Nous assistons à une grande entreprise de destruction. Vous voilà attelés à des chantiers bien dangereux -casse des solidarités, destruction de la protection sociale, anéantissement du code du travail- avec pour objectif l’avènement d’un contrat antisocial prônant l’individualisme et la course au profit. Vous en oubliez qu’il existe des principes fondamentaux qui viennent contrecarrer vos projets. Ainsi du Contrat première embauche, que vous avez défendu envers et contre tous mais qu’une décision de justice a considéré comme contraire à la résolution 158 de l’Organisation Internationale du Travail. Ou de la décision du Conseil constitutionnel qui, en matière de protection des droits fondamentaux, a depuis longtemps posé le principe du « cliquet anti-retour ».
La décision du 29 juillet 1986 précise que le pouvoir du législateur « ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ». Depuis la décision du Conseil constitutionnel « liberté d’association », le préambule de la Constitution de 1946, créateur de nombreux droits sociaux, a valeur constitutionnelle. Une simple loi ne peut amputer le caractère fondamental de ces principes, dont le droit à la santé, inscrit au onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Dans l’esprit des constitutionalistes de l’après-guerre, il s’agissait d’accorder à tous le bénéfice d’une médecine qui ne distinguerait plus ses bénéficiaires selon leurs ressources. Ce principe a été confirmé par de nombreuses décisions. Celle du 27 janvier 1990 énonce que l’action du législateur doit « fixer des règles appropriées tendant à la réalisation de l’objectif [de protection de la santé] défini par le Préambule ». Plus récemment, l’arrêt du 12 décembre 2002 relatif à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 a énoncé que le tarif forfaitaire de responsabilité de la sécurité sociale devait être fixé « de telle façon que ne soient pas remises en cause les exigences du onzième alinéa du Préambule de la constitution de 1946 ». En voulant imposer des franchises médicales à la population, vous contrevenez à cet alinéa, en vertu duquel « la Nation garantit à tous la protection de la santé ».
La sécurité sociale pose le principe de la participation en raison de ses revenus, de la satisfaction en fonction des besoins. Avec une franchise prétendument fixée à 50 euros, vous faites payer cher au malade sa situation. Cela aura pour conséquence d’éloigner les familles les plus modestes du dispositif de santé -sans compter le reste à charge et les dépassements d’honoraires pratiqués par d’indélicats professionnels de santé, pratique très éloignée de leur code de déontologie, et le passage au financement à 100 % des hôpitaux à l’activité. Certains actes peu rentables, que les cliniques privées se refusent à pratiquer, sont heureusement effectués à l’hôpital. Mais demain, cela sera-t-il encore le cas ? Pouvez-vous affirmer que les hôpitaux, désormais soumis aux mêmes règles que les cliniques, pourront continuer à pratiquer des soins qui coûtent plus qu’ils ne rapportent ? 30 % de nos concitoyens renoncent à accomplir certains actes très coûteux, tels les soins dentaires. Ce pourcentage s’accroît pour les bénéficiaires de l’aide médicale d’Etat qui se voient imposer trois mois de carence alors qu’une prise en charge rapide des besoins de santé est de nature à assurer à tous un haut niveau de qualité. Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne répond pas à ces exigences ; pire, il les attaque.
Votre obsession : réduire la dépense publique. Pour le Président de la République, anxieux de satisfaire les désirs du Medef, fût-ce au prix du sacrifice des principes d’équilibre et de sincérité, la fin justifie les moyens.
Comment ne pas croire que le déficit est sciemment entretenu ? Vous ne tirez aucune leçon de la déroute de la réforme de MM. Douste-Blazy et Bertrand, qui nous annonçaient un retour à l’équilibre. Avec un déficit de plus de 12 milliard, nous en sommes loin ! Mais loin de changer d’orientation, vous maintenez le cap : culpabilisation des assurés sociaux, aggravation des franchises, poursuite des exonérations de charges sociales, dont près de 350 millions cet été avec l’adoption du projet de loi en faveur du temps de travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat.
Et comment le déficit pourrait-il diminuer, quand les estimations les plus favorables placent encore la sécurité sociale dans le rouge, alors qu’elles se fondent sur un Ondam à 1 % -quand il n’est jamais descendu en dessous de 2 %- et une croissance supérieure à 3 % ! La Cour des comptes annonçait récemment qu’il faudrait 40 milliards pour financer les déficits sociaux. Où prétendez-vous les trouver ? Dans la taxation des malades et des préretraités !
Pourtant, l’argent est là qui pourrait financer un régime de protection solidaire. Un exemple ? Les 850 millions -même si, pour bon nombre d’économistes, les économies réalisées seraient plus proches de 650 millions- du Fonds d’amélioration de la qualité de la vie. Et que dire de la faible taxation des stock-options à laquelle vous avez finalement consenti : 2,5 %, alors que les préretraites sont taxées à 7,5 % ? Pourtant, le candidat Sarkozy avait promis, à la suite du scandale EADS, de moraliser les pratiques des grands patrons. Engagement vite oublié ! Au point qu’il aura fallu un amendement de M. Bur, rapporteur pour avis à l’Assemblée nationale, pour que la taxation des stock-options apparaisse dans ce texte. Mais avec un produit de 400 millions, nous sommes loin des 3 milliards dont parlait la Cour des comptes.
Pour nous, le doute n’est pas permis. C’est volontairement que vous appauvrissez la sécurité sociale. (Mme la ministre proteste) Sachez que nos concitoyens, attachés à leur régime de protection sociale, ne se laisseront pas dessaisir. Pour justifier l’injustifiable, vous usez d’artifices destinés à maintenir les comptes dans le rouge. L’équilibre, qui devrait être un objectif, est pour vous un handicap : il mettrait en échec votre projet d’individualisation de la protection sociale sur fonds privés. La casse ne peut réussir que si la sécurité sociale se porte mal ! Inutile de dire que vous n’entendrez pas nos propositions, qui visent à financer durablement notre protection sociale par la taxation des revenus financiers et spéculatifs des banques et des entreprises et que vous poursuivrez votre politiques de cadeaux fiscaux et d’exonérations N’a-t-on pas entendu le Président de la République, le 6 novembre, proposer d’exonérer les marins-pêcheurs de cotisations salariales et patronales pour remédier à la crise du secteur ? Cela viendrait modifier, M. Sarkozy en ayant lui-même estimé le coût à 21 millions par semestre, la partie recettes de ce projet. Le Conseil d’administration de la CNAV a dénoncé à l’unanimité cette proposition estimant que « les cotisations sociales ne doivent pas servir de variable d’ajustement au règlement des conflits sociaux ou des difficultés économiques rencontrées par certaines entreprises ou professions ». Si cette mesure devait se confirmer avant l’adoption de ce projet par notre assemblée, alors le texte sur lequel nous débattrons, sera radicalement différent dans sa partie recettes de celui qui a été adopté à l’Assemblée Nationale. Si elle devait se concrétiser après son adoption, alors la durée de vie de votre loi n’aura été que de quelques heures... Nous ne serions pas surpris que vous ayez inventé le projet de loi de financement de la sécurité sociale à durée déterminée : un texte qui ne doit durer que jusqu’aux élections municipales. C’est pourquoi nous invitons tous ceux qui sont attachés au principe du droit à la santé pour tous à voter notre motion.