Quatre mois après sa première lecture au Sénat ce projet de loi n’a pas évolué. Le gouvernement poursuit son objectif : non seulement changer le statut d’A.D.P., mais aussi imposer d’autres critères de gestion (rentabilité et profit) à une entreprise gérant des missions de service public. C’est la traduction du désengagement de l’État dans le secteur aérien, avec à terme, la privatisation d’A.D.P., même si vous vous en défendez, M. le Ministre.
Je proteste contre toute décision préjudiciable à la qualité du transport aérien. Le changement de statut provoquera le glissement d’une logique de service public à celle de la libre concurrence. Abandonner le statut d’établissement public pour faire d’A.D.P. une société anonyme ne répond pas à l’intérêt général, surtout au moment où A.D.P. vient d’annoncer des résultats plutôt favorables, avec la hausse du chiffre d’affaires et du résultat d’exploitation.
Je ne suis toujours pas convaincue par vos justifications de l’ouverture du capital d’A.D.P. et j’ai des arguments nouveaux à vous opposer. Les besoins de financement auraient pu être satisfaits autrement.
Le gouvernement aurait pu envisager une recapitalisation ou la création d’un pôle bancaire et financier public pour répondre aux futurs besoins. L’établissement n’aurait pas été fragilisé et son avenir n’aurait pas été hypothéqué.
Le choix de l’option libérale, c’est celui de la fuite en avant pour assouvir les appétits des marchés financiers, via une diminution des coûts, un accroissement de la productivité, le développement de la sous-traitance, la précarisation du personnel et une diminution de la sécurité.
Ce texte est lourd de conséquence, avec ses articles aussi lapidaires qu’inquiétants. Il s’inscrit bien dans le contexte de la déréglementation européenne des services publics de transport aérien.
Cette libéralisation du service public aéroportuaire pose des problèmes en termes d’aménagement du territoire, de maîtrise foncière, d’environnement, d’avenir financier des collectivités locales riveraines, de protection et de sécurité, de transparence, de démocratie... qui sont de la responsabilité de l’État.
Ces enjeux auraient mérité un débat d’ampleur avec l’ensemble des acteurs concernés : riverains, élus, associations...
La question de la propriété des installations aéroportuaires a été l’objet d’importants débats, notamment aux États-Unis - que l’on ne peut soupçonner d’être le fer de lance du « tout public » et où les aéroports demeurent, propriété publique.
Qu’en pensez-vous M. le Ministre ?
L’exposé des motifs mentionne la nécessité de développer le hub de Roissy face à une concurrence de plus en plus vive et au regard du doublement du trafic aérien d’ici 2015.
Cela signifie un avion toutes les 30 secondes. À Roissy, entre minuit et cinq heures du matin, les vols sont passés de 26 000 à 22 500, soit une diminution de 160 vols par nuit, qui n’ont pas été supprimés, mais simplement déplacés, avant minuit et après cinq heures. Cinq heures de sommeil, c’est tout de même un peu court.
Le 28 février, le Parlement a inscrit dans la Constitution la charte de l’environnement qui énonce que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et que « les politiques publiques doivent concilier la protection de l’environnement, le développement économique et le progrès social ». Nous nous sommes abstenus.
Monsieur le Ministre, votre annonce d’un nouveau développement du transport aérien ne peut qu’alarmer davantage les salariés, les riverains, les élus d’Ile-de-France et plus particulièrement, l’élue du Val-de-Marne que je suis.
L’ouverture à la concurrence, l’introduction de capitaux privés au sein d’A.D.P. changera considérablement sa gestion. Les considérations d’intérêt général et de préservation de l’environnement ne seront peut-être pas appréhendées comme il se doit par des actionnaires obsédés par le profit et la rentabilité maximum.
Au-delà de la concentration des moyens sur les dessertes jugées rentables, qui crée de véritables disparités territoriales, ce texte représente une nouvelle escalade des nuisances subies par les riverains de Roissy et d’Orly. Or certaines communes, comme Choisy-le- Roi sont exclues du plan d’exposition au bruit.
Les nuisances sont telles que, l’ensemble des élus de mon département, toutes sensibilités confondues s’est mobilisé en faveur d’un troisième aéroport hors d’Ile-de-France. Celui de Lyon-Saint-Exupéry ne peut le remplacer. Tous conviennent qu’il est urgent de s’orienter vers un plan de modernisation comportant des normes environnementales strictes.
Pour le fret, au lieu de conforter le rôle de Vatry au sein du système aéroportuaire français, on a accordé à Fedex des conditions d’implantations à Roissy particulièrement avantageuses. Cette société vient de faire jouer son droit d’option sur une réserve foncière de plus de 14 hectares.
M. de Robien a décidé de rompre l’engagement de l’État de créer un troisième aéroport, dès son arrivée au pouvoir.
Les conséquences pour les 400 000 riverains de l’aéroport ne sont pas neutres. Une enquête d’Airparif, diligentée début 2004, montre qu’ils sont soumis à un niveau de pollution identique à celui que subissent les riverains du périphérique parisien et provoquant des réactions allergiques.
Face à de tels problèmes de santé publique et à la perspective d’un doublement du volume de transport aérien d’ici à 2015, ce projet de loi ne peut recueillir notre opposition.
Confier à Aéroports de Paris la gestion de l’ensemble du foncier appartenant à l’État sur le périmètre des aéroports est dangereux : les élus locaux n’auront plus leur mot à dire sur l’aménagement du territoire.
Les ambitions dévoilées du président directeur-général d’Aéroports de Paris d’un développement débridé du commerce sur Roissy-Charles- de-Gaulle, sans réflexion ni concertation, sont révélatrices.
La presse se fait régulièrement l’écho d’un projet commercial de 50 000 m2 pour lequel ni les chambres consulaires, ni les élus concernés n’ont été consultés.
L’entreprise se désintéresse du développement harmonieux du territoire, alors que le patrimoine foncier en sa possession lui donnera de fait un rôle d’aménageur.
A.D.P. possède des réserves foncières qui vont bien au-delà des plateformes actuelles : il y a là un problème d’avenir du territoire, de démocratie même.
La recherche d’une productivité toujours plus grande ira contre la qualité du service public et la sécurité des usagers, sujets sur lesquels on ne peut pas transiger ! Les agents d’Air France sont très préoccupés, vous ne les entendez pas ! Il y a un vrai danger à laisser le marché dicter les règles du transport aérien : ne vous étonnez pas que le « non » à la constitution européenne l’emporte dans les intentions (M. le ministre s’exclame) : les riverains et les agents d’Air France comme ceux d’A.D.P., font le lien entre les deux sujets !
La Commission européenne estime que la communication, la navigation, la surveillance, l’information aéronautique et le traitement des données relatives au vol pourraient devenir concurrentiels, pour un meilleur service à un meilleur coût : ce n’est pas pour nous rassurer !
Une hôtesse de l’air a récemment été victime d’un accident mortel à Orly. L’inspection du travail a noté un manque d’effectifs, la présence de matériels parfois défectueux. Les règles de sécurité sont mieux appliquées depuis cet accident.
Pourtant, un collègue de la victime, encore traumatisé, est passé en conseil de discipline hier soir, sans attendre que le comité d’hygiène et de sécurité, comme il est d’usage, rende son rapport. Pourquoi l’inspection du travail n’est-elle pas entendue ? Est-ce une espèce en voie de disparition du fait du démantèlement du Code du travail ?
J’ai reçu, le 8 mars, les collègues de la défunte et j’en appelle, monsieur le Ministre, à plus de compréhension : il ne faut pas licencier le collègue convoqué par le conseil de discipline, mais prendre toutes les dispositions pour qu’un tel drame ne se reproduise pas. Les inspecteurs du travail qui se sont réunis en assemblée générale le 15 mars se sont adressés à vous : répondez-leur !
L’article 2 déclasse du domaine public les biens d’A.D.P. et de l’État - pourquoi ce déclassement plutôt qu’une licence d’exploitation ? Comment assurer les missions d’intérêt général, avec la spéculation immobilière et commerciale ? Robert Hue vous l’avait demandé en première lecture, en rappelant que le préambule de la Constitution consacre l’inviolabilité de la propriété publique, par le renvoi à l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme : « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».
Le Conseil d’État, dans son arrêt du 21 mars 2003, a reconnu la protection du domaine public comme un impératif d’ordre constitutionnel. L’arrêt Le Béton, de 1956, introduit la notion de service public dans la définition du domaine public : celui- ci est un bien dont l’administration doit assurer, dans l’intérêt collectif, la meilleure exploitation. C’est le cas pour A.D.P. !
M. LE PRÉSIDENT. - Veuillez conclure !
Mme LUC. - Que se passera-t-il si l’exploitant fait faillite ? Comment contrôler l’affectation du domaine d’A.D.P. à l’exécution du service public aéroportuaire ? Le peuple français refuse le tout libéral que vous lui proposez ! Vous devrez bien en tenir compte si, comme nous l’espérons, le « non » l’emporte au référendum.