Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
L’actuel président d’Aéroports de Paris se félicitait le 3 novembre dernier dans le journal de notre haute assemblée, l’hémicycle de ce projet de loi qu’il qualifiait d’« équilibré », et qu’il ne souhaitait pas voir amendé. On se satisfait certainement de ce que l’on a soit même piloté en coulisse ! Delà à ce que l’on soit exhaussé, c’est une autre affaire.
Et pourtant, qu’observe-t-on ?
Que la commission des affaires économiques saisie au fond ne propose en tout et pour tout que dix amendements dont la teneur, j’aurai l’occasion d’y revenir lors de la discussion des articles, est non seulement modeste mais de purs témoignages de l’existence du parlement, devenu simple chambre d’enregistrement des projets du MEDEF (on l’a vu avec le projet de loi de cohésion sociale) ou simple lieu de relais des orientations définies à l’OMC ou par la commission européenne (et ce projet de loi en est la parfaite illustration !)
Quant à la commission des finances saisie pour avis notamment sur l’épineuse question des redevances, elle ne propose aucun amendement !
Ainsi, ce texte, véritable passoire, renvoyant à des décrets des domaines extrêmement importants ayant trait à la fois à la liste des terrains et biens qui continueront à relever de la domanialité publique, au champ des obligations de service public, à la définition des statuts de la nouvelle société ADP, au bouleversement des règles de calcul et de modulation des redevances, ne devrait faire l’objet in fine que de modifications marginales !
Et ce, malgré les incohérences du texte pointées d’ailleurs par les rapporteurs, dont il ne s’agit pas ici de remettre en cause, entendons nous bien, la qualité remarquable de leur travail que je tiens à souligner ! Ce qu’il convient de dénoncer c’est bien l’omnipotence d’un exécutif qui tend de plus en plus à nier le rôle démocratique de nos institutions, en prenant appui sur le contexte actuel de domination de l’idéologie libérale s’érigeant en véritable dogme !
Ainsi, pourquoi abandonner le système de la caisse unique qui comme l’a souligné notre collègue et rapporteur Yvon Collin est pratiquée par tous les aéroports du monde pour faire face à l’insuffisance des redevances tirées des seules activités aéroportuaires ? Pourquoi remettre en cause le régime de la domanialité publique à contre courant, là encore, de ce qui se pratique sur le plan mondial ?
Pourquoi abandonner le statut d’établissement public d’ADP au profit de celui de société anonyme alors que dans le contexte actuel, après la récente zone de turbulence sur fond de faillites de grandes compagnies aériennes, les résultats économiques et financiers d’ADP sont, somme toute, plutôt positifs.
Dans un secteur fortement fragilisé et en pleine restructuration, ADP a su tirer son épingle du jeu et il fait même plutôt figure d’exception au regard, dernièrement, de la hausse de son chiffre d’affaires et de son résultat net d’exploitation. Ainsi pour 2003, l’augmentation du chiffre d’affaires consolidé se situe t’elle aux alentours de 1,7 milliards d’euros , soit une progression de plus de 15 % par rapport à 2002.
C’est la démonstration de l’efficacité d’une politique de développement d’un pôle irriguant une large zone économique qui a permis à ADP, comme à Air-France d’ailleurs, de mieux résister aux perturbations conjoncturelles ,
de la réussite d’une politique volontariste de développement des infrastructures à même d’amortir les chocs externes.
C’est tout cela que vous voulez remettre en cause en choisissant d’entamer la privatisation d’ADP et des grands aéroports régionaux, en abandonnant ce secteur aux logiques purement marchandes.
Une telle politique a nécessité de lourds investissements qui implique un niveau d’endettement élevé de l’établissement public ! Certainement, mais ce dernier n’aura cependant pas demandé un centime au contribuable depuis plus de 20 ans ! Et il aura même anticipé le remboursement à l’Etat des emprunts contractés au cours des années quatre-vingt !
Qu’en sera-t-il demain quand la société sera privatisée ?
Contrairement aux arguments traditionnellement invoqués par les libéraux, je crains que ce choix de privatisation ne fragilise profondément l’entreprise pouvant aller jusqu’à remettre en cause sa pérennité. Plutôt que de recourir aux emprunts sur les marchés financiers pour faire face aux besoin de financement de l’établissement, une recapitalisation aurait dû être envisagée mais elle se heurte au dogmatisme libéral actuel qui n’a de cesse de réduire le champ d’intervention de l’Etat.
On pouvait tout aussi bien envisager la mise en place d’un pôle bancaire et financier public pour répondre aux besoins futurs. Cela aurait l’avantage de ne pas fragiliser l’établissement en préservant son statut d’Etablissement public.
Mais le gouvernement préfère ouvrir le capital !
En devenant le seul et unique propriétaire du capital d’ADP comme le prévoit le projet de loi, c’est une manne financière extrêmement importante au vu de l’ensemble des actifs financiers, fonciers et immobiliers valorisables, que se réserve l’Etat et qui viendra alimenter les caisses du budget pour réduire le déficit lors de la privatisation !
Autant d’argent qui ne sera pas réintroduit dans le circuit économique pour alimenter la croissance !
J’ai de sérieux doute quant au fait que le changement de statut d’ADP en SA, et sa future privatisation (car qui nierait encore après les exemples d’Air-France, de France Telecom, d’EDF et bientôt, sans doute, de la SNECMA que ce texte en prépare le terrain…)
J ’ai de sérieux doutes, disais-je, que le changement de statut réponde à de réelles contraintes économiques et financières. Mes craintes sont par contre fondées quant aux lourdes conséquences pour la future société et l’ensemble de ses salariés.
En premier lieu, comme on a pu l’observer dans d’autres secteurs, l’arrivée des actionnaires privés qui exigeront des taux de rémunération de capitaux élevés - j’entends parler de 7,5 % - prélevés sur la valeur ajoutée, pèsera au final,
sur la situation financière de l’entreprise et sur sa capacité future de développement. Cette ponction sur la richesse créée au profit des marchés financiers est à terme très préoccupante et peut remettre en cause l’entreprise. Car le risque existe d’une fuite en avant pour assouvir les appétits des marchés financiers par le biais de la recherche de diminution des coûts, d’accroissement de la productivité, de développement de la sous-traitance et de la précarisation du personnel.
A cela s’ajoute la perte de la garantie d’emprunt d’Etat qui se traduira automatiquement par un accroissement des taux d’intérêt et un alourdissement de la charge de la dette.
En deuxième lieu, avec la volonté de diversifier les activités et le souci de répondre aux exigences d’une rentabilité financière immédiate, on risque d’assister au développement de la filialisation des activités qui constitueront autant de coupes dans le budget de la société ADP et qui fragilisera fortement sa situation financière et ce, d’autant plus, si certaines activités sont cédées à des intérêt privés. L’on connaît, par exemple, les appétits du groupe Vinci dans le domaine des activités aéroportuaires.
La recherche de la réduction des coûts se traduira aussi par la poursuite de la réduction des emplois et de la masse salariale, y compris dans un contexte de reprise économique. Ainsi, malgré la hausse d’activité, ADP a continué à externaliser des activités. La seule présence d’actionnaires privés accélèrera plus encore ce mouvement.
On comprend aisément dans ce contexte que le texte de loi n’apporte aucune véritable garantie au personnel, notamment en n’intégrant pas les accords conventionnels
En troisième lieu, et l’exposé des motifs de ce projet de loi est, de ce point de vue, très clair, il s’agit d’accroître au maximum la productivité en optimisant les capacités des plates-formes aéroportuaires.
Autrement dit, cela signifie un accroissement des flux et des mouvements, jusque là encore réglementés.
Cela signifie la mise en concurrence des principaux aéroports du territoire national avec des pressions encore accrues des compagnies « low cost ».
En réalité, je crains que cet accroissement du trafic ne puisse se faire qu’au détriment de la qualité du service public et de la sécurité des usagers et des populations riveraines.
Je crains aussi que cela ne puisse se faire qu’au prix d’un accroissement des nuisances environnementales et notamment des nuisances sonores ! Le développement du trafic aérien des aéroports d’Orly et de Roissy, mais aussi de nombreux aéroports et aérodromes régionaux soumettra de plus en plus de zones urbanisées aux nocivités aéroportuaires. Mes collègues, Robert Hue et Hélène Luc, particulièrement concernés dans leur circonscription par ce problème essentiel qui concerne des milliers de citoyens, auront l’occasion d’y revenir au cours de leur intervention.
Il faudra bien, avec les difficultés qu’a connu l’ADEME, apporter des moyens financiers nouveaux pour répondre aux besoins d’insonorisation des logements dans les zones soumises aux nuisances sonores, surtout si ces zones, mais vous me démentirez sans doute, ont tendance à s’étendre ! Sur ce point des indemnisations, le débat lors de l’examen du projet de loi sur la création des communautés aéroportuaires nous avait laissé sur notre faim ! Peut-être aurons nous aujourd’hui quelques éclaircissements ?
Au final, le changement du régime de propriété foncière et le passage de la domanialité publique à la domanialité privée soulèvent de graves questions, dont plusieurs ont été déjà évoquées et seront développées au cours de la discussion des articles.
Je me contenterai d’insister plus particulièrement sur la question de la valorisation à tout prix des terrains faisant partie des zones aéroportuaires.
Des projets de création de complexes commerciaux, comme à Roissy - Charles de Gaulle, sont à l’ordre du jour.
Or, si leur réalisation permettrait certainement d’accroître les recettes commerciales - celles-ci représentaient plus de 14 % des recettes d’ADP en 2003, elle risquerait de renforcer les difficultés d’accès aux aéroports par la route ou par le rail.
Bref, les enjeux, économiques et financiers liés à l’exploitation de la zone aéroportuaire sont énormes, notamment pour les villes situées dans les zones environnantes.
Car, avec ce projet de loi on risque d’assister non seulement à un fractionnement de notre espace national par la mise en concurrence des régions et en l’occurrence ici par la mise en concurrence des aéroports comme moyens d’attractivité territoriale. Mais aussi à la mise en concurrence des villes au sein même des zones aéroportuaires par l’instauration des zones à exonérations fiscales et abattements de toutes sortes, qui sont autant de pertes de ressources pour les collectivités locales. J’aurai l’occasion d’y revenir !
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous ne pouvons que nous opposer à un tel projet de privatisation qui fragilisera la santé économique et financière de l’actuel établissement, remettra en cause l’ensemble des missions de services publics aéroportuaires et tirera vers le bas l’ensemble des droits des salariés.
Les grandes craintes exprimées par le Président d’une grande compagnie aérienne comme Air France vis à vis de mesures très défavorable à celle-ci comme la possible remise en cause de son Hub de Roissy sont tout a fait justifiées par certaines dispositions de ce texte !
C’est une grande entreprise qui a la charge de missions de service public qui va peut-être connaître des difficultés alors que jusqu’à maintenant elle avait bien résistée à la crise du secteur aérien !
Monsieur le ministre, nous avions su nous doter d’un véritable outil industriel par le biais d’établissements qui furent conçus jusque dans leur statut même pour répondre aux exigences de développement économique et social de la nation et à l’aménagement de notre territoire.
Par le biais des missions de service public, ces établissements constituèrent en tout cas de formidables instruments correcteurs des inégalités sociales et territoriales, au cœur même de la problématique républicaine.
Pour ces mêmes raisons ces établissements avaient été exclus de la possibilité d’être mis en faillite ? Qu’en sera-t-il demain quand ces établissements seront abandonnés aux logiques purement marchandes ? l’Etat, en cas de faillite devra-t-il intervenir comme « sauveur en dernier ressort » comme cela s’est vu en Angleterre dans ce secteur ?
Devra-t-il racheter les propriétés immobilières et foncières qu’il aura cédées à une société anonyme.
Face à de telles craintes, le groupe Communiste Républicain et Citoyen s’oppose à ce projet de loi et mes collègues et amis Robert Hue et Hélène Luc défendront tout à l’heure la question préalable ainsi qu’une motion d’irrecevabilité, significatives de notre détermination à préserver le service public du transport aérien.