Michel Billout répond à RESF 77 et à la Ligue des droits de l’Homme 77 sur la nécéssité de réformer la politique d’immigration de la France

Publié le 9 juillet 2012 à 14:57 Mise à jour le 8 avril 2015

Cher Monsieur

J’ai lu avec attention votre courrier.(voir en bas de cette page) Vous connaissez mon engagement sur ces questions, et notamment mon soutien au respect et à la défense des droits des étrangers et de leur famille en Seine-et-Marne comme ailleurs.

Je partage complètement votre sentiment concernant la nécessité de réformer en profondeur notre politique d’immigration. Le groupe communiste, républicain et citoyen, dont je suis membre, a demandé le 29 mai dernier à rencontrer le nouveau ministre de l’Intérieur, Monsieur Vals, pour débattre d’éléments que pourraient contenir cette réforme. Nous avons à ce titre souligné, dans notre courrier au ministre, l’amalgame insupportable et la stigmatisation que représentait jusqu’ici le rattachement de l’immigration et de l’asile au ministère de l’intérieur. Nous souhaitons, comme vous, qu’il soit mis fin à l’amalgame entre insécurité et immigration...

Cette réforme est indispensable car depuis 2002, les nombreuses lois qui ont été adoptées, sous les gouvernements successifs de droite, et contre lesquelles je me suis opposé avec mes collègues, ont visé à restreindre les droits des étrangers. Toutes ces réformes ont abouti à un empilement de textes sans qu’aucun bilan ni aucune évaluation quant à l’application effective des lois n’ait jamais été effectué.

Cette inflation législative traduit en réalité l’obsession de la droite, durant ces dix dernières années, à procéder au démantèlement du statut des étrangers, n’hésitant pas au passage à stigmatiser et criminaliser les populations étrangères, voire celles issues de l’immigration, ainsi qu’à remettre en cause les grands principes contenus dans notre Constitution, dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme et, dans des textes internationaux ratifiés par la France.

On est ainsi passé de l’immigration soi-disant « subie » qui concerne l’immigration familiale (droit au séjour par le mariage, regroupement familial) à une immigration « choisie » (par le travail). Au nom de cette immigration choisie, de nouvelles régressions ont été adoptées concernant des droits et des libertés qui ont pourtant une valeur constitutionnelle comme le respect de la vie privée, le droit à mener une vie familiale, l’intérêt supérieur de l’enfant, la dignité, le droit d’asile...

Cette politique absurde est à l’origine de situations dramatiques : multiplication des contrôles au faciès, placement en centre de rétention administrative de parents accompagnés de leurs enfants, de leurs nourrissons, hausse du nombre de personnes devenues sans papiers à la suite du durcissement des conditions requises pour l’obtention ou le renouvellement d’un titre de séjour, poursuites judiciaires pour délit de solidarité ou entrave à la circulation d’un aéronef...

A ce sujet, la décision définitive rendue jeudi 4 juillet dernier par la chambre civile de la Cour de cassation va dans le bon sens : il n’est plus possible de placer en garde à vue un étranger pour la seule raison qu’il est en séjour irrégulier. Je me réjouis de cette décision qui retient la logique communautaire en faisant abstraction du droit interne contraire au respect des droits fondamentaux inhérents à toute personne. Reste désormais au législateur d’aller au bout de cette logique en supprimant purement et simplement de notre ordonnancement juridique le délit de séjour irrégulier prévu à l’article L.621-1 du CESEDA. Tel est l’objet de la proposition de loi n° 585, déposée il y a quelques jours au Sénat par mon groupe parlementaire, qui prévoit par ailleurs la suppression du délit de solidarité.

Cette politique a également engendré la précarisation d’un grand nombre de personnes étrangères et en a plongé d’autres dans l’irrégularité et l’insécurité administrative, économique et sociale. En effet, en rendant optionnelle la délivrance de la carte de résident, en faisant disparaître la possibilité de régulariser des étrangers présents en France depuis plus de 10 ans, en allongeant systématiquement tous les délais requis pour obtenir un titre de séjour en raison du mariage, d’une naissance, du regroupement familial, en augmentant les possibilités de retrait de titre de séjour, en exigeant un visa long séjour pour les conjoints de Français, en durcissant les conditions de ressources et de logement en ce qui concerne le regroupement familial, ces lois ont créé de nouveaux cas de sans-papiers et des situations administratives inextricables.

Les droits des étrangers placés en centre de rétention ont également été restreints : augmentation de la durée d’enfermement jusqu’à 45 jours qui est une mesure disproportionnée et inutile par rapport au but recherché, report de l’intervention du JLD dans les CRA, limitation des possibilités pour le JLD d’effectuer des recours pour irrégularité contre des décisions de placement en rétention et d’expulsion, renforcement des pouvoirs accordés à l’administration au détriment du pouvoir de contrôle du juge judiciaire pourtant garant de la liberté individuelle, absence du caractère suspensif en cas de recours, bannissement du territoire français, etc.

À cela s’ajoute la multiplication des obstacles, notamment financiers, à la délivrance et au renouvellement des titres de séjour, à l’intégration des étrangers ainsi qu’à l’accès à la nationalité. Je ne détaille pas ces points, votre courrier les explicite de manière très précise et documentée.
Vous l’aurez compris, j’estime que la politique menée dans ce domaine en France, depuis dix ans, est inhumaine, inefficace, stigmatisante, idéologiquement dangereuse et contraire aux droits de l’Homme.

Je pense, a contrario de ce qui a été porté par la droite et le Front National depuis des années, que l’immigration a été et reste un facteur de développement pour notre pays.

Membre de la commission des affaire étrangères, je souhaite que mon pays apporte son soutien à un nouveau type de développement (souveraineté alimentaire, contrôle et taxation des mouvements de capitaux, annulation de la dette, augmentation du budget national d’aide au développement pour le porter à 1 % du PIB...) dans les pays d’émigration.

C’est pourquoi l’ensemble des élus de mon groupe parlementaire a déposé, le 5 juin dernier devant le bureau du sénat, une proposition de résolution, demandant au Gouvernement d’engager rapidement une réforme en profondeur de la politique de l’immigration qui soit plus juste, plus digne et plus respectueuse des engagements de notre pays tant du point de vue interne qu’au plan international.

Au delà de ce travail législatif, particulièrement attentif à la question des droits de l’homme à l’international comme dans mon propre département, vous pouvez compter sur mon engagement et ma détermination pour défendre ces principes auprès du gouvernement et dans les débats du parlement lorsque la loi sur le CESEDA viendra en discussion au Sénat.

je vous prie de croire, cher Monsieur, à l’assurance de ma considération distinguée.

Lettre aux parlementaires

Michel Billout

Ancien sénateur de Seine-et-Marne
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