Mesdames, Messieurs,
La suppression de la Taxe Professionnelle et la réforme des Collectivités territoriales sont en réalité les deux faces d’une même réforme qui va bouleverser l’architecture des institutions de notre République.
Je note d’emblée que face à des réformes d’une telle ampleur qui mettent en cause toute l’organisation de notre République, les collectivités, les communes et leurs Conseils municipaux ne sont pas du tout consultés hormis l’audition des associations d’élus, et quant aux citoyens, ils sont soigneusement maintenus à l’écart alors que leur vie et leur avenir en dépendent.
Cette réforme va se dérouler en deux temps. Premier temps, avec la suppression de la taxe professionnelle, on va assécher les ressources des collectivités territoriales ; deuxième temps, avec la réforme des collectivités territoriales, on va étouffer le pouvoir local.
Chacun le sait, ces projets de réformes suscitent de nombreuses inquiétudes chez la plupart des élus locaux, toutes sensibilités politiques confondues. Il suffit d’observer les déclarations unanimes des associations d’élus ou encore les réactions des Maires lors de leur Congrès pour prendre la mesure du profond désarroi qui touche les élus de tous horizons.
Alors, on peut se demander pourquoi face à une telle réprobation, le Président de la République et le Gouvernement maintiennent-ils le cap ?
Eh bien tout simplement parce que cette réforme s’inscrit dans la mise en œuvre d’un projet de société en lien avec les politiques libérales européennes.
Pour deux raisons essentielles.
Première raison : les politiques publiques de solidarités fondées sur des services publics, garants d’égalité pour nos concitoyens, gênent le pouvoir en place et le MEDEF. Les services publics nationaux sont déjà dans le collimateur. Après France Télécom, GDF et EDF, le débat sur la transformation du statut de La Poste vient encore d’en témoigner.
Mais avec cette réforme, ce sont les services publics locaux qui sont visés. Les nouveaux services publics développés par les collectivités territoriales grâce à la décentralisation, sont aujourd’hui des obstacles au développement d’une « concurrence libre et non faussée ». Ce qui est recherché, c’est le transfert de ces services publics locaux au secteur privé afin d’offrir de nouvelles possibilités d’investissement et de rentabilité aux capitaux privés.
La deuxième raison touche aux fondements de notre démocratie. En effet, les collectivités locales - régions, départements et communes - sont des échelons essentiels de l’exercice de la démocratie plébiscités par nos concitoyens.
Le sondage que vient de réaliser l’Association des départements de France l’illustre parfaitement. En effet, 82 % des personnes interrogées déclarent être attachées à leur département ; 77 % considèrent le maire comme l’élu le plus proche d’elles et de leurs préoccupations.
C’est bien ce qui gêne le gouvernement. Les pouvoirs locaux constituent des pôles de résistance à la mise en œuvre de sa politique. Les politiques publiques locales s’opposent frontalement au pouvoir centralisé que le Président de la République entend imposer dans tous les domaines de la vie publique et sociale.
Voici donc à mes yeux les deux raisons qui expliquent la surdité et l’entêtement apparents du Président et de son gouvernement : premièrement, la volonté de livrer les services publics locaux aux appétits du privé, et deuxièmement, la volonté de casser les pouvoirs locaux qui s’opposent à sa politique.
Cette réforme est une remise en cause des structures Républicaines traditionnelles. Contrairement à ce qui est affirmé, l’organisation territoriale n’est pas un mille-feuille.
Chacun des six niveaux répond à des compétences et à un niveau d’intervention spécifique qu’il faut préserver, même si l’on peut considérer qu’il y a lieu de mieux définir les compétences respectives, à commencer par les compétences qui relèvent de la responsabilité de l’Etat, celles qui garantissent l’égalité de tous les citoyens sur tous les lieux du territoire.
Pour le pouvoir, il s’agit de faire prévaloir le triptyque « intercommunalités-régions-Europe » contre le « tryptique commune-département-nation ».
A mon sens, il faut clairement affirmer la capacité structurante du triptyque – commune, département, nation – qui relève essentiellement de l’action politique, sur le triptyque – intercommunalité, région, Europe-, qui relève beaucoup plus de l’action économique et dont les éléments doivent conserver un caractère supplétif.
J’en viens maintenant à la suppression de la TP qui intervient dès le budget 2010, bien avant la réforme des collectivités territoriales qui est prévue à l’horizon 2014. Cela montre à quel point le gouvernement veut contraindre les collectivités, dès 2010, à diminuer leur champ d’intervention.
Tous les élus savent qu’avec la nouvelle « contribution économique territoriale » le compte n’y est pas. La taxe professionnelle représente 22,6 milliards d’euros de ressources nettes en 2008 pour les collectivités territoriales.
La contribution économique territoriale, composée d’une cotisation locale d’activité, assise sur la valeur foncière des bâtiments et d’une cotisation complémentaire, assise sur la valeur ajoutée des entreprises, leur procurera 12,7 milliards d’euros.
Le manque à gagner est donc de 9,9 milliards d’euros. L’Etat s’est certes engagé à compenser une partie de la perte de recette en transférant aux collectivités 6 milliards d’euros de recettes fiscales aujourd’hui attribuées à l’Etat (une partie de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance, de la taxe sur les surfaces commerciales et des droits de mutation à titre onéreux).
Mais il manque toujours 4 milliards d’euros pour compenser intégralement la suppression de la taxe professionnelle. Le gouvernement s’est engagé à compenser les recettes de la taxe professionnelle à l’euro près pour 2010 par le biais d’une dotation spéciale de compensation. Mais qu’en sera-t-il en 2011 et après ?
De plus, la contribution économique territoriale, tout comme le panier de ressources affectées ne constitueront pas des recettes dynamiques comme pouvait l’être la taxe professionnelle.
Ajoutons que cette réforme va encore accroître les inégalités entre les territoires. En effet, le seuil de 100 000 euros de chiffre d’affaire pour participer au paiement de la cotisation locale d’activité et le seuil de 500 000 euros de chiffre d’affaire pour contribuer à la cotisation sur la valeur ajouté va particulièrement pénaliser les territoires dont le tissu économique est principalement constitué de petites entreprises et d’entreprises artisanales.
En définitive ces projets de réforme vont gravement porter atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Leur autonomie financière est en réalité remise en cause car elles vont être fortement dépendantes des dotations de compensation de l’Etat et que leur seule autonomie résidera dans la possibilité de déterminer le taux d’imposition de la cotisation locale d’activité, soit un élément de ressource beaucoup plus faible que la taxe professionnelle.
Que deviendra la coopération intercommunale quand la suppression de la taxe professionnelle conduira à réduire la compensation attribuée aux communes membres d’une intercommunalité à taxe professionnelle unique ? La réforme aura des effets désastreux sur les dotations de solidarité communautaires.
Que devient la décentralisation quand les régions ne disposeront que des ressources dédiées par le partage d’une cotisation complémentaire sur la valeur ajoutée dont l’affectation sera décidée par le pouvoir législatif ?
Que devient la décentralisation quand les départements connaîtront le même sort alors qu’ils font l’expérience douloureuse depuis des années du transfert de charges non compensées notamment avec l’APA ou encore avec le RSA ?
Ces réformes et en particulier la suppression de la taxe professionnelle, mettent à mal l’organisation décentralisée de la République comme l’autonomie des collectivités locales, deux concepts de valeur constitutionnelle.
Concrètement, cela signifie que les collectivités n’auront plus les moyens de répondre aux missions de service public. Cette stratégie d’asphyxie financière des collectivités organisée par l’Etat, vise comme je l’ai déjà indiqué, à permettre à des capitaux privés d’investir dans ces services, auxquels auront difficilement accès nos concitoyens les plus modestes.
Mais pour les collectivités qui souhaiteront maintenir la qualité de leurs services publics, la nécessité de compenser la perte de recettes les entraînera immanquablement vers l’augmentation de la fiscalité locale.
Ainsi, cette suppression de la taxe professionnelle porte bel et bien le risque de transférer la charge d’un « impôt-entreprise » vers les « impôts-ménage ».
Deux conséquences à cela : d’une part cela va entraîner une hausse de la fiscalité locale, ce qui consistera en une sorte de double peine pour les familles, qui auront moins de services publics tout en payant plus d’impôts locaux.
D’autre part, cela va déconnecter les entreprises du territoire, alors qu’elles bénéficient des investissements des collectivités territoriales dans des infrastructures de transport, de voirie, d’éclairage, ou d’aménagements publics.
Lorsqu’une entreprise s’installe dans un territoire, elle est motivée par les services et les infrastructures, bien avant la fiscalité.
Le lien économique indispensable entre les collectivités et les entreprises a forgé le développement de nos territoires. En supprimant la taxe professionnelle, c’est ce partenariat privilégié qui est durement affecté. C’est la porte ouverte à la perte de responsabilité des entreprises vis-à-vis des territoires qui les accueillent, et c’est le risque pour les collectivités de se désintéresser de la vie et du développement économique de leur propre territoire.
Chacun peut ainsi mesurer que avec cette réforme, nous entrons dans un système « perdant-perdant » dans la relation « entreprise et collectivités locales ».
Ce projet est donc dangereux pour les collectivités, inquiétant pour l’emploi et facteur d’aggravation des inégalités pour nos populations car ce sont les services publics locaux qui risquent d’être affectés. C’est pourquoi, il mérite d’être fermement combattu.
En réalité, la réforme des collectivités territoriales s’inscrit dans une volonté de faire participer les collectivités à la réduction du déficit public de l’Etat. Si l’on écoute les ministres, les élus seraient trop nombreux et les collectivités formeraient un « millefeuille » coûteux et incompréhensible pour nos concitoyens. Autant d’idées battues en brèche dès que l’on dresse un bilan de l’action des collectivités et des élus.
Les collectivités réalisent en effet 80% de l’investissement public, alors que depuis les lois de décentralisation de 1982, 2003 et 2004, leur ont été transférées, toujours plus de compétences, sans compensation complète des charges. Malgré cela, elles ne contribuent au déficit public qu’à hauteur de 10 %, et ce de façon quasi constante depuis 1982.
Les financements croisés sont eux aussi accusés de créer de la complexité, alors qu’ils ne représentent que 5 % des dépenses globales et sont indispensables à la réalisation de nombreux projets. La question du coût des collectivités est donc un prétexte.
Quant aux élus, rappelons que la très grande majorité des 500 000 élus que compte la France sont bénévoles, et qu’ils font vivre la démocratie locale et s’investissent chaque jour pour assurer l’application de programmes d’actions au plus près de nos concitoyens.
Ces deux réformes traduisent en réalité la volonté autoritaire du Président de la République de remettre la main sur des collectivités territoriales qu’il ne contrôle pas.
La réforme globale des collectivités territoriales va permettre un véritable corsetage des collectivités locales. Privées d’élus et de moyens financiers, elles ne pourront plus mettre en œuvre correctement l’ensemble de leur politique. Ce qui immanquablement les conduira à fusionner avec d’autres échelons pour pouvoir faire face aux difficultés.
La réforme bouleverse les contours des structures existantes : elle est articulée autour de deux pôles : un pôle « départements-régions » et un pôle « communes-intercommunalités ». On comprend bien que l’un des membres de chaque couple est voué à disparaître –en l’occurrence la commune et le département- comme l’a d’ailleurs expressément préconisé Edouard Balladur dans le rapport du comité pour la réforme des collectivités locales, remis au Président de la République le 5 mars 2009.
Pour les communes, leur existence se trouve directement menacée par une logique incitant aux regroupements dans de « nouvelles communes » notamment par le biais d’incitations fiscales qui leur attribuerait 5% supplémentaires de leur dotation forfaitaire. En réalité, le couple « communes-intercommunalité » est un mécanisme de dissolution communal. Les communes deviendront ainsi un sous-échelon des intercommunalités, des communes nouvelles et des métropoles. Certes, les communes conservent la clause de compétence générale : mais une fois leurs compétences transférées aux EPCI, aux communes nouvelles ou aux métropoles, qu’auront-elles gagné à avoir conservé le bénéfice de cette clause ?
L’autre échelon directement menacé par la réforme est le département. La création d’un bloc « départements-région » vise en réalité, à supprimer à terme le département. C’est là encore un mécanisme d’absorption du département par la région. L’identité départementale et régionale des conseillers territoriaux, assurera inévitablement la suprématie de l’instance la plus globalisante, là ou se feront les arbitrages essentiels.
Pour y parvenir, le projet prévoit une procédure de fusion des départements et des régions. Quant aux compétences, le département, comme la région, perd sa clause de compétence générale : ses compétences seront strictement définies.
La création des conseillers territoriaux va porter un coup fatal à la démocratie locale et à l’action du conseil général. Leur élection se fera dans le cadre de cantons redessinés et élargis, selon un mode de scrutin mixte : scrutin de liste à la proportionnelle pour 20 % d’entre eux et pour 80 %, scrutin uninominal à un tour. Chacun sait ce que signifie ce scrutin uninominal à un tour : tout simplement la mort de la représentation pluraliste des élus départementaux, un bipartisme accru de la vie politique locale et une sur-représentation des élus proches du pouvoir.
Les conseillers territoriaux seront élus à la fois au conseil général de leurs départements d’élection et au conseil régional. Ils siègeront dans les deux assemblées. Mais bien que le maintien des conseils généraux et régionaux comme assemblées délibérantes des départements et des régions soient affirmé, chacun comprend aisément que les conditions sont créées pour, à terme, faciliter la suppression des départements. De plus, la création de cette nouvelle catégorie d’élus aura pour conséquence d’éloigner les citoyens des lieux de décision et de transformer des élus, contraints par une charge de travail très lourde, en de simples techniciens, sciemment détournés des préoccupations de la population.
La logique qui préside à la création des conseillers territoriaux est à rapprocher de celle entourant la possibilité pour les départements ou les régions de fusionner. Une fois encore la démocratie est bafouée puisque la consultation de la population n’est obligatoire que si les conseils généraux ne se sont pas mis d’accord sur le projet ; sinon elle sera simplement facultative.
A la possibilité de fusionner plusieurs départements et à la création des conseillers territoriaux vient s’ajouter une limitation du champ de compétences des départements et des régions. En effet, le gouvernement veut mettre un terme aux financements croisés. Il supprime la clause de compétence générale des départements et des régions et leur attribue des compétences qui sont, en principe, des compétences exclusives.
Les conséquences seront lourdes pour les petites communes, les conseils généraux et régionaux jouant actuellement un rôle essentiel dans le financement de leurs projets et de leurs équipements.
La marge de manœuvre des départements est donc très faible. Les financements croisés seront limités aux projets qui répondent à des motifs de solidarité ou d’aménagement du territoire. Cela se traduira par une limitation drastique de l’initiative locale dans la mise en œuvre de projets des communes, des départements et des régions. Les petites communes auront beaucoup de mal à financer des projets qui sont pourtant essentiels pour les habitants.
D’autant que le texte prévoit que désormais, « il sera demandé à la collectivité maître d’ouvrage une part significative de financement ».
Pour toutes ces raisons, ce projet de réforme qui en définitive est un véritable projet de recentralisation, provoque beaucoup d’inquiétudes chez les élus locaux toutes sensibilités confondues.
Ni le Président Sarkozy, ni les députés de sa majorité n’ont annoncé cette réforme durant leur campagne électorale. Même le premier ministre, dans son discours d’investiture, n’a pas fait de proposition en ce sens.
Pourtant cette réforme va bouleverser le paysage institutionnel sans que le peuple soit consulté. Seules les associations d’élus ont été consultées et d’ailleurs, aucune n’y est favorable.
Je crois pour ma part que dans les jours et les semaines qui viennent, une vaste mobilisation sera nécessaire pour qu’une autre logique s’impose. Mobilisation des élus locaux et de toutes les assemblées délibérantes bien sûr, mais aussi mobilisation des citoyens, des syndicats de la fonction publique territoriale, des associations citoyennes qui chaque jour bâtissent cette exception française, avec son pluralisme fondé sur une démocratie locale animée par des centaines de milliers d’élus de proximité.