La scolarisation obligatoire des plus petits aurait été la première pierre de la refondation de l’école maternelle

Scolarité obligatoire à 3 ans

Publié le 3 novembre 2011 à 10:53 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, les événements graves survenus tout à l’heure dans cet hémicycle, qui témoignent pour le moins d’un sérieux manque de franchise, me forcent à modifier la tonalité de mon intervention.

Depuis la loi Ferry du 28 mars 1882, l’obligation scolaire a été progressivement étendue en aval, de treize à seize ans. Mais, en amont, malgré le développement des écoles maternelles sur l’initiative de Pauline Kergomard, le début de l’instruction obligatoire est resté fixé à six ans.

Avant qu’elle ne soit vidée de sa substance par la manœuvre du Gouvernement, la proposition de loi n° 447 tendait à renverser la logique, afin de préserver l’acquis social majeur que constituent les écoles maternelles.

La même conviction animait le groupe CRC lorsqu’il a déposé une autre proposition de loi, visant à garantir le droit à la scolarisation dès l’âge de deux ans, comme celle du groupe du RDSE.

La conjonction de ces trois propositions de loi, distinctes mais convergentes, témoigne de l’importance que le nouveau Sénat attache aux premiers pas des élèves à l’école.

Au terme de ses travaux, et malgré l’intervention du Gouvernement, la commission de la culture et de l’éducation considère toujours que l’école maternelle peut et doit jouer un rôle clé dans la réduction des inégalités et la lutte contre l’échec scolaire. Ce point fait consensus parmi les parents, les enseignants et les chercheurs. Globalement, à condition de s’assurer de la qualité de l’accueil, une scolarité maternelle longue a des effets protecteurs à long terme sur la suite du cursus, notamment en prévenant les redoublements.

M. Roland Courteau. C’est très vrai !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. L’école maternelle constitue donc un instrument de sécurisation des parcours scolaires. Tous les travaux de recherche, notamment ceux des équipes d’Agnès Florin et de Bruno Suchaut, le démontrent. Le Gouvernement préfère ignorer les faits, comme il repousse le débat.

M. Roland Courteau. Eh oui !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. L’école maternelle est bien un chaînon essentiel du système éducatif, mais elle est aujourd’hui fragilisée et menacée. Elle le sera encore plus demain, vos intentions, monsieur le ministre, étant transparentes depuis ce soir.

M. Roland Courteau. Dans un an, cela va changer !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. En effet, malgré l’importance fondamentale de l’école maternelle pour le développement des enfants et la facilitation de leur parcours scolaire, le Gouvernement a fait prévaloir une politique de réduction des coûts, qui s’est traduite par un net recul du taux de scolarisation.

Mme Catherine Troendle. Ah bon ? On vient de nous dire que la quasi-totalité des enfants de trois ans sont scolarisés !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. Nous sommes, statistiquement, revenus trente ans en arrière, à la situation qui prévalait avant les années quatre-vingt.

M. Alain Gournac. Mensonges !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. Gardez votre sang-froid, mes chers collègues !

Mme Catherine Troendle. Expliquez-vous !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. Le taux de préscolarisation dès deux ans est le plus affecté. Son recul, à 13,6 % sur le plan national, frappe durement des zones pourtant prioritaires, par exemple le département de la Seine-Saint-Denis.

Cependant, les réductions du nombre de postes dans le premier degré n’ont pas épargné la prise en charge des enfants âgés de trois à cinq ans. Si le taux de scolarisation demeure quasiment inchangé, cela est dû à une augmentation des effectifs par classe, qui a entraîné une dégradation des conditions d’accueil.

Il n’est pas dit que, à ce rythme, les écoles maternelles ne devront pas écarter, dans les années à venir, de plus en plus d’enfants, faute de places disponibles. Cette crainte se confirme après la tentative du Gouvernement de couper court à notre débat.

À cette pression budgétaire s’ajoutent les effets de la réforme de la formation des enseignants. De l’aveu général, monsieur le ministre, la mastérisation est inadaptée, parce qu’elle affaiblit la professionnalisation des futurs enseignants et complique leur entrée dans le métier. Quatre rapports successifs – Filâtre, Marois, Grosperrin et Jolion – convergent sur ce point. Si l’ensemble du système éducatif est concerné, c’est bien à l’école maternelle et parmi les très jeunes enfants que les dommages risquent d’être les plus importants. (M. Vincent Eblé applaudit.)

En outre, il ne faut pas négliger l’impact des attaques symboliques qui ont tendu à dévaloriser l’action des enseignants et à promouvoir des alternatives privées payantes, alors que celles-ci n’ont jamais démontré leur efficacité. Cette remise en cause a été durement ressentie par le corps enseignant. Elle contribue à la dégradation de la condition enseignante, analysée dès 2008 dans le rapport Pochard et illustrée de façon tragique dans l’actualité récente.

Face à ces attaques, la commission de la culture et de l’éducation a estimé qu’avancer à trois ans l’âge de l’instruction obligatoire constituait une mesure de sauvegarde essentielle. Ce devait être la première pierre du chantier de la refondation de l’école maternelle. Il nous aurait ensuite appartenu d’engager une réflexion sur la mission et la fonction de l’école maternelle, à partir de laquelle nous aurions travaillé à la remise à plat de la formation des enseignants.

Là où le code de l’éducation prévoyait la simple possibilité d’un accueil des enfants de moins de six ans, la proposition de loi visait à imposer à l’État de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires à l’accueil et à l’instruction de l’ensemble des enfants âgés de trois à cinq ans.

Sur le plan symbolique, l’intégration de l’école maternelle dans la scolarité obligatoire aurait dû permettre la reconnaissance définitive de son statut d’école à part entière. Elle aurait pu contribuer à affirmer son rôle fondamental, à la racine du système éducatif.

En outre, le passage d’une simple faculté, même si elle était exercée dans les faits, à une obligation aurait constitué un verrou utile : cela aurait contribué à bloquer toute velléité de réduction de la scolarisation en maternelle et aidé à freiner l’érosion des moyens humains et matériels consacrés à l’école maternelle. Monsieur le ministre, vous l’aviez bien compris : c’est pour cette raison que avez méprisé le travail des auteurs de la proposition de loi et celui de la commission de la culture. (M. le ministre fait un signe de dénégation.)

Après examen, le texte ne présentait pas de difficultés en termes de conformité aux conventions internationales ratifiées par la France, dans la mesure où seule l’instruction obligatoire était visée. La proposition de loi n’imposait pas, malgré son titre équivoque, la scolarisation obligatoire. Elle ne remettait donc aucunement en cause la liberté de l’instruction et le libre choix des familles.

La commission de la culture et de l’éducation souhaitait, et souhaite plus encore aujourd’hui, mettre en garde contre deux effets pervers potentiels.

Premièrement, il faut empêcher que la consolidation de la scolarisation à partir de trois ans ne serve de prétexte à une accélération du recul de la préscolarisation à deux ans. La commission demande, monsieur le ministre, que vous entendiez ce message.

Deuxièmement, il faut stopper la dérive à l’œuvre de l’école maternelle vers l’école élémentaire, à la fois dans les missions, l’organisation et les apprentissages. Cette tentation existe déjà, notamment en grande section. L’intégration de l’école maternelle dans la scolarité obligatoire ne devra, à aucun prix, renforcer un tel mouvement. Ce serait gommer la spécificité de cette école et empêcher son adaptation fine aux besoins d’enfants en pleine transition cognitive et psychoaffective.

Par ailleurs, pour consolider et préciser le texte de la proposition de loi, la commission avait adopté, sur mon initiative, un certain nombre d’amendements, qui ont été validés par la commission des finances ; je tiens à le souligner, car c’est grâce à leur adoption que nous avons encore un texte à discuter ce soir !

Ces amendements visaient trois objectifs.

Il s’agissait, d’abord, de garantir l’homogénéité et la cohérence de l’ensemble des dispositions du code de l’éducation mentionnant l’instruction obligatoire.

Il s’agissait, ensuite, de maintenir l’école maternelle hors du champ de contrôle de l’assiduité scolaire, afin de préserver une certaine souplesse dans l’organisation de la journée pour les enfants de trois ans et surtout, mes chers collègues, d’empêcher l’activation du mécanisme de suspension des allocations familiales prévu par la loi Ciotti du 28 septembre 2010.

Mme Éliane Assassi et M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. Il s’agissait, enfin, d’exiger une formation initiale et continue pour les personnels enseignants, prenant en compte la technicité particulière de leur tâche et les spécificités des enfants accueillis à l’école maternelle.

Le texte, je l’ai dit, a été vidé de sa substance après l’intervention du Gouvernement. La commission de la culture et de l’éducation, qui avait rendu un avis favorable, le déplore très vivement. Elle craint désormais que l’école maternelle ne soit bientôt la victime de graves restrictions budgétaires.

M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. Nous en reparlerons bien évidemment lors de l’examen du projet de loi de finances, monsieur le ministre.

Brigitte Gonthier-Maurin

Ancienne sénatrice des Hauts-de-Seine
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