Je ne peux que me réjouir de l’intérêt et de l’attention portés à la langue française. J’ai aussi trouvé beaucoup de pertinence à certains des nouveaux articles proposés, je pense en particulier aux mesures relatives aux messages informatiques sur l’internet dont nous savons qu’il est un puissant instrument de diffusion de l’anglais à travers la planète.
Et dans le même temps, je dois vous avouer ma perplexité car j’ai l’impression que plus on légifère sur la langue française et plus son emploi régresse. La loi Toubon votée il y a dix ans n’a pas permis d’endiguer la lente mais régulière érosion du français que l’on constate dans le monde. Pour autant, je ne veux pas dire que la loi est inutile mais comment peut-elle être respectée quand l’état français lui-même est le premier à manquer à ses obligations et devoirs en la matière , comme le rappelle notre rapporteur dans son rapport écrit ?
D’autant que les nouvelles propositions me paraissent bien défensives et ne cherchent qu’à corriger des usages de plus en plus ancrés dans la vie. Plutôt que de s’attaquer aux causes, on se limite aux effets. Malgré la progression de l’ anglais dans le langage courant et dans le monde entier, le français a vocation à demeurer une grande langue internationale mais hélas, elle souffre de l’insuffisance de moyens budgétaires pourtant indispensables à son rayonnement mondial et à son développement.
Ceci étant dit je suis convaincu que la meilleure façon de promouvoir la langue française consiste aussi à sortir de la logique de la citadelle assiégée et du débat franco-français. C’est sur la scène mondiale et par la promotion de la diversité culturelle et de la pluralité linguistique que nous atteindrons l’objectif de renforcer la langue de Molière.
Le combat en faveur de la langue française passe par la défense de la cause du plurilinguisme.
La diversité linguistique est un véritable patrimoine commun de l’humanité, aussi nécessaire pour le genre humain que la biodiversité dans l’ordre du vivant. Sa protection est un impératif éthique, face notamment à l’hégémonie de l’anglo-américain et à la menace d’uniformisation que celle-ci constitue. Langues de tous les pays unissez-vous ! Pas contre l’anglo-américain qui est une langue comme une autre, mais qui ne doit pas être au dessus des autres !
Si l’anglo-américain s’affirme comme la 1ère langue internationale et confirme toujours plus sa prégnance, c’est aussi parce qu’elle est la langue d’un système socio-économique et culturel dominant et arrogant.
C’est donc aussi sur le terrain de la Pensée, de l’Esprit, des idées, de la création artistique, des modes de vie, des représentations du monde que se mène ce combat. Pour des centaines de milliers d’hommes et de femmes, le français est la langue des droits de l’homme, de la liberté et de la citoyenneté.
A cet égard, il est particulièrement révélateur de constater que les Américains se sont farouchement mobilisés, quasiment seuls face à l’ensemble des nations, pour tenter de faire capoter la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle.
Les quotas mis en place pour la chanson française sur nos ondes sont des dispositions tangibles. Si nous voulons que la langue nationale soit le lieu le plus évident de la communauté nationale, du corps social, de l’égalité des chances et donc de l’intégration comme du rayonnement de notre culture et de nos savoir-faire, le politique se doit de programmer les moyens de son enseignement et de sa diffusion nationale et internationale : le cinéma français, la littérature, la presse, la musique, l’enseignement supérieur, les domaines scientifiques, les radios et les chaînes de télévision doivent être les conservatoires et les laboratoires intelligents de notre langue et de son développement « naturel et adapté ».
D’autant que si les langues vivent, s’enrichissent, évoluent, il n’y a aucune fatalité à leur déclin. Promouvoir l’usage du français suppose avant tout des mesures incitatives et le renforcement en moyens budgétaires des leviers sur lesquels il repose. Je pense en particulier à l’école et à la télévision qui devraient être les deux véhicules fondamentaux de promotion du français, en France comme à l’étranger. Je dis « devraient » parce que le chantier est devant nous.
Alain REY, déclarait déjà à propos de la loi Toubon que nous actualisons partiellement en quelque sorte : « Quand la loi s’adresse à des adultes en matière de langue, elle met la charrue devant les bœufs. Tout ce qu’on peut faire pour modifier la perception de la langue dans une société, c’est par l’école, et uniquement par l’école ». Ou ce que pouvait dire André Malraux : « Les enfants, là est le clef du trésor » !
Que dire de notre éducation nationale qui privilégie l’apprentissage de l’anglais au détriment de toute les autres langues d’ailleurs toutes en net recul pour ne pas dire en voie de disparition dans les cours ? Comment s’étonner que les italiens, les portugais, les russes, etc, boudent l’apprentissage du français quand nous ignorons délibérément leur langue pour ne rien dire de l’arabe ou du chinois ?
Pour ma part, je reste attaché aux propositions du groupe de travail sur l’enseignement des langues étrangères, dont le rapport, vous vous en souvenez monsieur le rapporteur, parce que vous en étiez l’auteur, préconisait de placer l’anglais en deuxième langue. Puisque de toute façon, on n’échappe pas à l’anglais.
Par ailleurs, n’est - il pas paradoxal de constater la diminution depuis plusieurs années des heures d’enseignement du français dans les établissements du second degré ? Comment s’étonner du fossé qui se creuse entre les élèves qui s’approprient « Le Cid » ou « Notre Dame de Paris », et les autres qui n’accèdent pas à ces textes perçus comme une langue étrangère ! Nous n’avons pas le droit de les déshériter de ce patrimoine qui appartient à tous. Comme le répétait à l’envie Picasso, : « l’art, c’est comme le chinois, ça s’apprend » !
Dans ce contexte, comment ne pas déplorer la réduction des moyens dévolus à la place de l’art à l’école alors qu’ils étaient déjà bien dérisoires. « Ouvrons des lieux de Culture et nous délivrerons des ghettos ! ». La tragédie des violences urbaines d’aujourd’hui apporte une lumière crue à ce que disait Victor Hugo il y a plus d’un siècle. Plutôt que l’instauration d’une police de la langue, inspirons nous de l’action exemplaire de créateurs tel le cinéaste Abdellatif KECHICHE qui dans son film « l’Esquive » nous fait découvrir les lettres de noblesse dont chaque jeune est porteur. Les professionnels du cinéma ont attribué cette année le César du meilleur film à ce réalisateur car son œuvre témoigne par le verbe insolent de Marivaux que le langage est bien un pouvoir dès lors qu’il est maîtrisé. L’Homme est langage et il ne naît véritablement au monde qu’avec la capacité de s’exprimer. Oui, plus que jamais, et l’actualité nous le rappelle cruellement, nous avons besoin des artistes et des arts à l’école.
Renforcer le rayonnement du français, c’est aussi renforcer les moyens de France Télévision, de Radio France, de l’AFP, de RFI, de TV5. Les médias écrits et parlés sont déterminants dans la diffusion de notre langue, des œuvres de nos créateurs mais aussi essentiels à une autre lecture du monde.
De même, cessons de démanteler les centres et instituts culturels à l’étranger. D’autant que l’attrait de la langue française loin d’être moribond ne fait que croître dans les pays francophones mais aussi dans des pays comme l’Inde ou la Chine mais aussi en Slovaquie par exemple. Affaiblir l’apprentissage du français en particulier en Europe revient à renoncer à terme à ce qu’elle demeure langue officielle des instances européennes. C’est donc renoncer à l’ influence de notre pays non seulement en Europe mais aussi à l’échelle de la planète.
En conclusion, je reprends un extrait d’un texte de Jean-Luc LAGARCE où ce qu’il énonce à propos de l’Art a partie liée à mon sens aux enjeux de notre débat sur l’emploi du français :
« Une société, une cité, une civilisation qui renonce à l’Art, qui s’en éloigne, au nom de la lâcheté, la fainéantise inavouée, le recul sur soi, qui s’endort sur elle-même, qui renonce au patrimoine en devenir pour se contenter, dans l’autosatisfaction béate, des valeurs qu’elle croit s’être forgées et dont elle se contenta d’hériter, cette société-là renonce au risque, elle oublie par avance de se construire un avenir, elle renonce à sa force, à sa parole, elle ne dit plus rien aux autres et à elle-même. »
L’analyse de Monsieur Jacques LEGENDRE, rapporteur permanent et vigilant de la législation sur l’emploi de la langue française a contribué à éclairer la proposition de loi de Monsieur MARINI mais aussi à l’amender dans le bon sens par la commission des affaires culturelles.
C’est pourquoi, malgré mes craintes d’une loi simplement, incantatoire, nous voterons pour. Toutefois afin qu’elle ne reste pas un vœu pieux nous veillerons à ce que les dispositions du Budget 2006 prévoient les moyens de sa mise en application.
La preuve du pudding ou poudingue si vous préférez, c’est qu’on le mange.
Il faut donner les moyens matériels et humains à tous ceux qui oeuvrent pour la promotion de la langue française, non pas pour un repli quasi identitaire mais face au communautarisme, aux intégrismes de toutes sortes pour rappeler en permanence que nous faisons partie d’une communauté qui s’appelle l’humanité.
La France a encore à apprendre du monde ; mais aussi à lui apporter.