Notre groupe est convaincu de l’intérêt de créer un dispositif qui donne aux jeunes la faculté de s’engager dans des projets d’intérêt général et dans des organismes dont la vocation est l’exercice de la solidarité.
En revanche, nous sommes beaucoup moins enthousiasmés par le service civique proposé par le Gouvernement. En effet, nous avons noté l’étonnante récupération de cette proposition de loi, déposée par le RDSE, mais qui a été annoncée par le Président de la République lui-même dans le cadre du « plan jeune », en octobre 2009. Voilà qu’il devient urgent d’agir pour la jeunesse, voilà que le Gouvernement se précipite sur une initiative législative dont il n’est même pas à l’origine !
Alors que le chômage explose, comment ne pas voir dans ce curieux service civique un stratagème destiné à réduire artificiellement les chiffres du chômage ? La précipitation et le besoin de communication sont tels, en cette période pré-électorale peu favorable au Gouvernement, qu’on annonce déjà, avant même le vote définitif de la loi, les premiers services civiques internationaux !
Nous n’approuvons pas le service civique tel que conçu par cette proposition de loi, malgré les améliorations apportées par les deux assemblées. Tout d’abord, ce service civique est conçu sur des bases contestables, non pas comme un apprentissage des valeurs de notre République mais comme une réponse aux délits et aux troubles sociaux qui minent notre société en mal de repères. Le service civique proposé serait un remède au mal de la société. Une fois passé l’effet d’annonce médiatique, il ne permettra pas au Gouvernement de cacher son incapacité à identifier et à résoudre des problèmes sociaux d’envergure.
Ensuite, ce service civique se trompe de public. Parce qu’il ne doit pas être une réponse aux problèmes d’adultes sans emploi, nous défendons, nous, un service civique qui ne s’appliquerait qu’aux jeunes de 18 à 25 ans. Parce qu’il ne doit pas constituer une réserve de main-d’oeuvre à bon marché pour toutes sortes d’entreprises qui en rêvent, nous défendons, nous, l’idée que les bénéficiaires de ce dispositif ne puissent être que des structures publiques, ou privées à but non lucratif.
Ce service civique stigmatise curieusement une partie de la jeunesse. Vous pointez sans cesse du doigt une jeunesse déscolarisée, incivique et délinquante, en perpétuelle contestation de l’ordre et de l’autorité. Si l’on attend du service civique qu’il propose une solution à des jeunes en échec scolaire et confrontés à un chômage toujours plus massif, si l’on attend qu’il résolve l’inadmissible inégalité sociale et territoriale qui sévit en France, la désillusion sera de taille. Nous ne souhaitons pas, nous, que le service civique soit une alternative à l’école, un moyen d’occuper des jeunes sortis du système scolaire. Nous appelons plutôt de nos voeux un dispositif d’engagement national de solidarité qui revaloriserait la jeunesse au lieu de la stigmatiser, comme le fait malheureusement cette proposition de loi. Nous militons pour que s’exercent les valeurs de solidarité sur une base volontaire, pour elles-mêmes et non dans la seule perspective d’éduquer les mauvais citoyens aux valeurs de la République, de la Nation et au respect de leurs symboles.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. - Nous n’avons pas lu le même texte...
Mme Marie-Agnès Labarre. - Enfin, ce service civique s’exerce ici dans des conditions de précarité inadmissibles. Le risque est grand de créer une nouvelle forme d’emploi précaire qui ne dit pas son nom. La proposition de loi renvoie à un décret ultérieur pour la fixation des montants minimal et maximal de l’indemnité versée aux volontaires.
Comme ce service dure de six à douze mois, il faut s’assurer que l’indemnité perçue leur garantisse un niveau de vie décent et soit fixée au moins au seuil de pauvreté, évalué à 750 euros, et de préférence au-delà car ce montant est bien faible pour qui doit se loger en ville et subsister par ses propres moyens. Indemniser convenablement ceux qui donnent de leur temps pour la collectivité et l’intérêt général serait un bon signe adressé à eux-mêmes et au pays.
Quel message enverrions-nous aux citoyens en affirmant d’un côté regretter l’absence de solidarité, en proposant donc aux jeunes de la développer par un engagement personnel, et, de l’autre, en ne leur garantissant pas en contrepartie les conditions nécessaires à leur subsistance ? La solidarité serait-elle uniquement le fait des citoyens et non plus de la responsabilité de l’État ? Soyons équitables : l’engagement de service civique, si solidaire il est, doit l’être dans les deux sens : des citoyens vers la collectivité et de la collectivité vers les citoyens. Ne créons pas une nouvelle trappe à précarité, une nouvelle forme de sous-salariat qui risquerait, de plus, de faire concurrence aux deux millions de salariés du secteur associatif !
Si le service civique ne constitue pas une réponse aux maux de notre société, encore faut-il éviter qu’il contribue à les renforcer ! C’est pourquoi nous nous opposons formellement à ce que le contrat de service civique puisse atteindre 48 heures par semaine sur six jours. Nous proposons ainsi de limiter les abus qui, malheureusement, existeront toujours en l’absence d’une réglementation suffisante et de limiter la durée de la mission à 35 heures sur cinq jours par semaine. Puisque le service civique n’est pas un contrat de travail, ne lui transposons pas ses conditions d’exercice : il aurait alors tout d’un sous-emploi !
Nous partageons avec vous la volonté de créer un véritable dispositif d’engagement solidaire pour la jeunesse. Malheureusement, nous ne pourrons voter ce texte en l’état tant les objectifs affichés diffèrent de notre vision de l’engagement d’intérêt collectif et tant les conditions de mise en oeuvre de ce service civique ne sont pas celles d’une politique soucieuse des intérêts de notre pays et de sa jeunesse.