Budget 2003 : communication

Publié le 30 novembre 2002 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Ivan Renar

Les moyens alloués à France télévisions augmentent de 2 %, c’est-à-dire, compte tenu de l’inflation, qu’ils n’augmentent presque pas. Outre que le gouvernement ne respecte pas les engagements de l’État, puisqu’il devait assurer une croissance de 3,4 %, cela prouve le désintérêt que les pouvoirs publics professent vis-à-vis de l’intelligence des Français.

Le contrat d’objectifs et de moyens avec France Télévisions amorçait une voie ambitieuse vers un service public réellement au service du public, et non des annonceurs. Il fallait pour cela se dégager de la ressource publicitaire et reconnaître la responsabilité publique. Mais les choix politiques du gouvernement menacent le service public audiovisuel comme les autres.

Le budget réduit les moyens de France télévisions. L’effort aurait dû s’intensifier pour développer trois projets de chaînes compatibles avec la télévision numérique terrestre (T.N.T.). Ceux-ci sont annulés, ainsi que les crédits. France télévisions sera le parent pauvre de l’audiovisuel français. On ne nous propose que l’indigence.

Vous-même avez mis en cause les chaînes de France télévisions à plusieurs reprises, leur reprochant de mal s’acquitter de leurs missions. Mais votre budget ne leur offre la moindre chance de s’améliorer. Vous avez déclaré vouloir réexaminer le périmètre de la télévision publique, ce qui est désolant ; la culture et l’éducation sont les meilleurs obstacles au désamour de soi et des autres, mais le vent ne souffle pas dans ce sens, quand je vois fonctionner la tronçonneuse de la commission des Finances. (Exclamations à droite.)

La grève des personnels de la télévision publique se comprend aisément : les salaires sont gelés depuis 1997, les effectifs diminuent au profit des emplois précaires, les conditions de travail sont mauvaises. Mais elle traduit leur attachement à l’idée de service public.

Au-delà de la question des salaires, cette grève exprime la volonté des personnels de voir revaloriser leurs chaînes sur le plan des contenus comme de la fabrication. Leur savoir-faire est en jeu. Pensons au gâchis que constitue la casse de la Société française de production (S.F.P.) ! Ce gâchis n’a d’égal que le piétinement de l’audiovisuel français. Le dispositif imaginé pour que la T.N.T. profite au moins autant à l’intelligence qu’à la finance est mort-né. Alors que les projets publics sont interrompus de force, le processus du côté du secteur privé suit benoîtement son cours.

On voit bien pourtant ce que l’audiovisuel privé apporte culturellement. Je ne suis pas contre l’initiative privée, monsieur de Broissia, l’expérience Canal Plus a été salvatrice à divers égards.

Avec la T.N.T., les « nouveaux entrants » n’en sont pas, on retrouve là de vieilles connaissances qui prospèrent grâce à la multiplication des supports. Les dossiers retenus par le C.S.A. sont des émanations de Pathé, Lagardère, Bouygues, Vivendi… les multinationales des industries culturelles qui assoient toujours plus leur suprématie, avec la bénédiction du gouvernement.

Une fois encore, le messianisme technologique aveugle les décideurs : on fait comme si la multiplication des canaux de diffusion signifiait mécaniquement une diversification des contenus et accroissait de ce fait le pluralisme. Mais, par la politique menée, la télévision numérique terrestre n’apportera rien d’autre que la répétition du même !

Votre gouvernement nous prépare un paysage audiovisuel où le service public n’aura qu’un rôle minoritaire. Vous vous orientez vers un repli des ambitions publiques, accompagné de la tentation du retour à l’ordre moral.

Ce qui m’amène à la commission Kriegel. L’extension de la plage horaire protégée et la fin des exceptions mettraient en danger le financement de la production cinématographique. Les chaînes, qui financent le cinéma à 25 % doivent rentabiliser leurs investissements. Elles sont obligées d’investir dans le cinéma ; comme le dit Jean-Luc Godard, « un pied dans l’art, un pied dans l’argent ». Le propos du cinéaste se verrait systématiquement édulcoré et le cinéma serait la victime des turpitudes du système. Cela pose la question des rapports entre l’art et la société, et il est étonnant qu’une philosophe ne se soit pas penchée sur cette question : l’art reflète la société dont il est issu. Interdire la représentation de la violence empêcherait les auteurs et les spectateurs de réfléchir sur la violence. Par exemple, si cette recommandation était appliquée, La reine Margot de Patrice Chéreau où Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg ne pourraient être diffusés aux heures de grande écoute.

Cela pose donc une autre question, le rôle de l’art dans un pays démocratique. L’interdiction de la représentation de la violence, alors que la société subit la violence, évoque la vision cauchemardesque d’un public endormi, gavé de mièvreries sucrées et encadrées par la puissance publique.

Fort heureusement, vous n’avez pas suivi la partie liberticide des recommandations de la commission Kriegel, mais plusieurs députés de la majorité la reprennent à leur compte.

Le gouvernement ne prend pas la mesure des enjeux de la politique audiovisuelle : le service public devrait être le socle d’une réelle responsabilité publique de la culture garantissant les droits de la culture et le droit à la culture. La diversité de la création et l’accès du public le plus large à celle-ci sont les conditions de la démocratie réelle.

Au contraire, les choix du gouvernement bafouent ces droits sans vergogne : livrant les médias à la marchandisation, et donc les programmes à l’uniformisation, il encourage une perte de sens profondément dommageable. Nous ne pouvons pas voter vos crédits.

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