Établissements publics de coopération culturelle (2)

Publié le 20 décembre 2001 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Ivan Renar, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Le 4 décembre, la C.M.P. est parvenue a un accord et, la semaine dernière, l’Assemblée nationale a adopté ces conclusions : nous voici au terme d’un parcours législatif initié le 14 juin avec notre vote unanime en première lecture.

Si ce parcours a été semé d’embûches et de chausse-trappes qui m’ont surpris ou déçu, nous pouvons être satisfaits d’atteindre enfin le but et de répondre à la demande de nombreux élus, de créateurs, d’artistes, de responsables d’institutions culturelles.

Il est très important aussi que la représentation nationale s’exprime d’une seule voix et qu’elle demande, monsieur le Ministre, que cette loi soit appliquée rapidement : personne ne comprendrait un retard pour les décrets d’application.

Nous aurions préféré bien sûr que la commission mixte paritaire retienne le texte du Sénat et la réciproque est vraie pour nos collègues députés. Mais, comme le dit le poète, il ne suffit pas d’avoir raison pour avoir raison.

Le compromis auquel nous sommes parvenus ne met pas de côté les principes puisqu’il nous permettra d’organiser clairement la gestion en partenariat des services culturels, que ce partenariat associe l’État et les collectivités territoriales, ou les collectivités territoriales entre elles.

La décentralisation culturelle progressera aussi, elle en a bien besoin. Les collectivités territoriales auront les moyens d’exercer dans de meilleures conditions les responsabilités qu’elles ont spontanément assumées dans les domaines de la protection du patrimoine, du soutien à la création artistique, de la production et de la diffusion culturelle, de la démocratisation de l’accès à la culture.

Autre motif de satisfaction, la création de l’E.P.C.C. est le résultat d’une initiative parlementaire.

Le projet de loi annoncé lorsque Mme Trautmann a relancé l’idée de créer un établissement public culturel local, n’a pas été déposé faute d’accord interministériel. Nous avons relevé le gant, en sachant que ce serait un parcours d’obstacles.

Les deux Chambres ont démontré qu’elles savent dépasser leurs divergences pour faire prévaloir l’intérêt général et répondre aux attentes des collectivités territoriales.

Ce texte est une synthèse acceptable entre les exigences du ministère de la Culture, qui avait besoin d’un instrument spécifique pour gérer les services publics culturels, et celles du ministère de l’Intérieur, qui semblait redouter que l’on introduise dans le Code général des collectivités territoriales un « objet juridique non identifié ». Le débat avec le ministre de l’Intérieur qui a été du plus grand intérêt, doit se poursuivre.

Les dispositions restant en discussion étaient celles de l’article premier, qui tend à introuire dans le Code général des collectivités territoriales un chapitre nouveau définissant les règles constitutives des E.P.C.C., et l’article 4, c’est-à-dire la disposition fiscale que nous avions adoptée sur la proposition de nos collèges MM. Pelletier et Laffitte.

Le texte du Sénat a été retenu pour les articles relatifs à la définition des E.P.C.C., à leur création, à la composition et aux compétences du conseil d’administration.

Tout en prévoyant des innovations importantes comme la possibilité d’opter pour la constitution d’un E.P.C.C. à caractère administratif ou à caractère industriel et commercial, ou la présence au conseil d’administration de personnalités qualifiées et de représentants du personnel notre texte est cohérent avec les règles générales en matière de création et de fonctionnement des établissements publics locaux de coopération, ce qui devrait faciliter l’élaboration des décrets d’application.

La commission mixte paritaire a retenu la rédaction de l’Assemblée nationale sur la procédure de nomination du directeur de l’E.P.C.C., qui prévoit un appel à candidatures.

Nous n’avions pas jugé utile que cette mention figure dans la loi ; nous l’avons finalement acceptée, parce qu’elle ne change rien à la procédure et parce que le choix des directeurs des E.P.C.C. procédera, quoiqu’il en soit, d’un accord unanime des collectivités publiques partenaires.

Monsieur le Ministre, nous avons été choqués par la méfiance que certaines organisations professionnelles ont, jusqu’au dernier moment, manifesté à l’égard de la décentralisation, des élus locaux et même de la représentation nationale.

Moi qui suis d’une région de beffrois, symboles des libertés communales conquises contre les seigneurs et les évêques, je dois vous dire ma déception devant de tels comportements féodaux ! Si la liberté de la création était en danger, l’insurrection serait un devoir sacré. Mais je crains qu’il ne s’agisse surtout de maintenir des rentes de situations ! Rien dans cette loi ne met en cause la création ni les artistes, puisque le directeur est choisi d’après son projet artistique. Pauvres élus que nous sommes, nous savons bien que ce n’est pas Jules II qui a peint la Chapelle Sixtine !

Une telle méfiance, qui a été jusqu’à la mauvaise foi qu’on a entendue aussi à propos du projet de loi sur les musées n’est pas acceptable, pas plus que les pressions qui se sont exercées, y compris après la commission mixte paritaire.

En République, c’est la loi qui garantit la liberté d’expression et de création et non pas la faveur, aléatoire , du prince.

La fréquentation des couloirs des cabinets ministériels ne saurait remplacer le contact et le dialogue avec les élus du suffrage universel, les parlementaires, ou les élus locaux, lesquels ne sauraient être traités comme des invités de raccroc, vu qu’ils financent les trois- quarts des activités culturelles !

L’État, c’est à la fois l’exécutif et le législatif, nous pourrions peut-être le rappeler à l’occasion d’une mission d’information parlementaire… Mais je n’empêche personne de croire que la S.A.R.L. est la meilleure façon de gérer une entreprise politique ou qu’un directeur doit être nommé en Conseil des ministres comme un préfet ou un recteur, et muté comme lui !

Nous avons accepté de renoncer à la possibilité pour certains E.P.C.C. à caractère administratif, d’offrir des contrats à durée indéterminée à des contractuels de droit public pour assurer, en particulier, le fonctionnement de services de communication ou d’activités commerciales.

Ce choix difficile a été dicté par un souci de réalisme, et par celui de ne pas retarder l’application de la loi.

Mais la discussion n’est pas close pour autant : il faudra bien donner aux E.P.C.C. les moyens nécessaires à leur fonctionnement et surmonter l’insuffisance des cadres d’emplois de la filière culturelle de la fonction publique locale.

La solution que nous proposions n’était pas la plus mauvaise. Peut-être, monsieur le Ministre, avons-nous eu le tort d’avoir raison trop tôt ou à un moment peu propice. Nous en reparlerons : le chantier reste ouvert, celui de la spécificité des activités culturelles et du cadre d’emploi trop restrictif de la fonction publique.

Nous souhaitons également, avec M. Laffitte, à l’article 4, poser le problème de la fiscalité des activités culturelles.

Nous ne le réglerons pas non plus aujourd’hui, mais nous espérons, monsieur le Ministre, que notre appel sera entendu. Et s’il ne l’est pas, voilà qui sera encore pour nous un beau chantier pour sortir d’un immobilisme émollient : ce n’est qu’un début…

Mais c’est quand même, un assez bon début et le mouvement est donné. C’est pourquoi, je vous demande d’adopter aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire.

Comme le disait Louis Jouvet, parlant de la scène du théâtre : « Ici l’ordre naît d’un désordre ». N’oublions pas la situation juridique administrative des structures culturelles dans notre pays.

Nous avons fait un grand pas en avant. Je n’osais l’espérer.

Vous me permettrez en terminant, de remercier le Sénat, mes collègues de la commission des Affaires culturelles, et les présidents Gouteyron et Valade, pour leur soutien actif sur ce sujet complexe et novateur.

Je voudrais aussi remercier les collègues de l’Assemblée nationale, notamment le président et le rapporteur de la commission. Tout le monde y a mis du sien. Nous sortirons un jour du Moyen âge !

En attendant, nous sommes un peu fatigués, et en conclusion de cet exposé sérieux et théorique, je voudrais vous offrir cette phrase de Woody Allen : « Vous voyez, je ne sais pas s’il existe un autre monde mais pour plus de sûreté, j’emmène un caleçon de rechange ! » (Applaudissements.)

M. DUFFOUR, secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle. Je voudrais exprimer la satisfaction du gouvernement à la perspective du vote définitif par votre Assemblée des conclusions de la commission mixte paritaire du 4 décembre grâce à M. Renar, nous posons un jalon dans notre démarche politique commune de décentralisation et de réforme de l’État. L’établissement public de coopération culturelle, dont vous vous apprêtez à voter l’acte de naissance, complète la nouvelle donne des responsabilités publiques dans le domaine culturel. Votre rapporteur a montré en quoi cet établissement s’imposait : impuissance des outils réglementaires actuels à permettre une coopération plurielle dans ses partenariats ; injustice du fait que seules les activités culturelles nationales bénéficient de la forme d’organisation qu’est l’établissement public. Nous avons rappelé à maintes reprises l’importance de l’engagement des puissances publiques en faveur de la culture, avec 70 milliards de francs. Nous avons souligné la nécessité de nouveaux outils. La création des E.P.C.C. apporte une réponse appropriée.

Certains d’entre vous ont regretté les limites du texte.

S’agissant des emplois, votre rapporteur avait proposé que les E.P.C.C. à caractère administratif puisse recruter des contractuels de droit public à durée indéterminée, à défaut de cadres d’emplois correspondants dans la fonction publique de haute qualité technique et politique. La commission mixte paritaire a souhaité en rester au droit commun des emplois publics… à la satisfaction du gouvernement. En effet, il n’aurait pas été sage de traiter ponctuellement la question majeure qu’est l’emploi public. Il reste que le sujet est posé et que son importance ne saurait être dissimulée. Ceci impose aux pouvoirs publics de travailler à l’aménagement des cadres d’emploi de la fonction publique territoriale, singulièrement de sa filière culturelle. En évoquant ce point, j’ai conscience d’élargir notre discussion au-delà de la question marginale des emplois des E.P.C.C. à caractère administratif.

C’est une question de principe : faut-il détailler chacun des métiers du champ culturel et leur qualification ? Serait-il plus réaliste de définir de larges catégories qui pourraient accueillir les multiples déclinaisons des métiers de la culture ? Le Centre national de la fonction publique territoriale a commencé le travail. Le gouvernement comme les élus doivent y apporter leur contribution.

D’autres craintes ont été émises, notamment à propos du spectacle vivant. Les rapporteurs des deux Assemblées ont déclaré que le spectacle vivant, par nature comparable à bien des activités du secteur commercial, relève d’un E.P.C.C. à caractère industriel et commercial.

Des professionnels ont craint que faute de mention expresse, le juge administratif n’en vienne à requalifier l’établissement de coopération culturelle dont les partenaires auraient ensemble décidé le caractère industriel et commercial. Je tiens à rappeler que le jugement en requalification du juge ne peut intervenir que dans le silence de la loi. Or, la loi que vous vous apprêtez à voter précise que les partenaires élaborent les statuts de l’établissement et en déterminent le caractère. En outre, nonobstant les dispositions législatives et réglementaires existantes, un service à caractère industriel et commercial érigé en E.P.C.C. pourra être subventionné.

Ainsi, la loi a été créative et pratique.

Le gouvernement s’engage à ce que le décret d’application conforte la coopération décentralisée. Le conseil d’administration se déterminera sur un projet artistique et culturel qu’il choisira et dont il assurera l’évaluation finale ; le directeur concevra ce projet et le mettra en œuvre.

Il faut aussi que ce texte d’application voie rapidement le jour. Le gouvernement s’y engage, de façon à offrir aux puissances publiques cette réelle liberté de choix que nous avons tous souhaitée. Monsieur le Sénateur, permettez- moi de vous remercier très vivement, au nom du gouvernement pour notre initiative qui a donné lieu à des débats d’un haut niveau de qualité et d’exigence. (Applaudissements.)

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