L’emploi et l’épargne populaire, victimes collatérales

Fusion entre les Caisses d’Epargne et le groupe Banques populaires

Publié le 1er juin 2009 à 10:31 Mise à jour le 8 avril 2015

Quelles sont les raisons
qui motivent votre
opposition à cette fusion ?

Thierry Foucaud. Nous ne sommes pas partisans de la fusion entre les Caisses d’Epargne et les Banques populaires, parce que rien ne justifie sur un plan économique, en fait, qu’une telle fusion soit réalisée. Ce que cache le gouvernement, c’est que l’une des priorités de la fusion est de dégager les moyens de prendre en charge les pertes découlant des errements de Monsieur Charles Milhaud, ancien patron des Caisses d’épargne et des placements hasardeux de Natixis, structure portée sur les fonts baptismaux par un certain François Pérol, ex-conseiller de Nicolas Sarkozy installé par l’Elysée à la tête du nouvel ensemble créé par ce projet de loi. Pour donner une idée du sinistre, les Caisses d’Epargne comme Natixis ont souscrit des subprimes aux Etats-Unis, fait des affaires avec Bernard Madoff ( 375 millions de pertes pour Natixis sur le coup ) ou acheté des parts dans les banques islandaises qui se sont effondrées avec la crise financière. Nous posons la question : du fait de ces pertes constatées et de celles prévisibles, que va-t-il rester pour financer l’initiative locale, le développement des territoires, l’action publique des collectivités ? Les dérives financières de quelques-uns doivent-elles être subies par les autres, au travers d’une confiscation des pouvoirs de décision, d’un autoritarisme renforcé et assumé, d’opérations et de mouvements financiers faisant payer à d’autres ces dérives ? Pour notre part, nous répondons non. C’est pourtant la voie choisie par le gouvernement. Cette fusion n’a pas pour finalité l’intérêt général, comme c’est pourtant l’objet de la loi, par principe constitutionnel, mais la défense d’intérêts privés.
Quelles conséquences redoutez-vous ?

Thierry Foucaud. Il faut savoir que cette opération concerne plus de 130 000 salariés, employés, cadres, techniciens, présents dans chacun des deux réseaux, dans des métiers fort divers. Les Caisses d’Epargne sont évidemment connues de nos concitoyens pour être l’un des deux collecteurs historiques du Livret A. Mais elles sont aussi des établissements bancaires de réseau, particulièrement présents sur le territoire, menant une démarche de proximité, investis de missions d’intérêt général dont la plupart des banques privées courantes se moquent le plus parfaitement du monde. Les Banques Populaires, pour leur part, obéissent à des règles de fonctionnement qui leur sont propres, fondées sur le statut coopératif, permettant également, malgré bien des dérives récentes, de rapprocher l’activité bancaire des territoires, et de la demande locale de crédit. Elles sont un élément indispensable à l’existence d’un véritable crédit bancaire aux petites entreprises, souvent aux associations et, dans bien des cas, aux particuliers. Sur leurs métiers d’origine, les Caisses d’Epargne comme les Banques Populaires sont d’ailleurs en bonne santé financière. Ces spécificités vont donc être sacrifiées sur l’autel de la fusion en l’honneur du dieu profit et de la déesse spéculation ! Conséquence, entre autres : une source de financement accessible pour les collectivités locales, au moment même où elles sont particulièrement sollicitées, risque de se tarir. Des milliers d’emplois sont aussi menacés, sur le court et le moyen terme, du fait même de cette fusion : les rapports d’expertise annoncent de 250 à 450 suppressions de postes au siège social du nouveau groupe, et les syndicats des Caisses d’Epargne estiment que 10 000 emplois, sans compter les fermetures d’agences, sont menacés sur leur réseau.

Qui porte selon vous la responsabilité
de ce désastre financier ?

Thierry Foucaud. Les Caisses d’Epargne, pour la première fois depuis leur création en 1818, ont perdu de l’ argent en 2008. Natixis vient d’annoncer une perte de 1,8 milliard d’euros au premier trimestre. Loin de nous ici l’idée d’accabler les 27 000 salariés de Natixis, qui font, chacun dans leur domaine, montre de la plus extrême conscience professionnelle pour accomplir leur mission. Ce qui est clairement en question, c’est la responsabilité de dirigeants qui ont conduit au bord du gouffre une entreprise dont l’intervention est pourtant déterminante en bien des domaines, à commencer par le crédit export, mais qui a souffert de l’aventurisme né de la spéculation financière intensive régnant sur les marchés financiers depuis de si longues années. Cependant, il faut être clair : la responsabilité du gouvernement est engagée et elle est immense. C’est lui qui a voulu la création de Natixis. C’est lui qui a laissé faire. Natixis est le scandale financier de la droite ultralibérale des années 2000, son Crédit Lyonnais ; cette droite qui fait bon poids de l’intérêt général, de l’attente de la Nation, des besoins sociaux, de ceux des ménages comme de ceux des entreprises, et qui cherche, par tous les moyens, quand cela tourne mal, à faire payer à d’autres le prix de ses errements. D’ailleurs, les Caisses d’Epargne, comme les Banques Populaires, ont décidé le 13 mai dernier qu’elles allaient mettre au pot 750 millions d’euros chacune pour recapitaliser Natixis et lui apporter 2 milliards de plus sous forme de souscription de titres subordonnés. Deux milliards qui ne tombent évidemment pas du ciel : c’est aussi le montant que l’Etat, avec l’argent des contribuables, va lui-même mettre dans le circuit... Il est malheureusement à craindre que la même opération soit appelée à se répéter, au fur et à mesure de l’ouverture des différents placards dans lesquels on va découvrir les cadavres des opérations financières dans lesquelles Natixis s’est fourvoyé. Hélas, Natixis n’est pas le seul souci et l’on ne connaît même pas encore le montant des créances douteuses que détient l’ensemble des sociétés du groupe que le projet de loi constitue. Ce qui est à craindre, c’est que l’épargne populaire soit détournée très rapidement de sa raison d’être et mobilisée pour couvrir des pertes qui pourraient dépasser les 30 milliards d’euros.

Thierry Foucaud

Sénateur de Seine-Maritime
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