Deux raisons majeures nous amènent à vous demander la suppression de cet article 19.
Il y a d’abord une raison de cohérence. En effet, comme nous avons défendu un amendement visant à supprimer l’article 18, qui met en place les contrats de développement territorial, il est naturel que nous vous demandions de supprimer également l’article permettant leur mise en œuvre.
Mais l’article 19 éclaire aussi d’une lumière particulière ces contrats de développement territorial : ils pourront être totalement confiés à des entreprises privées, de la conception à la réalisation finale ! En créant un nouvel outil contractuel, vous ouvrez ainsi la porte à une privatisation totale des politiques publiques de gestion des sols et d’aménagement du territoire.
Votre objectif est donc ici clairement affiché : il s’agit de confier à des tiers privés des missions globales, portant sur la conception de projets, la révision des documents d’urbanisme et la maîtrise d’ouvrage. Ainsi, concentration et privatisation vont de pair. Nous ne saurions l’accepter.
C’est d’autant plus grave que votre projet de loi prévoit que ces contrats de développement territorial entraîneront de facto changement des documents d’urbanisme et des schémas d’aménagement, et que le secteur privé ne prendra ici aucun risque, puisqu’une indemnisation est prévue si le projet n’est pas retenu ou si les équipements programmés excèdent les besoins.
Pour ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 19.
(...)
Le mécanisme mis en place par cet article permet donc aux collectivités territoriales signataires de contrats de développement territorial de confier à un tiers l’élaboration d’un projet d’aménagement dans toutes ses étapes, de la conception de l’opération à l’adaptation des documents d’urbanisme et à la maîtrise d’ouvrage.
En somme, cet article permet à une commune de déléguer à un prestataire, qui plus est, à un prestataire privé, puisque cet article fait directement référence aux contrats de partenariat public-privé, l’ensemble de ses prérogatives en matière d’urbanisme sur un territoire, de l’élaboration d’un projet urbain à sa finalisation.
Comme nous l’avons dit précédemment, une telle délégation de pouvoir nous paraît exorbitante et quelque peu antidémocratique.
En effet, si les administrés élisent un conseil municipal, c’est en partie pour le projet urbain qu’il propose. À ce titre, ils doivent avoir un droit de regard et d’influence sur les programmes d’aménagement mis en place par les élus.
Il s’agit là de « concertation », ni plus ni moins. Or, avec un tel mécanisme de délégation, qui sera responsable du projet ? Vers qui les citoyens pourront-ils se tourner ? Personne, puisque le prestataire n’aura aucun compte à rendre aux administrés et que les élus se seront dépossédés eux-mêmes de leur propre responsabilité !
Pour pallier ce risque, il aurait fallu que cette délégation de compétence soit assortie de nombreuses garanties et de nombreux garde-fous. Or, force est de constater que, là encore, le texte de loi reste muet. En effet, la passation du contrat n’est soumise qu’à la présentation d’un programme « global » de construction, qui ne mentionne la répartition entre les programmes de logements, d’activité économique et d’équipements publics que de façon « indicative ». La contrainte pour le prestataire est donc particulièrement faible.
Le summum est atteint au quatrième alinéa de cet article, qui traite de l’application de la loi SRU. Selon le texte, les communes qui ne respectent pas la règle des 20 % de logements sociaux sur leur territoire ne peuvent conclure un tel contrat « qu’à la condition que le programme global de construction de l’opération d’aménagement intègre une augmentation du pourcentage de logements locatifs sociaux ».
Concrètement, cela veut dire que les contrats pourront être passés par des communes qui ne respectent pas la loi SRU sans aucune obligation relative à la construction de logements sociaux. En effet, que signifie « augmenter le pourcentage de logements locatifs sociaux » ? Augmenter de 0,1 % suffit-il ? Est-ce que démolir quatre grands logements pour en construire cinq petits constitue une augmentation au sens du présent article ? Personne n’a de réponse, puisque le texte reste totalement flou sur cette notion d’ « augmentation du pourcentage de logements locatifs sociaux ».
Faire croire que cet alinéa, avec une rédaction aussi vague, introduit une conditionnalité devient alors quasi injurieux à notre égard, et montre un certain mépris de la valeur des textes législatifs.
En réalité, cet article crée de façon caricaturale une procédure de contournement de la loi SRU. C’est pourquoi nous demandons que ces contrats ne puissent être signés qu’à la condition que les communes respectent la loi, c’est-à-dire qu’elles aient sur leur territoire 20 % de logements sociaux au minimum.
(...)
Depuis de nombreuses années désormais, tout le monde a pu constater que l’étalement urbain était en partie responsable, en plus des problèmes sociaux et environnementaux, de l’hémorragie d’emplois dans la région d’Île-de-France, et qu’il fallait donc préconiser une politique de densification du maillage urbain.
C’est afin d’intégrer ces problèmes suscités par l’étalement urbain qu’une nouvelle procédure de révision du SDRIF a débuté il y a cinq ans. Les modifications qui ont été apportées au document avaient pour but de promouvoir la densification urbaine par une politique de développement de l’habitat et des transports en commun, de rééquilibrer les inégalités entre l’Est et l’Ouest, et d’intégrer aux projets d’aménagement une politique environnementale et durable.
En effet, selon les auteurs de ce document d’aménagement et de prospective, la crise du logement en Île-de-France se traduirait par un besoin de production de 1,5 million de logements à l’échéance 2030, soit 60 000 logements nouveaux par an en moyenne.
Au cours de ces dernières années, le SDRIF modifié a été adopté par le conseil régional et a reçu un avis positif au terme de l’enquête publique. Il aurait dû normalement entrer en application, mais le Gouvernement a mis fin au débat public en bloquant le SDRIF, qui n’a jamais été définitivement adopté, faute de décret en Conseil d’État.
En effet, le SDRIF, en proposant une politique audacieuse en termes de logement, de transports et de rééquilibrage Est/Ouest, semble aller à l’encontre de la vision restrictive et purement financière de la métropole qu’adopte la majorité.
Pourtant, ce document, fruit d’un long travail d’analyse et de prospective, est aussi le résultat d’un processus démocratique, ce que semble ignorer le Président de la République lui-même. En effet, je vous le rappelle, en 2008, le jour même de la présentation du SDRIF, le Président Sarkozy proposait, lors d’un discours tenu à La Défense, la création d’un conseil interministériel à l’aménagement du territoire qui devait déboucher sur un nouveau plan stratégique pour la région et le schéma directeur correspondant. Autant dire qu’il court-circuitait ainsi le projet régional !
Depuis, cette reprise en main par l’État de l’avenir du territoire francilien n’a fait que s’amplifier pour déboucher aujourd’hui sur ce projet de loi. Or le risque évident généré par le refus de prendre en compte le SDRIF est d’aboutir à un aménagement incohérent de l’Île-de-France.
C’est pourquoi, afin de redonner un peu de cohérence d’ensemble à ce projet, nous demandons que les contrats d’aménagement prévus par cet article ne puissent être conclus qu’à condition que les opérations intègrent les objectifs définis par le SDRIF en termes de logement locatif social.