L’existence de ces objets et de ces œuvres ne commence pas avec leur exhibition

Circulation et retour des biens culturels appartenant aux collections publiques

Publié le 10 janvier 2022 à 12:05 Mise à jour le 12 janvier 2022

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « Est-ce là, où la religion ne permettait même pas aux hommes libres d’entrer pour prier, que tu as osé, toi, lancer les esclaves au pillage d’un sanctuaire ? Est-ce sur ces objets, dont le droit sacré te forçait à détourner même les yeux, que tu n’as pas hésité à porter les mains ? […] Croyez-moi, juges, […] si pendant ces dernières années nos alliés et les peuples étrangers ont subi nombre de malheurs et d’injustices, il n’en est pas qui soient et qui aient été plus pénibles pour des Grecs que ces pillages de sanctuaires et de villes ».

Ainsi s’exprimait Cicéron lors du procès de Verrès, le gouverneur concussionnaire de la Sicile, qui avait pillé toutes ses œuvres d’art. L’histoire des collections est souvent celle du vol, du dol, de la captation, du détournement ou de l’accumulation d’objets collectés sans grand souci de leurs origines et des conditions de leur réunion.

Les temps ont changé, et il n’est plus possible de satisfaire la curiosité du public ou ses plaisirs esthétiques dans l’ignorance de leurs fonctions antérieures, des systèmes sociaux auxquels ils ont appartenu et des destins parfois tragiques qu’ils ont accompagnés. L’existence de ces objets et de ces œuvres ne commence pas avec leur exhibition.

Cette exigence éthique et scientifique de reconnaissance des circonstances des collectes est très loin d’être satisfaite pour une part majeure des œuvres des collections nationales.

Ce récolement général devrait être la première étape indispensable de toute démarche de restitution. C’est un travail de fond qui doit être réalisé de façon collégiale, par la mobilisation de plusieurs disciplines et en collaboration avec les scientifiques des pays d’origine de ces pièces. Disons-le sans ambages : au pire, il n’a pas commencé, au mieux, les moyens dérisoires qui lui sont consacrés éloignent d’autant son achèvement.
Tant que cet inventaire ne sera pas suffisamment avancé, l’aliénation d’objets des collections nationales continuera d’obéir aux vicissitudes des petits arrangements entre États, aux sollicitations entre amis, aux traditions surannées des cadeaux diplomatiques, et il sera demandé au Parlement, tout en lui refusant le besoin d’en connaître, de voter sans renauder des lois de circonstance organisant dans l’urgence et la quasi-clandestinité leur dépossession.

M. Max Brisson. Très bien !

M. Julien Bargeton. Mais non !

M. Pierre Ouzoulias. Il en fut ainsi des restitutions d’œuvres au Bénin et au Sénégal. Le Sénat approuva leur principe, mais s’opposa, par une large majorité, à leurs modalités.
Lors des auditions réalisées par notre commission pour l’examen de ce texte, il n’a toujours pas été possible d’appréhender les modalités d’instruction de ces demandes. Nous n’avons pas obtenu officiellement la copie des lettres adressées par les gouvernements du Bénin et du Sénégal, et il ne nous a pas été possible de déterminer pourquoi certaines œuvres revendiquées par le Bénin ne lui ont pas été restituées.
Ce retour des œuvres béninoises aurait dû être le prétexte d’une collaboration culturelle ambitieuse entre nos deux pays. Il s’est plutôt apparenté à une froide opération notariale de transfert de propriété, qui a frustré les deux parties.

Les restitutions devraient être l’un des éléments d’un échange culturel conçu comme un pont entre deux mondes qui regardent leur passé pour mieux construire leur avenir en commun. La forme législative appropriée de cette coopération pourrait être celle d’une convention internationale. Réduire la restitution à un article législatif constatant la radiation d’objets sur l’inventaire d’un musée est indigne de la valeur symbolique portée par les demandes.

M. Max Brisson. Et c’est peu démocratique ! (M. Julien Bargeton proteste.)

M. Pierre Ouzoulias. L’impéritie des services de l’État à engager le récolement des collections, l’absence de méthode pour l’instruction des demandes et le manque d’ambition politique et culturelle de la précédente loi de restitution ont conduit les signataires du présent texte à proposer la constitution d’un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens.
Constatant la nécessité de donner un nouvel élan à la politique de réparation des spoliations antisémites des œuvres entre 1933 et 1945, le ministère de la culture s’est doté, en avril 2019, d’une nouvelle mission rattachée au secrétaire général du ministère. Sans confondre les deux offices, le Sénat considère que le conseil national proposé par ses soins a la même utilité pour insuffler, coordonner et rendre public les programmes d’échanges d’œuvres.

Vous nous expliquez, madame la secrétaire d’État, que les restitutions ne sont pas le fait du prince. Montrez-le !

PierreOuzoulias

Sénateur des Hauts-de-Seine
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