Activités physiques et sportives

Publié le 16 juin 2003 à 19:15 Mise à jour le 8 avril 2015

par Annie David

Monsieur le Président
Monsieur le Ministre,
Chers Collègues,

A la différence des épreuves sportives, vous étiez un brillant compétiteur, Monsieur le Ministre, votre prestation d’aujourd’hui ne nous apparaît pas comme pouvant soulever l’enthousiasme, ni même donner quelques espoirs à ceux, nombreux, qui croient aux vertus des Activités Physiques et Sportives. Vous, le multiple champion olympique et du monde, vous voici réduit à n’être que le fourrier de ceux qui ne conçoivent le sport que comme une activité économique, dont la finalité est le lucre.

Mais comment aurait-il pu en être autrement de la part de votre gouvernement ?

Alors que le débat aurait pu, aurait dû s’appuyer sur la richesse citoyenne des forces vives du sport, dont seulement une partie s’est exprimée lors des Etats Généraux l’an passé, vous menez ce débat dans l’opacité et au pas de charge.

Je veux m’élever ici contre les conditions réservées aux sénateurs, dont vous avez « snobé » la commission et qui ont eu moins d’une semaine de travail entre la remise des documents et du rapport et le débat d’aujourd’hui.

J’en viens au texte, qui est pour moi le reflet d’un désengagement de l’Etat, d’une atteinte à la démocratie et de l’ouverture à la marchandisation du sport.

Monsieur le Ministre, vous nous proposez des modifications au travers de trois volets : le cadre statutaire des fédérations, les dispositions relatives au sport professionnel et l’enseignement et l’encadrement rémunéré des activités physiques et sportives (article 43).
Certes, dans l’un des trois volets, vous avez pris en compte une part de ce que demandaient les organisations syndicales et divers partenaires concernant l’enseignement et l’encadrement rémunéré des Activités Physiques Sportives. En effet, vous actez dans la loi le fait que la sécurité des pratiquants et des tiers ainsi que la connaissance de l’environnement doivent être intégrés dans la qualité du diplôme et le contenu de la formation. Il est à regretter, toutefois, qu’à nouveau, vous établissiez un distinguo entre la masse des activités et celles s’exerçant dans un environnement spécifique, nécessitant des mesures de sécurité particulières. Mais, lesquelles ? C’est vous qui en déciderez puisque leur liste procédera d’un décret.

Je souhaite que l’inscription ne relève pas seulement de la prise en compte d’intérêt uniquement corporatiste ou relationnel, et que dans l’avenir, cela ne nous mette pas en contradiction avec les instances de justice européennes.

Mais d’évidence, là n’est pas l’essentiel de votre proposition et nous nous opposons aux deux volets restants.

Monsieur le Ministre, votre objectif consiste à assujettir encore un peu plus le mouvement sportif aux intérêts économiques, et pour ce faire, vous l’ébranlez dans ces fonctions historiques et culturelles.

Ainsi, la seule reconnaissance des associations et non plus, des adhérents de celle-ci, du fait de la possibilité offerte aux fédérations d’introduire une pondération de la représentation de leurs membres, risque d’entailler un peu plus une certaine forme de démocratie représentative.

Par ailleurs, vous permettez aux forces économiques liées de près, mais aussi de loin, voire de très loin, au monde du sport, de devenir membres des fédérations et même d’intégrer leurs directions, la limitation à 20 et 10% n’étant qu’une clause formelle, et quelque peu hypocrite.

De quel poids pèsera demain, tel ou tel Président de Fédération face au Président Directeur Général, bailleur essentiel de la fédération et administrateur ?
Le poids de l’argent ne pèsera-t-il pas plus que le poids du sport ?

Mais cela ne suffit encore pas.

Au nom, probablement, de la liberté d’entreprendre, chacun sera libre de se concocter les statuts qu’il voudra, et il n’est plus fait mention dans les fédérations, au travers de leurs statuts types, des dispositions tendant à assurer notamment la promotion de l’éducation, l’accès de toutes et de tous à la pratique des APS, la formation, la déontologie pour n’en citer que quelques unes. C’étaient pourtant là la déclinaison de la mission de service public confiée aux fédérations.

Mais peut-être faut-il poser la question de quelle politique publique pour le sport voulons-nous ? Et quel budget l’Etat est-il prêt à engager ? Un ministère des sports disposant d’un budget à la hauteur du mouvement sportif dans la société française constituerait, pour le moins, la meilleure forme de reconnaissance de l’engagement des milliers de ses bénévoles ! Mais ce n’est pas la voie choisie par la décentralisation imposée par le gouvernement.

La même logique privative vous conduit à donner toutes les possibilités aux sociétés de s’autonomiser vis-à-vis des clubs de base comme vis-à-vis des ligues et des fédérations.

Votre projet de loi, Monsieur le Ministre, c’est l’abandon de l’unicité et de la solidarité du mouvement sportif français tel que notre histoire l’a façonné, en rupture avec la philosophie de la loi de juillet 1901. En effet, vous encouragez les clubs professionnels ou sociétés sportives, à devenir des entreprises à part entière, s’appropriant le nom du club comme une « marque » et le numéro d’affiliation.

Votre projet de loi, Monsieur le Ministre, c’est l’oppression des faibles par les plus forts.

Vous affaiblissez les associations sportives pour renforcer les clubs professionnels, ces sociétés sportives, en ouvrant la porte à la création de groupements de clubs, ou de compétitions privées. Vous refusez de voir que ce morcellement du paysage sportif peut aussi aboutir à une jungle où faillites et dislocations pourront être le lot commun.

Votre projet prévoit par ailleurs de donner la possibilité aux fédérations de transférer aux clubs "la propriété des droits d’exploitation audiovisuelle des compétitions". Mais n’est-ce pas là l’idée tant convoitée par certains d’une gestion individuelle des droits par les clubs ?!

Cette philosophie est entérinée par vous lorsque vous dîtes que « le but est de trouver un moyen pour que les clubs professionnels puissent mettre à l’actif de leur bilan leurs « parts » de droit. » Tout cela, bien évidemment, pour gonfler le bilan d’un club, afin d’attirer les investisseurs.

Mais qu’en sera-t-il des clubs de sports méconnus ou mal identifiés par les médias ?!

Et qu’en sera-t-il de la formation et de l’éducation de nouveaux sportifs, de cadres pour le sport ? La logique du marché autorisera-t-elle les clubs à continuer leur action dans leurs écoles de formation ?

Et puis la manne télévisuelle, à moyen terme, n’est qu’un miroir aux alouettes : télédépendance et saturation des écrans entraîneront forcément des déséquilibres financiers et des liquidations comme on le voit actuellement en Italie.
Par ailleurs, en précisant que les ligues continueront de vendre les images "en direct", je peux aussi y voir une porte ouverte à la commercialisation individuelle par les clubs des autres images : celles du différé, des magazines, de l’Internet, et de celles à venir.

Je ne peux que rejoindre certains acteurs du sport lorsqu’ils considèrent qu’en instituant une co-propriété de droits, le gouvernement fait le choix d’une privatisation à terme des droits télévisuels.

En fait, il ne manque plus à cette loi que d’entériner l’accès aux marchés financiers, la cotation en bourse et l’aménagement de la fiscalité en donnant la possibilité aux clubs professionnels de devenir des sociétés anonymes comme les autres.

Monsieur le Ministre, nous ne sommes pas devant un projet d’organisation du sport, nous sommes plus prosaïquement devant la mise en œuvre, dans le domaine des Activités Sportives et Physiques, d’une organisation marchande que ne renierait pas l’OMC.
Or, je vous le rappelle, la reconnaissance de la spécificité du sport a été obtenue lors du sommet de Nice.

Je crains, avec la disparition programmée d’un mouvement sportif humaniste à buts sociaux que demain, un jeune ne retrouve pas les conditions qui vous ont permises hier, Monsieur le Ministre, avec vos propres mérites, de constituer le palmarès qui est le vôtre.

La tradition du sport français n’a-t-elle pas des fondements historiques et toute sa structure pyramidale n’est-elle pas issue d’une logique d’équilibre entre le réservoir du sport amateur et le sport de haut niveau ?

Et ce jeune, pourra-t-il trouver encore un ministre à qui s’adresser ? Votre budget, votre administration qui s’étiolent dramatiquement font de vous un objet en voie de disparition.

En effet, Monsieur le Ministre, votre Ministère est vidé de sa substance ; que vous restera-t-il, mis à part la remise des médailles, la représentation de la France dans les compétitions internationales ou l’envoi de télégrammes de félicitations aux sportives et sportifs français, lauréats de confrontations internationales ?

Cette disparition de votre Ministère s’inscrit dans la logique de la politique prônée par Monsieur Raffarin, de limiter le rôle de l’Etat à ses seules fonctions régaliennes.

Pour terminer, Monsieur le Ministre, j’aimerais vous rappeler que le sport, par nature, a une dimension éducative et sociale. Mais l’espoir recule de voir les Activités Physiques et Sportives accessibles pour tous. Ne doit-on plus considérer le sport que comme une marchandise et les sportifs comme des facteurs économiques, les éloignant sans cesse davantage des sphères de décisions ?

S’il est vrai que la révolution technologique que nous vivons introduit de nouvelles donnes dans le monde du sport comme ailleurs, et qu’il faut réfléchir avec l’ensemble du monde sportif traditionnel aux transformations juridiques et pratiques qu’elles impliquent, le projet de Loi du gouvernement ne modernise pas le fonctionnement du monde du sport.
Il entérine seulement un constat fataliste de dérive marchande et satisfait aux exigences financières de certains groupes de pression.

Par ailleurs, il est regrettable que l’application de ce texte fasse appel à cinq décrets en Conseil d’Etat, ce qui, je vous le rappelle, chers Collègues, lui évite d’être soumis au Parlement !

Il faut un Ministère qui ait les moyens d’ établir des programmes forts avec l’Education Nationale et la Santé et qui dialogue avec les parlements de façon équitable pour l’ensemble des activités sportives.

Vous l’aurez compris, Monsieur le Ministre, autant de raisons qui ne me permettront pas de vous soutenir et qui nourrissent mon opposition et celle de mon groupe à un projet dont les effets néfastes ne tarderont pas à apparaître.

Annie David

Ancienne sénatrice de l'Isère
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