En se dotant le 2 juin dernier d’un nouveau règlement interne, le Sénat a adapté son fonctionnement aux principes de la révision constitutionnelle votée en juillet 2008 et à la loi organique du 15 avril 2009 qui en précise les modalités. Simple ajustement technique et consen- suel ? Non, estiment les élus du groupe CrC-SPG qui se sont prononcés contre l’adoption de ce nou- veau règlement, de même qu’ils s’étaient opposés à la modification de la Constitution. Et ce, pour les mêmes raisons. Censée renforcer les droits du Parlement, la révision constitutionnelle imposée par Nicolas Sarkosy aux forceps n’a fait que légiti- mer le pouvoir absolu du Président de la république, au détriment du Gouvernement et du Parlement. « Une situation très préoccupante pour la démocratie », que résume ainsi Nicole Borvo Cohen-Seat : « Un pouvoir exécutif concentré entre les mains du Président de la République, chef de la majorité et du parti majoritaire de la majorité, omni- potent et omniprésent ; un Parlement largement réduit aux bavardages. »
Évolution feutrée
Le Sénat ne déroge pas à cette évolution, même si dans la tradition de la Haute assemblée, elle se veut plus feutrée. C’est ainsi qu’il n’appliquera pas le « crédit-temps », ce couperet qui permet au parti au pouvoir de restreindre à sa guise les débats s’il trou- ve les parlementaires trop combatifs, et qui pour l’instant est uniquement réservé aux députés. Il n’empêche, même sans ce « 49.3 parlementaire », le droit d’amendement est désormais au Sénat limi- té par de nouveaux obstacles ; les débats en séance publique sont sous la menace de perdre de leur importance au profit des discussions à huis clos en commission ; et si les groupes politiques et la mino- rité sont en théorie mieux reconnus, majorité relati- ve oblige, la pratique témoigne que le camp prési- dentiel continue d’y régner presque sans partage.
Dérive antidémocratique
depuis son entrée en vigueur officielle, le 1 er mars dernier, la révision constitutionnelle montre son vrai visage. Le partage de l’ordre du jour a institué des semaines d’initiatives parlementaires régulières. Or celles-ci ne donnent lieux qu’à des débats, sans
doute intéressants, mais sans effet, sauf quand la majorité les utilise comme ballons d’essai pour tes- ter ses projets... Par contre coup, le temps réservé au vote et à la discussion de la loi, raison d’être du Parlement, s’en trouve amputé. Avec autant de pro- jets de loi programmés par le gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat sont plus que jamais confinés à un rôle de chambre d’enregistre- ment. du coup, souligne la présidente du groupe CrC-SPG, « soit on accepte un débat étriqué sur les projets de loi d’origine gouvernementale, le Parlement ne disposant pas du temps nécessaire pour jouer son rôle de législateur, soit il cède son ordre du jour au Gouvernement ». Comme cela fut le cas lors de la discussion du projet de loi réformant l’hô- pital... La prédominance du travail en commission constitue l’autre grand changement induit par la révision constitutionnelle. « Nous avons exprimé clairement et sans hésitation notre opposition à cette évolution, explique encore Nicole Borvo Cohen- Seat. Le travail en commission, présenté comme la quintessence du travail parlementaire, revêt à nos yeux deux défauts majeurs : l’absence de transparen- ce et la minoration du pluralisme. Les premières semaines d’application de la révision constitutionnel- le débouchent sur un premier constat : pour faire fonctionner le nouveau système, il faut, soit appliquer la réduction du droit d’amendement et du débat public, voie choisie par lA’ ssemblée nationale, soit
accepter une certaine confusion entre le travail en commission et les débats en séance publique. » Voie choisie par le Sénat. Mais pour combien de temps ?
« Rationalisation » des débats
Qui peut croire que la chambre élue au scrutin indi- rect pourra continuer longtemps à débattre de manière plus approfondie que l’Assemblée nationale élue directement par le peuple ? « Dans le contexte actuel des rapports de force au Sénat, la réforme qui nous est proposée se veut moins contraignante pour le débat qu’à lA’ ssemblée nationale, résument les élus du groupe CrC-SPG. Elle ne s’inscrit pas moins dans cette logique de rationalisation du travail parlementai- re typiquement sénatoriale depuis plus de vingt ans et que la révision de 2008 a maintenant constitutionna- lisée. L’extension du domaine des irrecevabilités parle- mentaires, la réduction du temps de parole répondent à l’objectif du Président de la République de réduire le débat démocratique et pluraliste ». Alors que l’absten- tion s’est élevée à un record sans précédent lors des récentes élections européennes, la mise au pas d’un Parlement affaibli et instrumentalisé ne peut qu’ag- graver la crise de confiance existant entre les électeurs et leurs représentants, entre les citoyens et les institu- tions. Le premier discours du « Trône » de Nicolas Sarkozy devant le Congrès, le 22 juin, illustre cette inquiétante dérive démocratique.