Acte 3 de la décentralisation : Michel Billout décrypte les 3 textes gouvernementaux

Publié le 24 avril 2013 à 16:22 Mise à jour le 8 avril 2015

Le 24 avril 2013, Michel Billout est intervenu lors d’une réunion avec des élus Seine et Marnais pour décrypter les trois textes gouvernementaux concernant l’acte 3 de la décentralisation et ses conséquences en région Ile de France.

Depuis le Conseil des ministres du 10 avril, on peut dire que les choses se sont clarifiées en ce qui concerne l’acte 3 de la décentralisation. En effet, contrairement à ce qui était attendu, il n’y aura pas un grand texte de loi de plus de 125 articles, sur l’action publique et la décentralisation, mais trois textes qui seront examinés séparément et leur passage en séance sera échelonné dans le temps.

L’ensemble compte désormais plus de 145 articles.

Aux dernières nouvelles, le premier texte dit « sur les Métropoles » devrait venir au sénat dès la fin mai, le second sur les régions au cours du dernier trimestre et le troisième sur les communes et les intercommunalités au premier trimestre 2014, avant ou après les municipales.

Cependant beaucoup s’accordent pour dire que ce planning est impossible. Une chose est donc sur, les prochaines municipales vont se dérouler dans un climat d’insécurité juridique sur les compétences des communes et donc leur avenir. En effet il n’est pas assuré que les engagements qui seront pris par les équipes municipales pourront être mis en œuvre, étant donné que les compétences des communes seront transformées après les élections. Aussi d’une façon ou d’une autre le débat sur la place des communes et sur l’intercommunalité sera au cœur des débats de la campagne électorale des élections municipales.

Revenons maintenant aux textes

Sous réserve d’une lecture plus attentive, il semble que ces trois textes reprennent l’ensemble des préconisations contenues auparavant dans le texte initial transmis au Conseil d’Etat. Les objectifs sont donc maintenus et les mesures annoncées aussi, quoiqu’il semble qu’il y ait quelques aménagements.

Avant d’en venir directement au décryptage de la loi concernant les aspects spécifiques pour la région Ile de France, permettez que je rappelle brièvement les autres aspects des lois à venir qui auront des répercussions sur l’ensemble des collectivités territoriales de la région et qui auront de ce fait une influence sur l’ensemble du montage institutionnel la concernant.

Il y a bien sûr l’énoncé de deux nouveaux principes de droit public qui auront des conséquences directes sur les compétences de l’ensemble des collectivités territoriales et sur l’application des lois.

Notons d’abord celui de la libre coordination des politiques publiques.
En effet il est prévu qu’au niveau régional, au sein des conférences territoriales de l’action publique, les transferts de compétences de l’Etat puissent être négociés région par région, en coordonnent leurs interventions avec celles de l’Etat. Par ailleurs au sein de ces conférences, les collectivités territoriales organiseront librement les modalités d’exercice de leurs compétences dans le cadre d’un pacte de gouvernance territoriale.
Ainsi d’une région à l’autre les compétences de telles ou telles collectivités pourront ne pas être les mêmes, sauf bien sur pour les compétences dont un chef de file est désigné dans la loi.

Le second principe, qui n’est pas dans le premier texte, mais dans le troisième, est significatif de l’objectif poursuivit. Il consiste à donner au pouvoir réglementaire, la capacité d’introduire la proportionnalité des normes concernant les collectivités. Autrement dit, les modalités d’application de la loi pourront être à géométrie variable selon les territoires, en fonction de critères dits objectifs dont leur capacité financière.

En région Ile de France il y aura donc une conférence territoriale de l’action publique et répartition des compétences entre les divers collectivités territoriales et les EPCI, dans le cadre du pacte de gouvernance.
Ce pacte de gouvernance prendra la forme de schémas régionaux prescriptifs, pour toutes les collectivités souhaitant disposer de financements croisés pour mener à bien leurs projets. Notons au passage que la chambre régionale des comptes évaluera ce pacte, au regard de l’économie des moyens.
C’est dire l’objectif sous jacent de réduction de la dépenses publique.

Par ailleurs ici comme ailleurs la région va récupérer, dans le cadre d’un autre texte examiné avant la fin de l’année, l’ensemble de la compétence développement économique, la formation professionnelle, l’orientation.
Mais d’ores et déjà, le premier texte prévoit qu’il n’y aura plus qu’un seul établissement public foncier par région.

Les départements se verront eux dévolue, plus tard, les compétences handicap et réseaux numériques. Ils auront par ailleurs la charge avec l’Etat de mettre en place un schéma d’amélioration de l’accessibilité des services au public sur le territoire du département et élargiront leur champ d’intervention en matière d’assistance technique aux communes.

Quant aux communes il leur sera transféré, dès le premier texte de loi, la police de la circulation en dehors des agglomérations et plus tard les compétences milieux aquatiques, la qualité de l’air et la transition écologique en matière de mobilité durable. Elles sont cependant désignées chef de fil sur ces deux dernières compétences dès le premier texte, alors que ces compétences ne leur seront transférées que dans le troisième. Passons

Cependant pour ces dernières il leur sera surtout imposé de transférer à leur intercommunalité un plus grand nombre de compétences.
Elles perdront aussi la compétence PLU et assainissement collectif avec le 3e projet de loi, celui-ci ne parlant plus de coopération dans le domaine de l’intercommunalité, mais d’intégration. La chose devient donc claire.

Plus qu’un projet de décentralisation c’est bien un projet de concentration des pouvoirs locaux privilégiant deux niveaux ; la région et l’interco de plus en plus considéree comme une collectivité territoriale de plein exercice.
D’ailleurs la loi sur les modes d’élections prévoit, dans le prolongement de la loi de 2010, que les délégués des conseils municipaux au sein des assemblées communautaires seront élus au suffrage universel direct.

Cette intégration au sein d’intercommunalité est le premier chapitre des mesures spécifiques concernant notre région. Alors que partout en France le seuil minimum d’une intercommunalité est de 5 000 habitants, dans notre région ce sera 300 000 dans les départements du Val de Marne, de la Seine Saint Denis et des Hauts de seine.
Dans les autres départements, les Yvelines, l’Essonne, la Seine et Marne et le Val d’Oise, c’est plus compliqué. Si les intercos intègrent des communes des départements de la petite couronne, l’interco devra faire 300 000 habitants.
Si le siège de l’interco se situe dans une commune faisant partie de l’unité urbaine, le seuil sera cette fois de 200 000. Pour le reste de leur territoire, les règles nationales issues de la loi de 2010 semble s’appliquées.

Sur le type d’intercommunalité possible, il leur est seulement interdit de former des métropoles, le choix des autres types d’intercos semble possible.
Cependant, dans la zone dite de l’unité urbaine de Paris, ces intercos étant très étroitement liées à la future métropole de Paris, il me semble que le schéma régional, concocté par les préfets, privilégiera un statut unique de communauté, pour que tous disposent des mêmes compétences qui leur auront été transférées de façon obligatoire et tendra vers des propositions de choix communs en matière de compétences facultatives.

Une telle unicité des compétences sera sans doute recherchée pour qu’ensuite ces intercos puissent transférer une partie de leurs compétences à la métropole.
Dans ce domaine il faut savoir que les communautés de communes verront, dans le cadre du troisième texte, leur nombre de compétences obligatoires passé de 2 à 5 et leurs compétences optionnelles de 1 sur 6 à 3 sur 7.

Pour les communautés d’agglos il y aura 5 compétences obligatoires supplémentaires : la promotion du tourisme, la gestion des milieux aquatiques, l’accueil des gens du voyage, l’assainissement et la création d’espaces mutualisés de service au public.

Pour les communautés urbaines il y aura, dès le premier texte, 4 compétences obligatoires supplémentaires. Ce sont les mêmes que pour les agglos que je viens de donner, sauf l’assainissement qui leur est déjà transféré.
Sur ce chapitre des intercos, notons par ailleurs, que le projet de loi renforce la nécessité des transferts de personnels des communes vers les intercos dans le cadre d’un transfert de compétence.

D’autre part malgré les modifications apportées au projet de loi, en le divisant en trois textes et en échelonnant son application, notons tout de même que si le planning est respecté, l’ensemble des nouvelles compétences des intercos sera en place lorsque les EPCI d’ile de France et la Métropole de Paris se mettront en place.

En effet je rappellerais les dates de mise en œuvre de cet achèvement et de cette rationalisation de la carte intercommunale en Ile de France.
- Présentation du schéma régional de coopération intercommunale, avant le 1er septembre 2014 pour une adoption avant le 28 février 2015.

  • La création des nouveaux Epci pourra alors être prononcée par arrêté avant le 31 décembre 2015, pour une installation dès janvier 2016.

L’autre spécificité de la loi concernant notre région concerne bien entendu la création d’un nouvel établissement publique « la Métropole de Paris », qui est dans le premier texte qui devrait être examiné fin mai.
Institué au 1er janvier 2016, elle est composée de la Mairie de Paris et des EPCI inscrits dans le périmètre de l’unité urbaine de Paris.
A ce propos une remarque s’impose. Il ne faut pas confondre l’unité urbaine avec l’aire urbaine qui est bien plus large, dépassant en certain endroits le territoire régional.
L’unité urbaine, est plus large que les départements de la petite couronne. Elle comporte 412 communes, dont 288 des départements de la grande couronne et rassemble 10 300 000 habitants, dont 2 millions de parisiens, soit 8 millions de dits « banlieusards ».
La mission de la Métropole est de définir et mettre en œuvre un projet métropolitain pour promouvoir un modèle de développement durable et améliorer la compétitivité et l’attractivité de son territoire.
Pour y parvenir, les membres de la Métropole doivent se prononcer, par délibérations concordantes, sur l’intérêt métropolitain des actions qu’ils transfèrent à la « Métropole de Paris ».
C’est dire l’importance que tous ces Epci disposent des mêmes compétences, soit donc de même nature, comme nous venons de le voir.
Elle dispose par ailleurs de compétences propres.
D’abord en matière d’aménagement pour mener des opérations d’aménagement d’intérêt métropolitain et financer des équipements publics accompagnant des programmes de logement
Puis dans le domaine du logement en mettant en place un Plan de l’habitat et de l’hébergement compatible avec le SDRIF. Les PLH, les CDT, les SCOT, et les PLU devront alors être compatibles avec ce plan.
Elle doit par ailleurs participer aux actions dans le cadre de la transition énergétique. Mais il n’y a pas plus de précision sur ce chapitre.
Elle intervient aussi dans le domaine de l’urgence sociale avec un plan pluriannuel de réalisation de places d’accueil et de services associés, en faveur de l’insertion des personnes vulnérables.
Enfin elle devra rationaliser les outils d’aménagement existant sur son périmètre et les syndicats qui interviennent dans les domaines de l’environnement et de l’énergie. Par ailleurs, elle pourra recevoir délégation de l’Etat, pour l’attribution des aides à la pierre, la gestion des réservations de logements, la gestion de la garantie du droit au logement et la gestion de l’hébergement d’urgence. Pour les ressources de cette métropole, le projet est pour le moins peu disert. Il prévoit des versements par ses membres, sans en définir le type, ni les modalités. Il prévoit une dotation de fonctionnement, sans préciser son origine. Il est enfin fait mention d’un fonds d’investissements métropolitains sans plus de précisions.

L’administration de cette métropole serait composée de 4 structures.
D’abord, une assemblée délibérante  : Le conseil métropolitain, composé du maire de Paris, et des présidents des Epci de l’unité urbaine de Paris. Le président de la métropole serait élu en son sein.
Puis il y aurait 3 structures consultatives et participatives.
La Conférence métropolitaine, composée des membres du conseil métropolitain, du président du conseil régional et des présidents des conseils généraux, pour coordonner leurs actions
Puis l’assemblée des Maires, soit les 412 de l’unité urbaine, qui se réunirait une fois par an.
Enfin un Conseil de développement.
Voici dresser rapidement ce qu’il faut retenir à grand traits du contenu de ce projet de loi concernant la métropole.

Il reste à signaler 4 autres mesures spécifiques qui ne concernent que la région Ile de France.

La première traite du logement.

Le conseil régional devra élaborer un schéma régional de l’habitat et de l’hébergement qui fixera notamment les objectifs globaux et leurs déclinaisons territoriales en matière de construction et de rénovation de logements.

La deuxième crée un Fonds de solidarité pour les départements d’Ile de France, de 60 millions d’euros, alimenté par des prélèvements sur les ressources des départements de la région, qui leur est ensuite redistribué. Bénéficient d’une attribution, les départements de la région dont l’indice calculé est supérieur à l’indice médian.

La troisième mesure concerne la coordination du STIF et de la SGP. Elle renforce la place du STIF qui veille à la cohérence des investissements, assure la maîtrise d’ouvrage de projets d’infrastructures, dans la limite des compétences reconnues à RFF et à la SGP. Le Stif est par ailleurs associé à l’élaboration des dossiers d’enquête publique, des documents de maîtrise d’ouvrage, et au processus d’acquisition des matériels, dans le cadre du GPE.
Pour terminer, les dernières mesures spécifiques à la région sont des dispositions relatives au site de La Défense. Je ne m’étendrais pas sur celles-ci du fait de leur grande spécificité et j’arrête là mon décryptage.

Pour finir,, qu’il me soit permis de soulever quelques questions.

Si ces textes sont présentés comme des lois de décentralisation…la question de leur vrai nature me semble devoir être posée. En effet, il me semble que ce sont plutôt des textes qui concentrent les pouvoirs locaux au niveau régional et/ou métropolitain, suivant les lieux, et au niveau intercommunal.
Ils sont problématique au regard du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriale.

Quant à leur autonomie financière et fiscale il n’y a rien qui remette en cause les mesures prises par les anciens gouvernements qui la réduisait.
Avec l’affirmation des principes de coordination des politiques publiques avec l’Etat, région par région et de répartition des compétences au sein du pacte de gouvernance propre à chaque région, ainsi qu’avec la proportionnalité dans l’application des normes, ce sont les principes d’unicité de la République et d’égalité des citoyens devant la loi qui me semble remis en cause.
Enfin avec le pacte de gouvernance et les chefs de file imposés, c’est le principe constitutionnel de non tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre qui est pour le moins questionné.

Je n’en dirais pas plus ayant déjà été trop long.

Michel Billout

Ancien sénateur de Seine-et-Marne
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