Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
A l’évidence, le contexte économique et financier de notre continent européen souligne avec plus de netteté encore la nécessité d’une régulation de notre système bancaire, dans notre pays bien sûr mais aussi bien évidemment au sein de l’Union européenne.
Alexandre Dumas, fils disait en son temps : « La banque, c’est l’argent des autres ». J’ajouterai de tous les autres en particulier, mais aussi les entreprises et même aujourd’hui les Etats. Notre collègue Richard Yung, rapporteur sur ce texte, rappelait utilement le mardi 12 mars dernier lors de la réunion de la Commission des Finances que le bilan cumulé des banques françaises atteint quelques 10000 milliards d’euros, soit environ 5 fois plus que le PIB de notre pays, au plan européen les actifs des banques de l’Union Européenne représentent 350% du PIB de l’Union.
Notre pays occupe dans ce concert de l’hypertrophie bancaire une place particulièrement centrale. En effet, la France ne compte pas moins de 4 banques dites systémiques, quand nos voisins allemands en comptent une seule avec la Deutsche Bank. A cet égard, il faut savoir que le total de l’actif bancaire français représente 400% du PIB de notre pays contre 85% aux Etats-Unis.
Ces quelques données chiffrées significatives illustrent pour une part et de manière très spectaculaire la folie spéculative qui s’est emparée des banques ces trois dernières décennies, creusant le lit de l’explosion de la dette et de l’implosion du système financier mondial, comme le disait de fort belle manière un journaliste d’un grand journal du soir dans son édition du mardi 15 janvier dernier, je cite : « les banques ont alimenté à grandes pelletées, le chaudron des bulles immobilières américaines et espagnoles. Les banques fournissent le carburant de l’économie et allument la mèche en même temps », fin de citation.
Il est donc tout à fait légitime qu’après ces trente années de dérégulation et de financiarisation à outrance, les Etats tentent de remettre le génie dans la bouteille en imposant de nouvelles restrictions, disait ce même journaliste.
Ce même constat fut fait le 22 janvier 2012 au Bourget par un candidat à la Présidentielle, devenu Président de la République, « Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a pris le contrôle de l’économie de la société et même de nos vies », il poursuivait en indiquant je cite « que la maîtrise de la finance commencerait par le vote d’une loi sur les banques qui les obligera à séparer leurs activités de crédit de leurs opérations spéculatives. Aucune banque française ne pourra avoir de présence dans les paradis fiscaux. Les produits financiers toxiques, c’est-à-dire sans lien avec les nécessités de l’économie réelle seront purement et simplement interdits, les stocks options seront supprimés et les bonus encadrés ».Telle était mes chers collègues la feuille de route.
Puis en Octobre 2012, un rapport fut rendu au commissaire européen Michel Barnier par M. Eerki LIIKANEN, rapport qui recommandait entre autres mesures de mettre à l’écart les activités financières les plus risquées gérées par les banques.
Ces éléments de contexte, mes chers collègues, ne peuvent pas ne pas être pris en compte au moment où nous nous engageons dans la discussion d’un texte qui doit se donner une véritable ambition pour faire en sorte que jamais demain une telle crise financière ne puisse se reproduire, car les conséquences graves en sont connues pour les économies et les peuples évidemment en dernier ressort, ainsi la dette publique irlandaise est-elle passée de 25% du PIB en 208 à 100% en 2010 du fait du naufrage du secteur bancaire irlandais, qui obligea plus d’un partisan d’un libéralisme débridé à revoir ses fondamentaux pour décider de nationaliser plusieurs établissements, que de couleuvres avalées !
De même, la dette publique espagnole a augmenté de 50% qui plus est malgré la prise en charge d’une partie des dettes bancaires par la puissance publique, le secteur endetté en Europe aujourd’hui n’est pas, et de loin, le secteur public : c’est le secteur financier privé.
Le modèle de la banque universelle tant promu par certains milieux est devenu largement un mythe, si l’on considère les dix plus grosses pertes annuelles de banques européennes entre 2008 et 2011, 75% de ces pertes sont le fait de banques universelles.
Alors oui face à ce constat, la séparation des activités bancaires apparait comme une nécessité absolue, aussi ne peut-on que s’inquiéter quant à la portée du présent texte dont le PDG de la deuxième banque française indique face aux membres de la commission des finances de l’Assemblée Nationale, que le texte en l’état encadrerait 1% du produit net bancaire, le constat fut le même de la part du représentant de la première banque française.
Que faut-il filialiser ?
Il faut renoncer aux opérations de négoce à haute fréquence et aux opérations de marché sur les matières premières agricoles, oui il faut réorienter la finance vers l’économie réelle, l’outil de travail, la formation, la recherche et le développement, les PMI/PME et artisans, autant d’atouts qui, bien plus que l’austérité mortifère, seraient facteurs de la croissance qui fait défaut à notre économie aujourd’hui.
Comment ne pas s’interroger de l’absence de référence dans le texte initial à la présence de filiales nombreuses de banques françaises dans les paradis fiscaux, certes les collaborateurs du ministère nous ont indiqué lors de notre dernière entrevue que ce choix visait à inciter le Parlement à apporter sa contribution à la rédaction, nos collègues députés ont entamé ce travail, notre groupe souhaite l’approfondir en introduisant l’ensemble des critères indispensables à une présentation dite de « reporting » (pardonnez cet anglicisme) pays par pays, ainsi serait-il vraiment possible de juger de l’activité économique réelle des banques dans ces territoires si particuliers.
Nous pensons également que « le politique » - P majuscule – doit reprendre toute sa place face à la finance, en parfaite indépendance, détaché de toute influence, si les anglo-saxons n’ont sans doute pas la même approche que nous sur ce sujet, nous pensons que la France doit être porteuse d’un message sans ambiguïté sur cette question et il nous semble également qu’il y va du fonctionnement démocratique de notre société, en effet trop de nos concitoyens pensent aujourd’hui que c’est bien l’économique qui dirige nos sociétés, chers collègues, il y a là un enjeu de société majeur pour l’équilibre de notre république.
D’où la nécessité, selon nous, de « démocratiser » en quelque sorte les organes de régulation, pourquoi ne pas imaginer au sein de ces instances la présence de représentants du personnel ainsi que des représentants des associations de clients des établissements bancaires ? A situation exceptionnelle, ne faut-il pas imaginer des solutions originales. Nous sommes convaincus qu’il y aurait là une source de prise en compte de l’intérêt général de manière beaucoup plus constante. Hâtons-nous aussi de rendre la finance accessible au plus grand nombre, nous sommes tous concernés.
Un mot encore sur le trading haute fréquence, l’exemple type de la finance déshumanisée, des émissions d’ordre de bourse effectuées par des ordinateurs, des robots, constituant l’essentiel des transactions à l’échelle de la planète. Le texte envisage d’interdire cette pratique malheureusement elle resterait autorisée dans le cadre des activités dites de tenue de marché. Comme la quasi-totalité du trading haute fréquence fait l’objet d’accords de tenue de marché signés entre traders et places boursières, cette interdiction pourrait se révéler être sans effet.
L’expérience récente doit nous amener à une très grande ambition dans le cloisonnement strict, étanche entre l’entité qui collecte les dépôts et la filiale qui regroupe les activités de marché à risque.
Le texte de loi présente de réelles avancées, de réelles intentions ainsi les outils juridiques dont est dotée l’Autorité de Contrôle Présidentiel et de Résolution visent effectivement à agir plus rapidement et à minimiser l’implication des contribuables en cas de défaillance bancaire.
Mers chers collègues, notre responsabilité de parlementaires est très grande face à ce texte, qui peut être un tournant salutaire et correspond à une véritable attente chez nos concitoyens qui s’inquiètent légitimement de la situation actuelle à Chypre, ainsi selon un sondage de l’IFOP paru en décembre 2012, 71% des personnes interrogées estimaient que les banquiers n’avaient pas tiré les leçons de la crise et n’avaient pas adopté des comportements moins risqués, le même institut quelques mois plus tôt montrait que 84% des personnes interrogées étaient favorables à une séparation au sein des banques entre les activités de détail et les activités de marché, nous ne pouvons décevoir ces attentes !
Je voudrais à ce stade et avant de conclure soumettre à la réflexion de chacun une citation dont je ne vous dévoilerai l’auteur qu’à l’issue de la lecture.
« Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat.
Si le peuple américain permet un jour que les banques privées contrôlent leur monnaie, les banques et toutes les institutions qui fleuriront autour des banques priveront les gens de toute possession, d’abord par l’inflation ensuite par la récession jusqu’au jour où leurs enfants se réveilleront sans maison et sans toit sur la terre que leurs parents ont conquis ».
Thomas JEFFERSON (1802)
Notre groupe déterminera donc sa position au terme de l’examen des articles et de la discussion des amendements.