Avec sa réforme, Roselyne Bache lot asphyxie l’hôpital public !

Hôpital, Patients, Santé et Territoires

Publié le 1er juin 2009 à 10:58 Mise à jour le 1er avril 2015

Une « rénovation » et « une modernisation » nécessaires. C’est en ces termes que Roselyne Bachelot a salué, dans la nuit du 5 au 6 juin, l’adoption par la majorité sénatoriale de son projet de loi de réforme de l’hôpital, un projet approuvé par des élus UMP et centristes une nouvelle fois réunis dans une adhésion commune. On sait d’expérience avec ce gouvernement que les mots qu’il utilise sont trompeurs. Ceux-là ne le sont pas moins. En fait de « rénovation » et de « modernisation », la loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoires » envoie au cimetière l’hôpital public à la française. Rien de moins. Elle modifie également en profondeur l’organisation du système sanitaire afin de le soumettre à une double logique de profit et de maîtrise purement comptable. Les grands gagnants de cette évolution sont les praticiens et les cliniques qui conçoivent d’abord l’exercice de la médecine comme une source d’enrichissement. Les perdants se recrutent à l’opposé chez les patients, victimes d’une réforme, soulignent les élus du groupe CRC-SPG, qui va « à l’encontre de leurs intérêts » en étant synonyme de « privatisation de la santé ». Un point de vue qu’ils ont défendu et étayé sans relâche durant le marathon législatif qu’aura été l’examen du texte par le Sénat. Deux semaines de débat en commission, puis quatre en séance publique qui n’ont changé ni l’esprit ni l’architecture du texte, les modifications apportées par la majorité sénatoriale relevant de la forme ou se traduisant par de nouvelles concessions faites aux lobbies de la médecine libérale. Seul point positif : le report de la convergence tarifaire entre le secteur public et le secteur privé à 2018. Encore s’agit-il là d’une mesure de repli. Au terme de ce mois et demi de discussion, et après la tenue d’une commission mixte paritaire qui a accouché le 16 juin d’une rédaction définitive de la loi, leur diagnostic est donc sans appel : cette réforme est toujours aussi nocive pour la santé publique !

Une réforme idéologique

François Autain, principal orateur du groupe CRC-SPG avec Guy Fischer, résume ainsi la démarche gouvernementale : « Désormais, tout converge vers la privatisation de notre système de santé. Cette vision marchande de la santé n’est pas la nôtre. Elle a beau être conforme aux préconisations des institutions européennes et dans la logique du Traité de Lisbonne. Elle n’en est pas moins inacceptable. Nous récusons cette subordination de la santé à l’économique, car, partout où elle est mise en œuvre, elle se révèle discriminatoire dans l’accès aux soins et préjudiciable à leur qualité. Cette remise en cause de notre modèle a déjà eu et aura des conséquences désastreuses sur l’hôpital public. Les réformes incessantes dont il a été l’objet ces dernières années ont accru ses difficultés, comme si le gouvernement misait sur sa disparition prochaine au profit du secteur commercial. Il est vrai que le gouvernement est allergique aux services publics en général et ne manque pas une occasion d’apporter sa contribution à la campagne de dénigrement dont l’hôpital public est l’objet. Le Président de la République est allé jusqu’à l’accuser injustement de dilapider chaque année 64 % des dépenses de santé alors qu’en réalité, il n’en représente que 34 %. Aujourd’hui, l’hôpital va mal, il est en état de sous financement chronique, affaibli et déstructuré. Ses personnels en nombre insuffisant sont démoralisés au moment où se profilent les vagues de licenciements par milliers. La sécurité et la qualité des soins ne sont plus garanties et, paradoxalement, ce projet est muet sur son mode de financement qui est pourtant la principale cause de la crise sans précédent qu’il traverse. »

L’hôpital, une entreprise comme une autre

Le projet du gouvernement consacre la disparition de l’hôpital comme fer-de-lance du service public de santé. Officiellement d’ailleurs, Roselyne Bachelot ne parle plus d’« hôpital », mais d’« établissement de santé », un glissement sémantique qui illustre le passage à « l’hôpital-entreprise » déjà entamé, il faut le rappelé, avec l’introduction de la tarification à l’acte. L’hôpital est désormais considéré comme une entreprise tout à fait comme une autre, soumis à la dictature du profit, réduisant le geste du soin à une activité mercantile banale. Son directeur n’est plus nécessairement un fonctionnaire, et son mode de gestion est calqué sur celui du secteur marchand. « Avec ce projet de loi, analysent les élus du groupe CRC-SPG, le gouvernement satisfait une demande pressante des libéraux de tous bords : marchandiser la santé et faire de l’hôpital public une simple entreprise de soins, soumise aux règles du marché : contraintes économiques, obligations de rentabilité, management privé et, naturellement, soumission à la concurrence. » Une forme d’intéressement voit le jour avec la possibilité pour des cliniciens hospitaliers de bénéficier d’une part variable de rémunération en fonction de la réalisation d’objectifs quantitatifs d’actes de soins.

Les ARS, bras armé du gouvernement

Pour imposer la cure d’austérité qu’il envisage de faire subir aux hôpitaux et laisser le champ libre au secteur privé, le gouvernement pourra compter sur les agences régionales de santé. Elles ont été créées pour cela ! Ces agences seront quasiment omnipotentes, exerçant leur tutelle sur l’ensemble des structures sanitaires et médico-sociales, disposant par exemple du pouvoir de placer sous administration provisoire les établissements publics de santé en déficit budgétaire. Et elles seront à la botte du gouvernement étant donné que c’est lui qui nommera leurs directeurs. Il suffisait d’y penser... Ces super-préfets sanitaires pourront avoir la main très lourde. « L’article 13 de ce projet de loi autorise le directeur de l’agence régionale de santé à imposer aux hôpitaux des mouvements de fusion, sur la base d’un projet régional de santé dont le seul objectif est la réduction des dépenses publiques, explique Guy Fischer. Tel est d’ailleurs l’esprit de l’ensemble de ce projet de loi qui vise à subordonner les besoins à l’offre de soins. Certes, la rédaction actuelle intègre — formellement du moins — les besoins en santé de la population. Mais ces besoins passent par pertes et profits, dès lors qu’il s’agit d’appliquer à l’hôpital la révision générale des politiques publiques. J’en veux pour preuve l’insertion, par la commission, d’une disposition autorisant le directeur de l’ARS à exiger du directeur de l’hôpital qu’il procède à la suppression d’emplois publics, et ce dans le seul but de réduire les déficits des établissements publics de santé. La suppression de ces postes ne sera jamais confrontée aux besoins réels des patients accueillis et soignés dans les hôpitaux. Elle ne correspond à aucune logique sanitaire, ni à aucune logique de solidarité, c’est une logique purement comptable. Pourtant, la situation dans les hôpitaux concernant le personnel est gravissime. Le manque est tel que, déjà, les praticiens sont obligés de programmer des interventions plusieurs mois à l’avance, obligeant les malades à subir des listes d’attentes tant décriées outre-Manche. »

La médecine libérale choyée

Avec ce texte, le gouvernement déroule un tapis rouge sous les pieds de la médecine libérale. En découpant en treize tranches les missions du service public de santé, il permet au secteur privé, qui est la plupart du temps à but lucratif, de choisir à sa guise celles qui sont les plus rentables. Les cliniques commerciales se frottent déjà les mains : elles vont pouvoir choisir parmi ces treize missions celles qui permettront les plus fortes rémunérations, « c’est-à-dire, précisent les élus du groupe CRC-SPG, les plus grands profits pour leurs actionnaires ». Quant aux praticiens libéraux, ils peuvent se sentir confortés : la pratique du testing, permettant de détecter d’éventuels refus de soins discriminatoires, a finalement été abandonnée. Et en cas de récidive notoire, la publicité des sanctions prises restera une simple possibilité. Les fautifs n’ont donc aucune raison de s’inquiéter, comme l’indique Isabelle Pasquet : « La rédaction proposée dans le projet de loi prévoit qu’en cas de récidive les sanctions prononcées peuvent simplement faire l’objet d’un affichage au sein des locaux de l’organisme local d’assurance maladie et peuvent être rendues publiques. Nous ne nous satisfaisons pas de cette demi-mesure : dès lors que le professionnel de santé est en situation de récidive, les sanctions prises doivent impérativement être affichées et rendues publiques. Ces pratiques sont tout simplement contraires aux valeurs fondamentales de notre société et à l’engagement pris par le médecin devant ses pairs lorsqu’il prête serment. De très nombreux sénateurs ont présenté ce serment comme fondamental. Nous voulons bien croire en la valeur de ce serment, mais il faut alors prendre les mesures appropriées pour sanctionner sa violation, a fortiori en cas de récidive. Quelle sanction plus efficace que de rendre automatiquement publique la violation, par un professionnel de santé, de cet engagement pris devant ses pairs et devant la collectivité ? » Aucun sans doute, mais pour une fois que le gouvernement fait preuve de mansuétude avec des récidivistes ! Les dépassements d’honoraires sont aussi légitimés, Roselyne Bachelot refusant obstinément de les encadrer, alors qu’ils représentent pourtant une des principales barrières limitant l’accès aux soins. Réaction du groupe CRC-SPG : « Le gouvernement reste sourd aux attentes de nos concitoyens les plus modestes, ceux qui, aujourd’hui, peinent à se soigner et opèrent déjà des choix entre leur santé et leur survie quotidienne. »

Elus locaux et partenaires sociaux écartés

Toutes puissantes, les Agences régionales de santé n’auront de compte à rendre qu’à l’Etat, c’est-à-dire au gouvernement dont elles dépendront directement. Avec un tel schéma, il reste très peu de place pour les partenaires sociaux et les élus locaux ( même si la présidence du conseil de surveillance des établissements publics de santé reviendra in fine à un représentant des collectivités locales ). « Dans ce rapport très hiérarchique, verticalisé à l’extrême, profondément technocratique, les territoires et leurs représentants n’ont pas voix au chapitre, constate Annie David. Nous proposons au contraire que les élus soient plus associés qu’ils ne le sont aujourd’hui dans la définition du projet régional de santé, particulièrement pour ce qui est de la lutte contre les déserts médicaux. Car en réalité, aujourd’hui - et demain encore - ce sont les maires qui recherchent partout, y compris en dehors de France, des médecins pour venir s’implanter dans leurs communes, notamment en mettant à leur disposition des logements et des cabinets flambant neufs, exonérés de loyers. Les hôpitaux publics, comme l’ensemble des services publics, participent activement à l’aménagement de nos territoires. C’est pourquoi il est inacceptable que puissent s’opérer des fusions ou des regroupements, sans que les élus locaux aient leur mot à dire. »

Les déserts médicaux vont s’étendre

Chacun s’accorde à le reconnaître, et le gouvernement en premier lieu, l’inégalité géographique en matière d’accès aux soins progresse. En résumé, les déserts médicaux s’étendent, aussi bien dans les campagnes que dans certaines périphéries urbaines. Dans ce domaine aussi, la loi Bachelot ne permettra pas d’améliorer la situation malgré les déclarations rassurantes de la ministre de la Santé qui se réfugie derrière la sacro-sainte liberté des médecins pour poursuivre une politique simplement incitative et totalement inefficace. Face à ce constat, « il est nécessaire de procéder à une véritable réforme de la médecine de ville », plaident pour leur part les sénateurs communistes, conscients que s’il n’existe pas de recette miracle pour résoudre cette épineuse question il est néanmoins possible de réglementer l’installation des médecins afin de mieux satisfaire les besoins des patients. « Ce sont aujourd’hui les régions et les départements qui puisent dans leurs ressources pour financer des bourses destinées aux étudiants en médecine, en échange de leur promesse d’installation sur un territoire déterminé, rappelle Annie David. Il ne s’agit pas pour nous de stigmatiser les étudiants en médecine qui font le choix de s’installer dans des zones où l’offre est déjà très importante. Comment leur en vouloir quand l’Etat lui-même abandonne les quartiers difficiles, les zones de montagnes et nos campagnes ? Comment en vouloir à des jeunes gens qui assistent chaque jour à la fermeture d’une poste, d’une école, de l’ensemble des services publics, à qui le gouvernement demande d’en pallier l’absence et d’être dans certains territoires, bien que relevant pourtant de l’organisation libérale, le dernier représentant de la puissance publique ? »

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