Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les grandes catastrophes écologiques, la pollution de l’air et de l’eau, le débat sur le réchauffement de la planète, pour ne s’en tenir qu’à ces thèmes, ont contribué à faire naître et se développer une conscience environnementale, ont fait grandir l’idée que la protection de l’environnement est une nécessité pour la survie de l’humanité.
Il faut d’ailleurs saluer le travail fait par les associations de défense de l’environnement, qui, inlassablement, depuis de nombreuses années, avec l’aide des scientifiques, ont alerté les pouvoirs publics sur l’urgence à agir.
Nous partageons leur point de vue et affirmons qu’il est possible de mettre en oeuvre des politiques environnementales ambitieuses et adaptées et de produire autrement en respectant l’homme et son environnement. C’est une question de volonté.
Nous partageons cette préoccupation et nous disons qu’il est urgent de prendre en compte dans toutes les politiques publiques, les questions liées à l’environnement.
Pourtant, nous regrettons que le débat qui nous rassemble aujourd’hui se soit focalisé sur le seul principe de précaution sans chercher à s’interroger vraiment sur les causes profondes de cette dégradation accélérée de notre environnement.
Le modèle économique libéral fondé sur la recherche du profit maximum est-il compatible avec la protection de l’environnement ? Nous disons clairement non !
Notre mode de production et de consommation épuise les ressources naturelles, pollue l’eau et l’air, appauvrit la biodiversité. Nous avons atteint un point critique où les capacités de régénération de la planète sont dépassées.
Cela veut-il dire que nous sommes opposés au progrès ? Là encore, nous répondons par la négative.
Cependant, le pillage des ressources naturelles, la recherche de la rentabilité à court terme qui écarte plus ou moins les préoccupations écologiques au nom de la compétitivité de notre économie ne représentent pas le progrès.
La seule véritable préoccupation du MEDEF est la rentabilité pour les actionnaires.
J’en veux pour preuve les préoccupations exprimées, lors de son audition, par M. Seillière qui nous faisait part de ses inquiétudes notamment à propos d’un éventuel élargissement de l’application du principe de précaution à d’autres domaines. Il a parlé de retard de la France, de menace pour la compétitivité, de coût acceptable, de contraintes asymétriques, de pertes de parts de marché
Combien faudra-t-il de catastrophes à M. Seillière pour que les discours changent ?
Le projet de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui a pour ambition de répondre à cette préoccupation des Français pour l’environnement tout en lui donnant une dimension universelle en faisant entrer dans la Constitution le droit à l’environnement, ainsi que les objectifs et les principes qui le gouvernent.
La forme choisie par le Président de la République pour mettre en oeuvre le changement constitutionnel est la plus solennelle qui soit.
Il ne s’agit pas moins que de compléter notre Constitution par un texte entier qui se veut peu ou prou l’équivalent de la Déclaration des droits de l’homme. Pas moins. Il s’agit donc d’un acte politique fort, destiné à marquer les esprits. Comme le souligne le rapport de la commission Coppens, « la charte est d’abord une démarche politique avant d’être juridique, dont la portée est éminemment symbolique ».
La volonté de marquer les esprits est évidente.
Si nous sommes d’accord globalement avec le texte de la charte, il nous est cependant difficile de faire abstraction du contexte dans lequel se déroule ce débat et de ne pas avoir à l’esprit le fossé qui existe entre cette démarche et la réalité des faits.
En effet, les actions menées par le Gouvernement sont souvent en opposition avec la défense des droits fondamentaux, à commencer par la casse des droits sociaux à laquelle nous assistons depuis deux ans.
Les crédits de la recherche diminuent alors qu’il faudrait au contraire promouvoir une recherche appliquée, indépendante des industriels, capable de répondre aux besoins des autorités publiques en matière d’expertise.
Le budget de l’ADEME est lui aussi en diminution alors que nous avons davantage besoin de ses savoir-faire.
Les associations de protection de l’environnement ne sont pas mieux loties. J’en oublie sûrement. J’arrête là.
Cependant, je voudrais surtout évoquer l’attitude du Président de la République.
Ses premières déclarations concernant la charte de l’environnement datent de 2001. Elles attestent un projet déjà affiné dans l’esprit du Président.
Pourtant, cela ne l’empêche pas, en septembre 2003, d’intervenir auprès de Bruxelles avec ses complices Tony Blair et Gerhard Schröder pour obtenir un assouplissement de la directive concernant le programme européen Reach, au nom de la compétitivité industrielle de l’Europe.
M. Josselin de Rohan. Sont-ce des délinquants, madame ?
Mme Evelyne Didier. Aujourd’hui, M. Raffarin se déclare en accord avec le programme Reach. Qui croire ? Tout cela fait un peu désordre, vous en conviendrez, monsieur le ministre.
Le travail effectué par la commission Coppens n’est pas à remettre en cause. Elle a permis de confronter puis de rapprocher les points de vue de nombreux experts pour remettre, au terme de ses travaux, une proposition de texte unanimement approuvée par ses membres. Pourtant, de notre point de vue, seule l’adoption de la charte par un référendum pourrait permettre de dire que c’est la volonté du peuple français qui s’est exprimée.
La charte de l’environnement s’inscrit dans le cadre de la promotion du développement durable. Son article 6 l’indique en effet explicitement, le texte amendé par l’Assemblée nationale précisant que les politiques publiques concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social.
L’adoption de la charte de l’environnement consacrera non seulement le pilier environnemental du développement durable mais aussi, par la même occasion, la valeur constitutionnelle du développement économique. Ce n’est pas anodin.
Ne perdons pas de vue, en effet, que l’Union européenne, dans son projet de constitution, souhaite aussi consacrer le développement durable fondé notamment sur une croissance équilibrée et une économie sociale de marché hautement compétitive.
Lorsque l’on sait que le MEDEF se considère comme « le meilleur garant du développement durable », on peut légitimement se demander si ce concept n’est pas, comme le dit l’économiste Jean-Marie Harribey, « une drôle d’intervention qui donne aux pires destructeurs des systèmes sociaux l’occasion d’offrir un visage de bienfaiteurs de l’humanité ».
Et que penser de la démission de Mme Tokia Saïfi, en pleine semaine nationale du développement durable, lorsqu’on sait qu’elle ne sera pas remplacée ?
M. Josselin de Rohan. Elle a été élue !
Mme Evelyne Didier. Certes, elle vient d’être élue mais elle ne sera pas remplacée !
M. Josselin de Rohan. Elle est irremplaçable !
Mme Evelyne Didier. Le projet de loi constitutionnelle, s’il est adopté, consacrera donc un nouveau droit fondamental. C’est un acte symbolique, mais pas seulement. Il est aussi l’occasion, cela a été dit, d’affirmer la volonté de la France de montrer le chemin, de développer une action forte sur la scène internationale, comme ce fut le cas pour les droits de l’homme et du citoyen. Une telle ambition peut impressionner. Ne risque-t-elle pas toutefois d’agacer ici ou là, en dehors de nos frontières ?
On nous dit aussi que l’adoption de la charte permettra d’encadrer le travail du législateur. Dans son rapport, M. Deflesselles explique que c’est sans doute là que réside l’intérêt premier de la charte. Il indique par ailleurs qu’il sera « désormais impossible de ratifier ou d’approuver un traité international dont une disposition aurait été déclarée contraire aux principes de la Constitution ». Vous savez, monsieur le ministre, que ce point fait débat, encore plus peut-être depuis la dernière décision du Conseil constitutionnel, qui fut diversement interprétée. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur ce sujet ?
Si la charte peut asseoir notre droit de l’environnement, elle ne peut constituer l’ultima verba. En effet, certains articles renvoient explicitement à la loi. Par ailleurs, si l’article 5 définit les procédures d’application du principe de précaution, il appelle lui aussi le travail du législateur. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire si le Gouvernement a l’intention de soumettre rapidement au Parlement de nouveaux projets de loi qui prolongeraient et compléteraient ce texte ou si la volonté présidentielle s’arrête à la charte de l’environnement ?
Par ailleurs, certains ont peur des excès que l’application de l’article 5 pourrait engendrer. Ainsi, Michel Prieur indique dans son rapport que « le texte encadre strictement le principe en posant des conditions de fond et de forme très précises qui le rendront juridiquement difficilement et rarement applicable. »
Selon vous, monsieur le ministre, dans quels domaines le principe de précaution est-il susceptible d’être vraiment appliqué ? Pour notre part, nous défendrons un amendement visant à appliquer le principe de précaution lorsque le dommage est susceptible d’être grave ou irréversible. Nous estimons qu’une seule de ces deux conditions est suffisante pour déclencher les procédures.
Une autre de nos interrogations porte sur le texte adopté à l’Assemblée nationale, qui invite à évaluer les risques avant d’adopter des mesures. Ma collègue Marie-Claude Beaudeau reviendra plus précisément sur ce point.
Nous regrettons enfin qu’une mention explicite à la santé humaine ne figure pas dans l’article 5. Bien entendu, il s’agit d’une charte de l’environnement. Mais, si cette charte est bien d’inspiration humaniste, comme cela a été dit, elle dispose que la protection de l’environnement vise d’abord à consacrer le droit pour l’homme de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé.
Après son examen par l’Assemblée nationale, l’article 1er du projet de loi constitutionnelle prévoit désormais que chacun a le droit de vivre dans un environnement « respectueux de la santé », comme si nos collègues de l’Assemblée nationale avaient de la santé une idée vague et générale.
Pourtant, la liste des atteintes à la santé liées à la dégradation de notre environnement s’allonge chaque jour. Récemment encore, l’Agence française de sécurité sanitaire environnementale nous alertait sur le nombre de décès dus à la pollution atmosphérique. Les scientifiques signataires de l’appel de Paris nous interpellent sur les dangers de la pollution chimique. Qu’on le veuille ou non, la santé est bien au coeur de la question de la qualité de notre environnement, et plus particulièrement la santé dans le monde du travail. Ma collègue Marie-Claude Beaudeau, qui connaît bien ce sujet, vous interpellera également sur cette question.
Le Premier ministre en est d’ailleurs lui aussi convaincu, si l’on en croit ses déclarations lorsqu’il a présenté cette semaine le plan national santé-environnement, sorti juste à temps pour la conférence de l’OMS à Budapest. C’est un premier pas positif qu’il ne s’agit pas de dédaigner. Cependant, vous conviendrez que le budget alloué à ce plan, ainsi que le calendrier présenté ne sont pas à la hauteur d’un des problèmes de santé publique les plus préoccupants et les plus lourds auxquels nous devrons répondre dans les décennies à venir.
Je ne voudrais pas terminer mon propos sans saluer le travail qu’ont effectué MM. les rapporteurs. Après tous les débats qu’a suscités la charte, ils ont en effet su faire le point de manière claire sur ses diverses interprétations, facilitant ainsi notre compréhension du sujet. Mon propos sera complété par une intervention de notre collègue et ami Paul Vergès.