Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés, au titre à la fois long et pompeux, parvient donc à son stade ultime, celui de la présentation des conclusions de la commission mixte paritaire.
Si relance il y a avec ce texte, c’est sur un plan formel tout d’abord.
Nous avions à l’origine un projet de loi de sept articles, dont deux autorisant le recours à la procédure des ordonnances et nous sommes, après une lecture du texte par les deux assemblées, parvenus à un texte de trente-huit articles soumis à la commission mixte paritaire.
Pour faire bonne mesure, la commission, dans des conditions dont la narration pourrait sidérer l’opinion publique, a supprimé deux des articles votés par le Sénat et en a ajouté un autre, déposé par la rapporteure de l’Assemblée nationale.
Et pour faire bon poids, le Gouvernement en a ajouté un nouveau, reprenant d’ailleurs une disposition dont la suppression avait été confirmée par la commission mixte paritaire.
Nous voici donc en présence d’un texte ramasse-miettes ou fourre-tout de trente-huit articles, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il peut, formellement du moins, manquer de cohérence !
Mais, car il y a un mais, nous ne vous ferons pas le procès de nous inviter à adopter un texte voiture-balai, sorte de session de rattrapage mal ficelée d’une session parlementaire quelque peu secouée par la crise. Bien au contraire.
Pour nous, ce texte a effectivement une cohérence : il constitue, de manière systémique, une bonne approche de ce qu’est devenue la politique de votre Gouvernement.
Premier aspect : le recours massif, de plus en plus massif, à la procédure des ordonnances pour avancer sur la voie des réformes. Ces réformes obéissent en fait au principe résumé dans une célèbre citation du film Le Guépard : « Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change » !
M. Patrick Devedjian, ministre. C’est une belle référence !
Mme Odette Terrade. Toujours est-il que le débat ouvert sur le renforcement des droits du Parlement, de ce point de vue, est d’ores et déjà résolu. Nous avons acquis le droit de voter encore plus d’articles d’habilitation, et nous avons même le droit, comme nous le voyons avec l’article 6 quater du présent texte, d’adopter par voie d’amendement gouvernemental la ratification d’ordonnances précédemment promulguées et n’ayant pas même fait l’objet du dépôt d’un projet de loi de ratification !
La cohérence de ce texte, en tout cas la première, est celle de l’autoritarisme gouvernemental, appuyé bien entendu par la docilité de sa majorité parlementaire se conformant sans broncher aux recommandations des chefs !
Seconde cohérence du texte : l’amoncellement de dispositions intéressant précisément tel ou tel groupe de pression ou tels ou tels intérêts économiques. C’est ce que nous avons appelé une privatisation de la loi. Cela constitue un évident détournement de la notion d’intérêt général !
En vertu de cet intérêt général, nous pourrions nous contenter de pointer la suppression de l’amendement déposé par notre collègue Mercier relatif au nouveau stade dévolu aux activités de l’Olympique Lyonnais.
Cet amendement était une anticipation sur la loi sur le sport - nous avons appris qu’elle serait débattue pendant cette session ordinaire, peut être après la loi pénitentiaire - mais cela est finalement peu de choses au regard de son objectif principal : donner la force de la loi à la position d’opérateurs confrontés à un contentieux administratif ! Une fois de plus, la loi se serait conformée au propriétaire du pot de fer contre celui qui n’a que le pot de terre !
Nous ne sommes pas opposés, par principe, à l’acquisition par la troisième ville de France d’un stade comparable à ceux que l’on connaît ailleurs en Europe, quoique le stade de Gerland soit classé à l’inventaire des monuments historiques. Mais rien ne justifie, de notre point de vue, la non-application à ce dossier du droit de l’urbanisme dans toute sa pertinence.
Une telle suppression a également touché le projet délirant de réalisation d’un circuit de Formule 1 dans la plaine des Mureaux, porté par le président du conseil général des Yvelines.
Ce projet aurait signifié la mort programmée du circuit de Magny-Cours, qui a sans doute le défaut d’être situé dans la Nièvre, département géré de longue date par les forces de gauche, et il se faisait, là encore, en parfaite abstraction des règles les plus élémentaires du droit. Pourtant, un tel sujet mérite autre chose que cette procédure d’amendement à la sauvette ! La France doit faire comprendre à la Fédération internationale du sport automobile que le Grand Prix de France peut continuer à être organisé à Magny Cours ! D’ailleurs, la plaine des Mureaux n’est pas tout à fait à l’abri d’inondations éventuelles provoquées par une crue de la Seine.
Outre ces deux exemples, la loi est pleine de ces mesures de circonstance.
Ainsi l’article 1er, en favorisant la densité des constructions, va-t-il permettre à quelques élus locaux, aux côtés de certains opérateurs immobiliers, de pouvoir réaliser un nombre plus important de logements sur un espace plus réduit. Et ce sans activation de la procédure d’enquête publique.
Ainsi l’article 2 ter va-t-il permettre, sous l’apparence de favoriser la recherche archéologique, de faire « couler le béton » encore plus vite. Il donnera la possibilité à quelques promoteurs immobiliers d’artificialiser sans vergogne terrains agricoles et délaissés urbains, transformés en terrains à bâtir, en zones commerciales et en barreaux d’autoroute !
L’article 2 quater A procède d’ailleurs de la même logique, en ce sens qu’il met directement en cause le travail des équipes d’archéologues, puisqu’il tend à le cantonner sur des objets et une durée limités.
Pour faire bonne mesure, je ne reviens évidemment pas sur le relèvement des seuils de passation des marchés publics de gré à gré, qui sont autant d’espaces ouverts pour le contact direct entre élus locaux et majors du bâtiment et des travaux publics, et qui vont conduire à la généralisation de l’allotissement comme mode normal de réalisation d’équipements publics.
Ce dispositif n’est pas une relance des investissements et constitue bien plutôt un recul sur la loi Sapin de 1991, rouvrant la boite de Pandore des contrats « ami-ami », qui ont fait les beaux jours de la gazette judiciaire, notamment pour les marchés publics d’Île-de-France ou ceux des Hauts-de-Seine.
À moins que la corruption ne soit le signe de la modernité, nous ne pouvons évidemment pas vous suivre dans cette voie !
Cynisme ou naïveté, le fait que la rapporteure de l’Assemblée nationale ait cru utile de réintroduire dans le texte du projet de loi l’amendement relatif aux pertes de recettes des journaux spécialisés dans la publicité légale montre bien le mouvement que nous allons observer.
Les marchés publics sans publicité, c’est souvent les dessous-de-table, mes chers collègues !
En poursuivant dans le même domaine, comment ne pas pointer la collection d’articles destinés aux intérêts privés se piquant de service public ? Car enfin, entre la facilitation des contrats de partenariat public-privé - nous avons même, avec l’amendement du Gouvernement portant article additionnel après l’article 3, la déclaration de candidature sans bouclage financier achevé ! - et la prolongation des concessions d’autoroute aux opérateurs s’étant repus de la cession à bas prix des actions de l’État dans les SEMCA, qui cela concerne-t-il ?
Rien d’autre, encore une fois, qu’un nombre restreint de groupes privés - ce ne sont pas vraiment des PME... - pour lesquels le Gouvernement a montré, ces temps-ci, une complaisance pour le moins exagérée.
D’ailleurs, ne nous annonce-t-on pas, dans des délais rapprochés, la concession de la quatrième licence UMTS à un opérateur privé pour qui l’on ferait un « prix d’ami » ?
Dans le même domaine, pour faire bonne mesure, on a, par l’article 5 quinquies B, réintroduit dans la loi l’amendement « Numéricable » que nous avions, pour une part, supprimé de la loi de modernisation de l’économie, puisque, dans cette affaire, il s’agit de se passer de l’avis des copropriétaires quant à la pose d’un dispositif de fibre optique et de confier ce choix douloureux au seul syndic.
Mais que ne ferait-on pas pour quelques intérêts privés !
Notons enfin que la promotion des cadres attendra quelque peu, puisqu’au détour d’un article sans le moindre rapport avec le contenu théorique du texte, on a décidé d’autoriser la prolongation du mandat des administrateurs d’établissements publics de l’État jusqu’à soixante-dix ans ! Les jeunes cadres compétents attendront, et je ne parle pas du fait que ces jeunes cadres pourraient être de jeunes femmes pleines de motivation et de compétences !
À l’examen de toutes ces mesures faisant la part belle aux appétits constructeurs de quelques opérateurs privés bien connus, une question me vient, et elle est d’actualité parlementaire immédiate : est-il compatible avec le discours consensuel tenu dans la discussion sur le Grenelle de l’environnement de favoriser ainsi la réalisation d’autoroutes, la densification du bâti, le bétonnage accéléré des terrains disponibles ?
Est-il compatible avec les enjeux environnementaux que l’on prétend se fixer de recourir massivement à la procédure des partenariats public-privé ?
Il est pourtant de plus en plus évident que ces partenariats vont être mis en œuvre partout où l’on espère un profit sur le court et le moyen terme, et qu’une telle démarche est donc parfaitement incompatible avec un aménagement du territoire plus équilibré, prenant en compte la péréquation des coûts et la mettant en œuvre au travers de la maîtrise publique.
Les enclaves et les territoires mal desservis par les modes de communication modernes n’ont rien à attendre de ce texte, et nous le regrettons vivement.
Quant à la couverture des zones blanches ou des zones d’ombre en internet à haut débit, ne nous y trompons pas ! C’est bel et bien parce que nous sommes entrés dans la logique de la concurrence et de la rentabilité qu’aucun opérateur de télécommunications n’a encore, treize ans après le vote de la loi Fillon-Larcher, pris la peine de réduire la fracture numérique ! Mais que fait donc l’Autorité de régulation, à ne pas rappeler à ces opérateurs les obligations de service public qui devraient constituer la raison d’être de l’autorisation d’accès au réseau ?
Il est vrai que le Gouvernement, comme nous l’avons vu avec la loi de finances rectificative, est bien plus sévère avec les collectivités locales, à qui il demande des comptes sur leur politique d’investissement pour anticiper le remboursement de la TVA sur les dépenses d’équipement !
Privatisation de loi et autoritarisme constituent donc, comme nous l’avons dénoncé, le contenu de ce projet de loi.
Ce projet de loi n’est pas à proprement parler « insuffisant », comme certains l’ont dit, en pointant le niveau des engagements financiers réels. Ce texte est d’abord une loi profondément injuste, qui offre des rentes de situation à quelques-uns sans répondre aux attentes populaires, sans tenir compte des exigences de développement du pays ou, comme nous l’avons vu, de respect des équilibres environnementaux. C’est la raison pour laquelle nous ne le voterons pas.