Immigration , intégration, asile :

Michel Billout répond au comité départemental 77 du secours catholique

Cette loi s'inscrit en réalité dans un processus d'« industrialisation » des expulsions du territoire

Publié le 25 octobre 2007 à 11:09 Mise à jour le 8 avril 2015

"Madame la présidente,

J’ai lu avec la plus grande attention votre courrier du 21 septembre dernier portant sur vos inquiétudes concernant le projet de loi relatif à la « maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile ».

Au terme de l’unique navette parlementaire, la majorité de droite composant la Commission mixte paritaire regroupant sénateurs et députés est parvenue à un accord sur la rédaction d’un texte commun aux deux assemblées.

Celui-ci a été voté au sénat mardi 23 octobre, sans bien sûr avoir mon aval ni celui des sénateurs de mon groupe.

Ce projet de loi a en effet multiplié les obstacles au regroupement familial et à l’accès au droit d’asile. Quant à l’intégration, des barrières supplémentaires vont être abaissées sur le parcours déjà bien compliqué des étrangers.

Avec ce texte, le gouvernement oppose l’immigration familiale que le pays subirait et qu’il faudrait réduire, à l’immigration de travail qu’il souhaite choisir et porter à 50%. Or, ces deux formes d’immigration légale sont indissociables l’une de l’autre. En effet, lorsque l’on vient travailler en France, il est normal de vouloir faire venir sa famille, et inversement lorsque l’on vit en famille en France il est normal de vouloir y travailler pour vivre dans des conditions décentes. Vouloir maîtriser le nombre d’étrangers qui viennent pour travailler d’une part et d’autre part le nombre d’étrangers qui viennent rejoindre leur famille, c’est vouloir disposer des individus à sa guise et c’est vouloir organiser l’immigration comme si la France était une entreprise et le monde un vaste marché de l’emploi. C’est inacceptable.

Le débat a été tendu et fort, tant dans les deux assemblées que dans la société toute entière. Les pressions exercées n’ont pas été vaines puisque dans ses conclusions, la CMP a procédé à juste titre :

  • Au rétablissement du droit à l’hébergement d’urgence des étrangers en situation irrégulière ;
  • A la suppression de l’appel suspensif du préfet contre la libération d’un étranger maintenu en rétention ou en zone d’attente
  • A la suppression de la suspension des droits accordés aux étrangers pendant leur transfèrement vers un lieu de rétention
  • Au maintien du délai de recours d’un mois devant la commission des recours des réfugiés ainsi que le délai de 48 heures pour former un référé liberté dirigé contre une décision de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile
  • Au rétablissement de la possibilité pour les conjoints de Français de déposer leur demande de visa long séjour auprès de la préfecture

Toutefois, elle a retenu beaucoup d’autres mesures qui ne m’agréent pas du tout.

Je commencerai bien évidemment par le recours aux tests ADN que les parlementaires UMP n’ont pas supprimé et ce, malgré la montée en puissance de la mobilisation et de la contestation sur tous les fronts. Il est stigmatisant, discriminatoire et inégalitaire, car il ne concerne que les étrangers et, parmi eux, ne sont visées que les femmes a fortiori celles provenant de certains pays qu’un décret devra lister !

J’estime que la « biologisation » de la famille n’est pas concevable dans notre pays, encore moins dans les pays d’origine des candidats au regroupement familial qui sont le plus souvent nos anciennes colonies. Le Conseil constitutionnel a été saisi d’un recours sur cet amendement ADN. Je souhaite bien évidemment qu’il invalide cette disposition.

S’agissant du reste du texte, la plupart des mesures que notre groupe a contestées en séance lors des débats parlementaires demeurent.

Je veux parler des statistiques ethniques, de la biométrie pour les personnes ayant bénéficié de l’aide au retour, de la sanction du refus d’embarquer, plus généralement de toutes les restrictions des droits des étrangers : les demandeurs d’asile d’une part et d’autre part les candidats au regroupement familial qui se voient imposer le CAI, la connaissance de la langue et des valeurs de la République, et le principe des conditions de ressources contre le montant duquel vous vous étiez justement opposé dans votre courrier.

Je veux parler également des restrictions en matière procédurale : prolongation sans l’intervention du juge judiciaire du maintien en zone d’attente en cas de refus d’embarquer, suppression de l’obligation de motiver spécialement une OQTF conjointe à un refus de délivrance ou de renouvellement ou à un retrait de titre de séjour, extension du recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de rétention...

Le vote de cette loi s’est fait dans un contexte particulier :

  • Au moment où le gouvernement donne des injonctions aux préfets pour atteindre les objectifs chiffrés en matière d’expulsions du territoire : 25000 en 2007, et 28000 en 2008,
  • au rattachement de l’OFPRA au ministère de l’immigration, qui va ainsi regrouper les questions liées à l’asile alors que celui-ci est un droit fondamental qui n’a rien à voir avec les questions d’immigration,
  • à l’affaiblissement de l’intervention du juge dans des matières aussi sensibles que le prolongement du maintien d’une personne en centre de rétention administrative (CRA) ou en zone d’attente alors qu’il est question ici de la liberté fondamentale d’aller et venir dont le juge est en principe le seul garant,
  • à la suppression des magistrats dans les commissions départementales des titres de séjour.
  • à la multiplication des places en CRA qui deviennent de vraies machines à expulser les étrangers. La Cimade a notamment relevé dans son rapport 2006 qu’il y avait de plus en plus de familles qui y étaient maintenues avec leurs enfants alors qu’en principe les enfants ne sont pas soumis à l’obligation d’avoir des papiers....

Cette loi s’inscrit en réalité dans un processus d’« industrialisation » des expulsions du territoire via les CRA, via la politique du chiffre, via les instructions données aux préfets, via les auxiliaires de police recrutés dans tous les domaines.

Pourtant, on ne change pas les trajectoires migratoires à coup d’articles de loi
, de même qu’il est difficilement concevable d’envisager de choisir ses immigrés voire d’imposer des quotas selon les besoins exprimés par les employeurs.

Fidèles à leurs valeurs, les sénateurs de mon groupe ont exprimé un vote négatif sur l’ensemble des dispositions qui forment le présent projet de loi. Ils entendent s’associer pleinement à tout recours formé à son encontre devant le Conseil constitutionnel.

Je vous prie de croire, madame la présidente, en l’expression de ma plus haute considération."

Michel Billout
Sénateur de Seine-et-Marne
Maire de Nangis

Michel Billout

Ancien sénateur de Seine-et-Marne
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