En 2010, mon groupe et moi-même, déposions cette proposition, en réaction il faut l’avouer, à l’annonce faite par l’entreprise Total, de la suppression de quelques 555 emplois alors qu’elle venait d’annoncer avoir réalisé un bénéfice confortable de 14 milliards d’euros. Ce qui nous a particulièrement choqués, c’est que, de l’aveu même de la direction de cette entreprise, près de la moitié de ces gains allaient être reversés aux actionnaires.
Depuis, force est de constater que le nombre de licenciements boursiers s’est multiplié. Tous les parlementaires peuvent se faire l’écho sur leur territoire, d’une entreprise qui ferme ou licencie, alors qu’elle est rentable, mais surtout, et c’est cela le plus choquant, alors qu’elle distribue d’importants et confortables dividendes aux actionnaires.
Historiquement, les dividendes constituent une forme de rémunération à destination des actionnaires pour compenser le risque qu’ils ont pris en investissant dans une entreprise et dans un parcours industriel. Cela est de moins en moins vrai puisqu’en y regardant de plus près, on se rend compte que ce ne sont plus les actionnaires qui prennent les risques. Il y a eu un transfert de risque qui pèse aujourd’hui essentiellement sur les salariés.
Dominique Plihon - professeur d’économie financière à l’Université Paris XIII et par ailleurs président du conseil scientifique de l’association Attac – en a parfaitement fait la démonstration dans son ouvrage paru en 2001, intitulé « Le nouveau capitalisme ». Selon lui, analyse que nous partageons, la flexibilité du travail est une conséquence logique de la flexibilité plus grande du capital et conduit donc, mécaniquement à un transfert de risques sur les travailleurs. Puisqu’au final, en cas de difficulté, c’est toujours les salariés qui sont appelés à en payer les frais, soit par une précarisation de leurs conditions de travail, soit tout simplement, par le leur licenciement.
Or ces licenciements sont systématiquement présentés comme des licenciements pour motif économique. Les juges ne disposant pas légalement, de la possibilité de vérifier la réalité du caractère économique des licenciements. Ces derniers dissimulent donc souvent des licenciements boursiers au sens ou nous l’entendons. A savoir : des licenciements procédés alors que les entreprises en question distribuent des dividendes à leurs actionnaires.
Cette situation n’est supportable ni socialement, ni économiquement, ni humainement. Comment accepter aujourd’hui, alors que ce sont chaque jour plus de 1000 salariés nouveaux qui s’inscrivent à « Pôle-Emploi », que des salariés soient licenciés, dans le seul but de maintenir ou d’augmenter les rémunérations versées aux actionnaires ? Comment accepter que les pouvoirs publics financent, avec les prestations sociales et solidaires, des stratégies d’entreprises qui bénéficient à la minorité que constituent les actionnaires. Comment admettre que l’appétit des actionnaires puisse déboucher au final sur des destructions massives d’emplois, la disparition d’usines et de compétences ?
Au groupe CRC, nous ne le pouvons pas et nous tenons à réaffirmer que nous avons une toute autre conception de l’argent et de l’utilisation des richesses produites par les salariés.
Il s’agit clairement, et nous n’avons pas peur de le dire, d’inverser la logique actuelle qui veut que les salariés soient toujours les premiers sacrifiés. Si les entreprises disposent de suffisamment de ressources financières pour rémunérer le capital, alors il faut capter cet argent et le diriger en direction de l’investissement et du maintien de l’emploi.
C’est le sens de notre proposition de loi. Ne pouvant rester plus longtemps parmi vous, puisque je suis appelée à présider la commission des affaires sociales, je laisse la parole à mon collègue Dominique WATRIN, sénateur du Pas-de-Calais et par ailleurs rapporteur de celle-ci, pour qu’il vous la présente et réponde, le cas échéant, à vos questions.