enfin lire ce qui est sans équivoque aux articles 166 et 167 :
Partie III - Articles 166 et 167 :
« Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles elles accordent des droits spéciaux et exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux dispositions de la Constitution. »
« Les entreprises chargées de la gestion des services d’intérêt économique général sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence. »
« Sauf dérogations prévues par la Constitution, sont incompatibles avec le marché intérieur les aides accordées par les Etats membres ou au moyen de ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence. »

Nos services publics sont bien devenus des Services d’Intérêt Economique Général qui entérinent la primauté de la rentabilité sur l’utilité sociale et interdit toute subvention publique.
Ceci justifie pleinement que nous déposions un amendement tendant à établir un moratoire à la fermeture des services publics.
Plus largement, dans le domaine des services en général, une autre bombe est braquée sur nos concitoyens : il s’agit de la directive BOLKENSTEIN - directive en passe d’être adoptée en 2005, si nous ne faisons rien, directive qui prévoit d’appliquer la législation sociale du pays d’origine dans les 25 pays européens en matière de services.
Les secteurs concernés sont divers :

Cette directive est l’équivalent de l’AGCS à la sauce européenne, elle légalise le dumping social fiscal, c’est la traite des salariés des temps modernes.
Le droit français du travail déjà mis à mal par ce gouvernement, éclatera si cette directive voit le jour.

Monsieur le Ministre, les maires ruraux sont très inquiets de la dérive des services publics et de la faiblesse des moyens financiers qui leur sont alloués, tant au plan communal qu’intercommunal. L’attractivité des communes rurales dépend de leur capacité à offrir des services aux plus jeunes, comme aux plus âgés ou aux actifs.
Le dernier Congrès des maires est éloquent à ce sujet et les nombreuses démissions d’élus, à l’instar de la Creuse, témoignent du profond malaise qui règne dans nos campagnes.
Autre fléau : les délocalisations qui frappent certes autant les villes que les campagnes. Leur impact est souvent catastrophique et précarise les populations des collectivités environnantes. Là encore, des mesures radicales et dissuasives pourraient être prises et si elles ne sont pas prises, c’est parce qu’elles sont en contradiction avec « la sacro-sainte libre circulation des capitaux, des hommes, des biens et des services ».

La règle européenne de mise en concurrence de tous les services aboutit à substituer les monopoles publics en monopoles privés. La messe est dite.
Autre sujet qui me tient à cœur, je fais partie de ces élus qui pensent qu’une commune digne de ce nom doit avoir au moins un commerce de proximité pouvant également assurer de multiples services afin de contribuer à l’égalité de traitement des citoyens sur l’ensemble du territoire. Les défauts de financement du FISAC en 2004 et la situation catastrophique des commerces de proximité, quand ils existent, sont inacceptables quand on sait notamment que les crédits issus de son objectif. Nous y reviendrons par un amendement.
A propos de l’amendement relatif à la publicité sur le vin, notre groupe estime

Notre groupe interviendra dans le débat sur la chasse afin de ne pas voir restreindre l’accès de tous à la chasse populaire au sein des ACCA et de limiter la responsabilité financière des bénéficiaires de plans de chasse.

Enfin, je voudrais évoquer ici notre surprise de voir fleurir des amendements relatifs à la loi Littoral dans ce débat, j’estime que ce n’est ni le lieu ni le moment dans ce texte. Si le gouvernement a réellement la volonté d’améliorer la loi Littoral, je propose que nous reprenions exclusivement le texte à un moment ultérieur.
M. le Ministre, mes chers collègues, les territoires ruraux français ont besoin de mesures fortes et bien orientées pour leur garantir les conditions d’une ruralité vivante et d’un développement harmonieux. Le contexte national européen et mondial me fait craindre le pire en direction de nos territoires les plus fragiles, donc les moins rentables. Nous avons montré que des alternatives plus optimistes existent, encore faut-il s’en donner les moyens et en avoir la volonté politique.

Gérard Le Cam

Ancien sénateur des Côtes-d'Armor
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