Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers Collègues,
Par ces temps de lutte et d’incertitude ferroviaire, et au milieu des citations qui fleurissent ce matin, je voudrais appeler Woody Allen à la barre : « Je ne sais pas s’il existe un autre monde, mais pour plus de sûreté, j’amène un caleçon de rechange ».
Nous pouvons nous féliciter, pour ce qui concerne la rémunération du prêt en bibliothèque et de la protection sociale des auteurs, du terrain d’entente que constitue ce texte.
Il a été qualifié de projet d’équilibre et de « paix culturelle », pour reprendre l’expression de notre rapporteur.
Cela étant dit, on pourra se poser la question du rattachement de 3 articles du rayon cavalerie et confusion des genres qui font écran au bon esprit du projet qui nous occupe. Sans contester la légitimité des mesures proposées, cette « charge de la brigade légère » appelle les amendements proposés. Mais je trouve quand même regrettable de devoir voter des lois qui deviennent en quelque sorte des lois à tout faire. L’objet des 3 cavaliers (un de plus été c’était l’apocalypse au Sénat !) méritait mieux.
Pour en revenir à notre texte, les auteurs et les éditeurs se sont finalement ralliés au régime de licence légale instituant une rémunération au titre du prêt.
Ce dispositif présente l’avantage de renforcer la protection sociale des écrivains et des traducteurs, créant un financement partiel pour un régime de retraite complémentaire.
La création de la Caisse de retraite complémentaire pour les écrivains et les traducteurs traduit un véritable progrès social : en effet, ceux-ci étaient les seules catégories d’auteurs à en être écartées.
Il faut se pencher sur la question de la situation précaire du plus grand nombre de nos écrivains et de nos divers auteurs qui ne réussissent pas à vivre de « leur plume » et qui doivent sacrifier beaucoup d’énergie à une autre fonction rémunératrice.
Près de la moitié des 2 300 auteurs recensés et des traducteurs ont un revenu inférieur au SMIC et leur retraite s’élève au maximum à 900 euros par mois.
La portée de ces nouvelles dispositions par la création de cette nouvelle rémunération aux auteurs et à leurs éditeurs est loin d’être négligeable, même si elle ne résout pas la question du statut de l’écrivain dans notre société.
En étant assuré du re-versement direct de sa rémunération, sans compensation de droits, l’auteur est préservé sans que les intérêts de l’éditeur ne soient entamés puisque la première répartition se fait finalement à parts égales comme le veut l’usage.
J’ai bien noté que l’application de la loi comportera un volet de décrets devant fixer, chaque année, les montants de la contribution forfaitaire inscrits en loi de finances aux budgets des Ministères de la Culture et de l’Education Nationale, déterminer la part de cotisation affectée et surtout désigner la ou les société(s) qui sera ou seront en charge de la gestion de ce droit.
Selon le rapporteur de l’Assemblée Nationale « une seule société de perception et de répartition, la Société Française des Intérêts des auteurs de l’écrit (SOFIA) correspond à l’heure actuelle aux critères d’agrément posés par le projet de loi ».
Paradoxalement, le livre devient un support simple, précieux et démocratique en une époque où se développe la révolution informationnelle avec d’une part le développement des technologies comme l’informatique, la robotique, les télécommunications numérisées, les biotechnologies et d’autre part l’extension de la numérisation avec l’essor prodigieux des « réseaux » de toutes sortes.
L’écrit est loin d’être dépassé et sa fonction est irremplaçable pour la conceptualisation de la pensée et sa transmission.
Les professionnels de la bibliothèques sont les guides éclairés de cet univers et le réseau des bibliothèques jouent un rôle de conservation et de diffusion de la pensée humaine dans toute sa diversité : l’auteur dont le livre n’est plus édité voit son ouvrage poursuivre sa vie dans ces temples de la lecture.
Dans un souci d’allègement des mécanismes de gestion, l’Assemblée Nationale est revenue au texte initial du projet qui prévoit désormais que le prélèvement de 6% du prix public s’effectuera sur les livres achetés pour les bibliothèques.
Certaines dispositions transitoires ont été adoptées pour mettre en œuvre progressivement le dispositif dès la première année : il est ainsi prévu de limiter à 3% au lieu de 6% la rémunération versée par les libraires sur les livres achetés par les bibliothèques et de plafonner à 12% au lieu de 9% les rabais autorisés sur les ventes de livres aux bibliothèques.
Mais une inquiétude subsiste concernant la capacité d’acquisition et les budgets des bibliothèques : moins d’argent, moins d’achats et donc, moins de livres, moins de choix, moins d’animations autour de la lecture !
Une politique de la lecture et de lutte contre l’illettrisme devrait se développer à l’échelle nationale dans une réelle complicité des différents partenaires de la chaîne du livre.
Elle ne peut reposer et peser sur les seules collectivités locales et il ne faut pas entamer la loi du 10 août 1981 qui, en excluant les collectivités de son champ d’application, a permis de rattraper les retards importants en matière de diffusion du livre et de lecture.
Je prends acte, pour m’en féliciter, de l’annonce que vous venez de faire il y a un instant et qui prévoit que le Centre National du Livre accompagnera les forfaits par les communes pour renforcer les budgets d’acquisition de leurs bibliothèques.
Les collectivités locales ont permis une implantation riche et diversifiée des réseaux de bibliothèques dans les zones urbaines et rurales, mais elles ne sauraient travailler à cet enjeu national sans l’intervention volontariste de l’Etat.
Cela étant dit, mon inquiétude persiste sur le fait que le réseau des bibliothèques publiques reste fragile, surtout si on y ajoute tout ce qui concerne les bibliothèques scolaires et universitaires.
Par ailleurs, même si le système qui sera mis en place conduira à un rééquilibrage de la chaîne économique du livre, apportant un soutien accru à la librairie face aux grossistes, il ne saurait suffire à enrayer la crise que vit le libraire indépendant aux prises avec la grande distribution et la concentration horizontale et verticale.
Le livre n’est pas assimilable à une simple marchandise, c’est un bien culturel essentiel pour l’accès à la connaissance.
Au passage, et comme je l’avais exprimé en première lecture, je voudrais renouveler ma préoccupation suit à la cession de la branche édition du groupe Vivendi Universal, et les conséquences économique, sociales et culturelles qui ne manquent pas de résulter de la brutale concentration en France du secteur de l’édition, et de celui de la distribution. Le gouvernement ne peut rester silencieux sur cette question.
C’est le pluralisme et la diversité qui sont en cause, allez-vous donner suite, Monsieur le Ministre, à la proposition du rapport BORZEIX de création d’un fonds spécial destiné à soutenir les secteurs de l’édition en difficulté.
La chaîne du livre, si elle est pliée aux exigences de l’OMC, ne remplira plus sa mission de révélation et de diffusion du patrimoine humain de la pensée, de la recherche et de la création : les éditeurs, prisonniers de la logique marchande, ont beaucoup de difficultés à miser sur la découverte de nouveaux auteurs et les éditeurs d’ouvrages scientifiques et de sciences humaines sont confrontés à des impasses.
L’exception culturelle intègre le livre et c’est tout le sens de la Loi de 1981. Et la bibliothèque devient une institution qui participe à la diversité culturelle hors du champ concurrentiel qui ne profite qu’aux éditeurs dominants et aux formatages du marketing ambiant.
Dans les bibliothèques médiévales, l’expression « libri communes » désignait les fonds des manuscrits qui devaient demeurer en permanence à la disposition de toute la communauté, « les livres communs », et c’est aujourd’hui dans nos bibliothèques, le statut du livre acquis et conservé sans considération de son destin économique défini par le « marché ».
Or, je crois profondément que l’accès gratuit au livre dans le cadre du service public de la lecture, introduit l’acquisition du livre par son lecteur : le livre rencontré en bibliothèque devient un objet intime de dialogue avec le penser d’autrui, l’auteur, et très souvent, le lecteur a besoin de conserver l’objet-livre pour prolonger ce dialogue.
Et puis, le marché des bibliothèques représente 10% du chiffre d’affaire de l’Edition !
Le prêt et la vente se complètent et on n’améliorerait pas la situation de l’un au détriment de l’autre.
La philosophie d’équilibre recherchée dans la loi a su préserver les intérêts des auteurs et de leurs éditeurs tout en confortant le réseau des libraires indépendants et en préservant les efforts faits depuis vingt ans en faveur de la lecture publique.
Nos concitoyens sont légitimement attachés à cet exemple d’exception culturelle. La bonne santé de la lecture publique conditionne la bonne santé du livre en général.
Plus il y a de livres lus, plus il y a de livres vendus.
Pour ce petit murmure culturel dans le vacarme marchand, nous devrions donc en conséquence pouvoir voter ce texte.