Ce texte n’est pas la concrétisation du droit à l’eau

Alimentation en eau et assainissement (deuxième lecture)

Publié le 26 janvier 2011 à 19:10 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la deuxième lecture dans notre assemblée de cette proposition de loi relative à la solidarité dans le domaine de l’eau intervient aujourd’hui près d’une année après la première. Si nous ne contestons pas la durée du processus législatif en elle-même, nous regrettons que ce délai n’ait pas été mis à profit pour élaborer un dispositif global, composé à la fois d’un volet curatif et d’un volet préventif. Nous en avions le temps, mais, semble-t-il, pas la volonté…

Le droit à l’eau est pourtant un droit fondamental, défini comme tel par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, la LEMA, dans son article 1er. Toutefois, celui-ci n’a toujours qu’une valeur déclaratoire, aucun dispositif ne permettant de lui donner une portée effective à ce jour, en dépit de tous nos efforts en ce sens.

Conformément aux préconisations de l’ONU et de l’OCDE, le budget consacré à l’eau ne devrait pas dépasser 3 % des ressources d’un ménage. Il faut rappeler que si la facture d’eau représente en moyenne 0,8 % des ressources d’un ménage, elle s’élève à 5 % du revenu pour un allocataire du RSA.

Dans ces conditions, le consensus qui semble se dégager s’agissant de la nécessité de renforcer le volet curatif du droit à l’eau et de créer un volet préventif permettant de garantir juridiquement ce dernier constitue un progrès.

Cependant, le texte qui nous est présenté aujourd’hui, s’il représente une petite avancée, n’est pas la concrétisation du droit à l’eau.

Intéressons-nous tout d’abord au volet préventif. Celui-ci n’a pas beaucoup évolué depuis la première lecture du texte au Sénat, et les remarques que nous avons faites à l’époque restent d’actualité. Nous estimons ainsi que l’article 1er de la présente proposition de loi ne fait que préciser les dispositions prévues à l’article 6-3 de la loi de 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, qui permet déjà aux services publics de l’eau d’abonder le FSL. Vous avez parlé de sécurisation juridique, monsieur le rapporteur, dont acte ! Néanmoins, il ne s’agit là que d’une faculté, et le dispositif repris par ce texte n’est malheureusement pas plus contraignant. Il ne fait, en effet, que définir un plafond de contribution, qui a d’ailleurs été réduit en première lecture à 0,5 % du montant hors taxes des redevances d’eau ou d’assainissement perçues ! Nous proposerons donc de relever ce taux maximal à 1 %.

Sur le fond, il y a fort à craindre que la générosité des délégataires ne soit pas plus au rendez-vous demain qu’aujourd’hui. Actuellement, la contribution de ceux-ci, apportée par le biais d’abandons de créances – nous savons d’ailleurs que le nouveau dispositif leur permettra finalement de faire des économies ! –, s’élève à 3 millions d’euros, sur un total de facturation avoisinant les 12 milliards d’euros. Il s’agit de sommes extrêmement importantes ! Avec l’adoption du présent texte, la contribution des délégataires pourrait atteindre 50 millions d’euros, ce qui reste, on en conviendra, raisonnable.

Cependant, cette contribution n’étant pas obligatoire, il appartiendra aux collectivités de l’imposer à leurs délégataires, ce qui ouvrira la voie à des différences notables selon les régions. Pour cette raison, nous pensons qu’instaurer une obligation législative aurait été plus simple et, surtout, aurait garanti une application non différenciée du dispositif sur l’ensemble du territoire.

De surcroît, le dispositif du texte ne permettra pas de remédier aux dysfonctionnements actuels du FSL. Aujourd’hui, en effet, il n’existe pas de volet « eau » dans tous les départements. De plus, seules peuvent être aidées à ce titre les personnes disposant d’un compteur individuel, ce qui exclut de fait les 43 % de la population vivant en habitat collectif.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Évelyne Didier. Ainsi, en 2009, environ 60 000 personnes seulement ont été aidées par ce biais, pour une somme globale de 8,5 millions d’euros, ce qui est très peu au regard de l’ensemble des dépenses d’eau. C’est pourquoi nous proposons que la loi rende obligatoire la création d’un volet « eau » au sein du FSL pour tous les départements.

Par ailleurs, nous prenons acte de l’insertion par l’Assemblée nationale d’un nouvel article 2, même si nous regrettons qu’il s’agisse simplement de prévoir la remise au Parlement, dans un délai de six mois après la promulgation de la loi, d’un rapport du Gouvernement « sur les modalités et les conséquences de l’application d’une allocation de solidarité pour l’eau ».

Nous pensons, en effet, que les volets curatif et préventif devraient faire l’objet d’une articulation cohérente et complémentaire, afin de garantir effectivement le droit à l’eau. C’est d’ailleurs ce qu’a préconisé le Comité national de l’eau dans un avis de décembre 2009, renouvelé en juin dernier. Je précise également que c’est ce que nous avions proposé dans notre proposition de loi de novembre 2009, aimablement évoquée par M. le rapporteur. Cette proposition de loi s’appuyait sur un travail très intéressant de l’Observatoire des usagers de l’assainissement d’Île-de-France, l’OBUSSAS, proposant la mise en place d’une « allocation eau », sur le modèle de l’aide personnalisée au logement, l’APL. Nous pensions qu’il était normal et intéressant de reprendre ainsi une préconisation issue de la société civile. Cependant, les amendements que nous avions déposés à cette fin avaient été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution.

Sur le fond, si ce dispositif limité tend à pallier une inégalité manifeste, n’oublions pas que le problème principal reste celui de la maîtrise publique de la distribution de l’eau, d’une part, et d’un meilleur contrôle public de la formation des tarifs, d’autre part.

M. Roland Courteau. Oh oui !

Mme Évelyne Didier. Nous trouvons inadmissible que l’eau soit d’abord, et avant tout, une source de profits énormes pour les multinationales du secteur !

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Évelyne Didier. Ces profits sont réalisés par le biais d’une facturation à un prix bien trop élevé de l’eau aux usagers, alors même que ces derniers subissent une crise économique et sociale majeure les plongeant de plus en plus dans la précarité.

Ainsi, les profits des deux « géants » de l’eau ont atteint, pour l’année 2009, un niveau colossal ! Par exemple, ceux de Veolia s’élèvent à 5,5 milliards d’euros pour le seul marché français ! Imaginez ce que cela peut donner à l’échelle mondiale !

M. Roland Courteau. C’est scandaleux !

Mme Évelyne Didier. Nous proposons donc que les entreprises délégataires soient les principaux financeurs de cette « allocation eau ».

Avant de conclure, je souhaiterais indiquer que nous ne sommes pas, par principe, contre l’idée d’une tarification sociale de l’eau. En effet, celle-ci peut favoriser une consommation d’eau plus sobre, allant dans le sens d’une meilleure utilisation de la ressource.

Pour autant, nous préférons le modèle d’une allocation permettant de tenir compte de la recommandation de l’ONU et de l’OCDE selon laquelle la facture d’eau ne doit pas dépasser 3 % des ressources d’un ménage et de faire contribuer directement les entreprises, à hauteur de 1 % de leur chiffre d’affaires. Comment ne pas rappeler également la nécessaire implication de l’État au titre de la solidarité nationale, puisque celui-ci perçoit la TVA sur l’eau ?

En tout cas, nous déplorons aujourd’hui que la solidarité reste le seul fait des usagers. Les aides prévues sont simplement des aides à la solvabilité, que les entreprises ne se priveront pas de répercuter sur les consommateurs.

Pour cette raison, nous regrettons que le présent texte n’ait pas repris nos propositions pour garantir le droit à l’eau. Attendant avec impatience de connaître le nouveau dispositif qui, semble-t-il, devrait voir le jour au cours de l’année 2011, nous nous abstiendrons sur ce texte.

Évelyne Didier

Ancienne sénatrice de Meurthe-et-Moselle
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