Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
La proposition de loi tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire, de nos collègues les sénateurs Collin et Baylet, appelle un certain nombre d’observations, au regard de son caractère global et obligatoire.
En posant le principe de l’obligation de l’assurance récolte sans envisager la question de son financement, de ses modalités de mise en œuvre, de son inscription dans le cadre communautaire et international, la proposition soulève beaucoup de questions auxquelles elle n’apporte pas de réponse.
Mais c’est également là sa principale qualité : provoquer, devant cette assemblée, un débat nécessaire sur la prise en compte des difficultés chroniques auxquelles doivent faire face les agriculteurs, les éleveurs, les maraîchers, les viticulteurs, le monde paysan dans sa globalité.
En effet, leur protection contre les aléas climatiques sanitaires et économiques n’est pas assurée de manière satisfaisante et semble assez disparate, voire inexistante selon les filières concernées.
Il existe plusieurs produits d’assurance sur le marché contre la grêle, le gel ou encore contre plusieurs risques combinés avec le soutien de l’Etat et souvent des collectivités locales, le fonds de garantie contre les calamités agricoles malgré ses imperfections reste un mécanisme nécessaire dans bien des situations de crise. Cependant, si suite à la loi d’orientation agricole en 2006, l’assurance récolte a progressé, c’est surtout en direction des grandes cultures.
A ce titre on peut noter, que les indications fournies par le rapport de la commission sur le taux de prise en charge de la prime d’assurance par le fond national de garantie des calamités agricole indiquent que de 2005 à 2008 le taux était le même pour toutes les cultures. On peut s’interroger sur le bien fondé d’une telle décision quand on connaît la disparité, en terme de revenu et de risque entre les cultures. C’est pourquoi il est heureux que le décret en 2009 prévoit un taux différencié favorisant les cultures les plus exposées.
Avant d’entrer dans le détail, des difficultés posées par l’assurance récolte, dont le constat semble être largement partagé, j’aimerais soulever un problème : celui du revenu des agriculteurs et à travers lui la notion d’assurance revenu.
La question de l’assurance récolte ne peut être déconnectée de la question de la garantie des prix aux agriculteurs.
Il serait nécessaire de réfléchir à la mise en place d’un mécanisme assurant les volumes produits, peut-être même les prix, afin de tendre vers une régularisation des revenus.
Si entre 2006 et 2007 le revenu net par actif de l’ensemble de la branche agriculture a augmenté, ce résultat positif est dû essentiellement à la forte progression de la valeur de la production agricole, qui s’explique à 85% par celle de la production de céréales oléagineux et protéagineux.
En effet leur prix a augmenté de 51% par rapport à 2006. Cette augmentation a entraîné, notamment, une forte hausse du coût de production de l’alimentation animale qui a mis en difficulté nombre d’éleveurs parfois déjà affaiblis par des crises sanitaires.
De plus, il faut noter de fortes disparités dans les revenus entre les grandes cultures sus mentionnées et l’élevage, mais également avec les autres productions végétales. Or, ce sont également ces grandes cultures qui sont les mieux assurées.
Vous le voyez on ne peut pas traiter la question assurantielle sans prendre en compte les difficultés économiques de bon nombre d’exploitations. Si certains agriculteurs ne s’assurent pas c’est tout simplement qu’ils n’en ont pas les moyens !
C’est pourquoi, nous pensons qu’il devient urgent que les sénateurs se saisissent de la question d’un prix rémunérateur des produits agricoles dans le cadre de la réflexion sur l’assurance récolte.
Sur la proposition de loi stricto sensu. On sent que le véritable obstacle à la proposition de nos collègues réside dans l’engagement financier de l’Etat. En effet, un soutien important et beaucoup plus conséquent que ce qui est budgétisé, à l’heure actuelle, serait nécessaire si l’assurance récolte devenait obligatoire.
Ainsi, les trente deux millions consacrés seraient à multiplier par dix. L’Espagne, pays donné en exemple, a consacré 280 millions au financement de son dispositif assurantiel.
Dans le contexte actuel de crise économique et financière, alors que le Gouvernement a vidé les caisses de l’Etat au profit des ménages les plus aisés, alors que le sous engagement financier de l’Etat s’accompagne d’une sous dotation du fonds national de garantie des calamités agricoles, il serait illusoire de croire que l’Etat est disposé à engager les sommes nécessaires à la viabilité du système d’assurance obligatoire.
De plus, les décisions au niveau communautaire n’ayant pas encore été définitivement fixées, en ce qui concerne notamment le soutien financier d’origine communautaire, mais également la compatibilité du soutien interne des Etats membres (participation aux primes d’assurance) au regard du droit européen et international, il nous semble opportun, dans ces conditions, de ne pas imposer aux agriculteurs des obligations qui les mettraient en difficulté financière.
Monsieur le rapporteur soulignait, en commission, que si certains agriculteurs ne s’assurent pas aujourd’hui c’est en raison de l’absence d’un produit assurantiel adapté à leurs besoins. Nous partageons cette idée. Il serait sans doute intéressant avant de parler de caractère obligatoire de l’assurance de réfléchir aux modalités de l’assurance et peut-être envisager des solutions par filières.
Se pose également la question de la concurrence entre les assureurs. Aujourd’hui, comme le notait déjà le rapport du sénateur Dominique Mortemousque, deux assureurs proposent les assurance multirisque : GROUPAMA qui en réalisait en 2005 les 9/10èmes et PACIFICA filiale du Crédit Agricole.
Si la bonne diffusion de l’assurance récolte, pour les grandes cultures, pouvait s’expliquer en partie par la bonne concurrence entre les deux opérateurs cet élément, notait le rapport, ne sera certainement pas durable, qui plus est dans un système d’assurance obligatoire.
Il ne faudrait pas non plus sous estimer le risque que les assureurs profitent de la subvention publique pour augmenter leurs primes, autrement dit que des tarifs prohibitifs consomment l’aide.
Enfin ce qui concerne la mutualisation, la proposition de loi reste muette puisqu’elle renvoie pour l’essentiel à un décret et le rapport envisage la question en quelques lignes seulement au travers du principe de l’extension progressive de l’augmentation de l’assiette des cotisants. Il est essentiel de déterminer quel niveau de mutualisation nous voulons dans un système d’assurance récolte obligatoire.
Si nous ne sommes pas catégoriquement opposés au principe d’une assurance obligatoire sa mise en œuvre nous semble quelque peu prématurée. A l’heure de la réforme de la politique agricole commune, la Présidence française n’a pas su proposer de mesures fortes pour défendre les cultures les plus fragiles et assurer un revenu décent aux agriculteurs. Les politiques européennes de suppression des quotas, de réforme des aides à la production vont dans le sens d’une déstabilisation de revenus et renforcent les inégalités dans le monde agricole.
En résumé, il convient de poursuivre cette réflexion en prenant en compte un traitement assurantiel par filière, un haut niveau de mutualisation des risques, une participation conséquente de l’Etat et de l’Union européenne ; le tout complété par des mesures de prix rémunérateurs, de régulation des volumes de production et des marges de la grande distribution.
Mais, si j’ai bien compris ce qui se prépare : c’est le désengagement total de l’Etat dans ce domaine, et sa livraison aux appétits des assurances privées.
Dans ce contexte et pour toutes les raisons que je viens d’évoquer le groupe communiste républicain et citoyen s’abstiendra sur cette proposition de loi.