Rencontre sur les questions pénitentiaires

Publié le 7 janvier 2004 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

Introduction de Robert Bret à l’occasion d’une réunion de travail qui s’est tenue au Sénat
le mercredi 7 janvier 2004
sur les questions pénitentiaires
sous la Présidence de Nicole BORVO et avec la participation de Paul LORIDANT, auteur du rapport “ Le travail à la peine ”

Étaient présents :

Mme BARDET (Association Française de Criminologie) ; M. BARLET (ACAT-France) ; M. BRAULT (Secrétaire Général du Syndicat de la Magistrature) ; M. Guy-Bernard BUSSON (Président de la FARAPEJ) ; M. CARLIER (Observatoire International des Prisons) ; Mme EVRARD (LDH) ; M. FOURNIER (SNEPAP FSU) ; M. JOSEPH (Président du Syndicat des Avocats de France) ; M. LEMOINE (UGSP CGT) ; M. MALBERG (Commission Justice du PCF) ; M. MOUESCA ; M. MOUTIN ( Psychiatre criminologue) ; M. NATALI (Vice-Pdt de la Conférence des Bâtonniers) ; M. POUPONNOT (UGSP CGT) ; Mme SIEFERT(SNEPAP FSU) ; Mme SIRE-MARIN (Présidente du Syndicat de la Magistrature) ; M. THIEDEY (Association Française de Criminologie) ; M. TOURNIER (Président de l’Association Française de Criminologie) ; Mme VIEU-CHARRIER (Commission Justice du PCF) ; M. WLOSS (PCF).

Mesdames, Messieurs,
Cher(e)s ami(e)s,

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd’hui pour cette réunion qui revêt pour moi comme pour vous je pense une grande importance et vous remercie vivement d’avoir répondu aussi nombreux présent à notre invitation.

Je voudrais, par ailleurs, excuser Madame Martine Herzog-Evans, Maître de Conférence de Droit, Chercheur de l’Université, M. Gilles Sainati, Magistrat, M. Patrice Simonnet, Éducateur, M. Loïc Dusseau, Président de l’UJA, M. Daumas (Directeur Régional PJJ), Mme Laganier (Mission Justice FNARS), qui n’ont malheureusement pas pu venir nous rejoindre.

Avec cette réunion, nous souhaitons donc relancer le débat sur la question des établissements pénitentiaires français notamment au regard des conditions de détention qui les caractérisent et, ceci à un moment où le contexte - pourtant favorable hier - est devenu, vous en conviendrez, beaucoup moins propice.

Malgré les événements qui ont marqué l’année 2000, force est de constater trois années plus tard, que non seulement rien n’a changé mais que de surcroît la situation s’est empirée avec la politique pénale mise en place par le gouvernement Raffarin depuis mai 2002.

Pourtant, les enquêtes parlementaires ont clairement conclu qu’il était urgent d’incarcérer moins pour incarcérer mieux, de s’interroger sur le sens de la peine, sur qui mettre en prison, et de réfléchir aux alternatives à l’incarcération, aux libérations conditionnelles, à la détention provisoire, à la gestion des longues peines, à la future réinsertion des détenus, à la lutte contre la récidive, contre les suicides en prison et j’en passe.

A l’évidence, le contexte alors propice à une réforme pénitentiaire - qui n’a hélas jamais vu le jour ! - a sensiblement changé.
En effet, depuis notamment les événements du 11 septembre 2001 nous assistons à une inquiétante évolution sécuritaire tant au plan européen et international avec une nette propension à la restriction des libertés individuelles et publiques qu’au plan national avec les dispositions contenues dans la loi « sécurité quotidienne », destinées soi-disant à lutter contre le terrorisme.

Quant aux dernières élections présidentielles et législatives, elles ont été largement dominées par le thème de l’insécurité et resteront marquées par la présence, inédite au second tour d’une élection présidentielle, d’un candidat FN.

Aujourd’hui, le gouvernement de droite, faisant fi du travail sérieux effectué par les parlementaires, toutes tendances confondues, a - singulièrement avec ses lois PERBEN/SARKOZY - pris l’exact contre-pied des conclusions et recommandations de ces derniers, dont l’actualité et la pertinence sont pourtant toujours de mise.

Tous ces textes législatifs se complètent ainsi à la perfection : durcissement du droit pénal en stigmatisant notamment les populations les plus fragilisées : jeunes, SDF, étrangers, prostituées ; renforcement de la répression des mineurs ; relance de la construction de prisons nouvelles ; regroupement des condamnés en fonction de leur dangerosité ; retour en arrière en ce qui concerne les mesures emblématiques de loi sur la présomption d’innocence ; etc.

Sans oublier, pour appliquer à la lettre cette politique sécuritaire, le bouleversement total de notre procédure pénale (Perben II) dont l’entrée en vigueur est proche (2ème lecture Sénat le 20 janvier) !

Ainsi se met peu à peu en place le projet de société tel que voulu par le gouvernement de droite pour les prochaines décennies.
Il s’agit, en effet, d’une véritable politique de répression, d’enfermement et d’exclusion sans aucun traitement social de fond de la délinquance alors que l’on sait que la délinquance prend racine dans l’aggravation des inégalités sociales : avec d’un côté la marginalisation, la précarisation, la dégradation de l’habitat, l’échec scolaire, la mal-vie, et de l’autre l’accumulation des richesses.

L’insécurité a- t-elle pris une dimension aussi considérable pour arriver à prendre des mesures aussi sécuritaires ? Je ne le pense pas.
Je pense au contraire qu’il convient de replacer les questions sécuritaires à leur juste place dans l’échelle des problèmes de notre société, à savoir notamment derrière le chômage et les inégalités sociales.

La première des insécurités n’est-elle pas, en effet, avant tout économique et sociale ? Ne rime-t-elle pas essentiellement avec chômage, licenciements, habitat dégradé, échec scolaire ?

Or, la société continue de produire des inégalités et de l’exclusion qui s’accentuent avec les réformes gouvernementales : suppression des emplois-jeunes, diminution du nombre des surveillants de collèges, réforme des retraites, décentralisation, remise en cause de la solidarité nationale dans le financement de la sécurité sociale …

Dans un contexte où la conjoncture économique et sociale ne cesse de se détériorer, il n’est pas étonnant dès lors que la répression apparaisse pour le gouvernement comme le corollaire indispensable à la mise en œuvre de sa politique ultra-libérale.
N’est-ce pas également un moyen de faire taire toute forme d’expression contestataire ?

La criminalisation rampante de l’activité syndicale est un exemple évocateur de la restriction de la liberté d’expression et d’opinion à laquelle nous assistons dans ce pays.
Alors que les populations visées par la loi Sarkozy nécessitent avant tout des réponses sociales, le gouvernement a décidé que ce serait par la voie pénale qu’il faut s’occuper des populations dites « à problèmes », c’est-à-dire notamment celles qui ne se soumettent pas docilement à l’impératif du travail flexible.

Le choix de la voie répressive, en se trompant de cibles et d’objectifs et en stigmatisant certaine population et certains quartiers, va accentuer encore les problèmes.
C’est peu de dire que nous assistons à la mise en place d’une gestion sécuritaire et policière de l’État dont les fonctions régaliennes sont réduites à leur plus simple expression : police, défense et justice.

Le gouvernement s’enferre ainsi dans le tout sécuritaire, le tout carcéral, alors que ça n’a jamais donné de bons résultats en matière de lutte contre l’insécurité et de prévention de la délinquance et de la récidive.

Tant que la politique pénale du gouvernement ne changera pas radicalement de cap et restera axée sur la seule incarcération, les conditions de détention continueront de se détériorer tout comme les conditions de travail du personnel pénitentiaire, sans parler du nombre de suicides sans cesse croissant !

A cet égard, les constats dressés par l’Observatoire International des Prisons (OIP) en ce qui concerne les conditions de détention en France sur la période janvier 2002/juillet 2003, sont véritablement alarmants.

L’inflation carcérale s’explique par une pénalisation de plus en plus lourde qui trouve sa raison d’être dans la refonte globale de notre code pénal, entré en vigueur en 1994, qui a revu à la hausse l’échelle des peines et, plus récemment, dans les toutes récentes modifications législatives.

Tant qu’on n’aura pas révisé le système pénal français qui demeure essentiellement basé sur la répression, ignorant la prévention, la réinsertion et donc la lutte contre la récidive, les prisons ont, hélas, de beaux jours devant elles.

Par ailleurs, il faut noter un certain déplacement qui s’opère depuis le milieu - je dirai ordinaire - vers le milieu pénitentiaire de certaines catégories de populations comme les pauvres, les précaires, les exclus, les malades, les toxicomanes, les immigrés, les sans papiers etc. qui - bien que n’ayant pas forcément leur place en prison - contribuent néanmoins à la surpopulation carcérale.

Les rapports parlementaires ont pourtant pointé avec justesse l’inadaptation des peines de prison pour ces différentes catégories de personnes.

Pour ce qui est des infractions sanctionnées par de courte peine d’emprisonnement, les rapports parlementaires proposaient de favoriser tous les autres modes alternatifs à l’incarcération afin d’éviter le plus possible le contact avec le monde carcéral qui est davantage et au choix : une école de la récidive, un facteur déstabilisateur et aggravant.

Au-delà, la prison ne doit pas être considérée comme l’unique réponse à la délinquance mais plutôt comme un des éléments du système répressif à côté d’autres formes d’exécution de la peine. Elle ne doit plus être le référentiel d’exécution des peines.

Pour les peines de courte durée ou pour de petits reliquats, pourquoi ne pas énoncer clairement que la règle est une exécution de peine sous une forme aménagée (semi-liberté, libération conditionnelle, permissions de sortie, surveillance électronique sous certaines conditions etc.) ; l’enfermement sans aménagement devenant alors l’exception.

Par exemple, le recours à la libération conditionnelle, largement tombé en désuétude, mériterait d’être renforcé, comme le préconise le rapport Farge ou encore la recommandation adoptée le 24 septembre 2003 par le comité des ministres du Conseil de l’Europe sur la libération conditionnelle.

Ce dispositif permet en effet de préparer au mieux la sortie de prison et donc la réinsertion, notamment par l’élaboration d’un « projet de sortie » pour le détenu, au lieu que ce dernier attende passivement la date de sa sortie.

D’autre part, l’usage de la détention provisoire - selon qu’il est étendu ou restreint - est révélateur de la politique pénale mené par les pouvoirs publics.
La loi « présomption d’innocence » du 15 juin 2000 devait mettre un terme à l’exception française d’un usage abusif de la détention provisoire à la fois pour renforcer le principe de la présomption d’innocence et faire baisser le nombre de détenus, en attente de jugement, qui surpeuplent les maisons d’arrêt et où, a fortiori, les conditions de détention sont les plus difficiles.

Avant de repartir à la hausse, le nombre des détentions provisoires a - au cours des dix premiers mois de l’année 2001 et suite à l’application de la loi du 15/06/00 - connu une diminution.
Depuis, la loi du 4 mars 2002 est revenue partiellement sur les limitations des cas de détention provisoire de la loi du 15 juin 2000 tandis que les dispositions de la loi Perben du 9 septembre 2002 ont encore facilité le recours à la détention provisoire.

Il n’est pas étonnant dès lors que nos prisons battent, depuis plusieurs mois, des records en terme de surpopulation jamais égalés depuis la Libération (jusqu’à 62000 détenus pour 48000 places).
Il faut savoir, par ailleurs, que la durée moyenne de détention a quasiment doublé en vingt ans.

Malgré une diminution du nombre des entrées, les effectifs de la population carcérale ne baissent que lentement du fait de l’allongement de la durée de la peine.
Derrière les peines de type : réclusion criminelle à perpétuité, périodes de sûreté, peine incompressible de trente ans, se cache la problématique des longues peines et de l’échelle des peines. (Cf à cet égard la recommandation adoptée par le comité des ministres du Conseil de l’Europe le 9 octobre 2003, qui estime qu’une durée totale d’emprisonnement de cinq ou plus doit être considérée comme une longue peine).

Les longues peines sont inconciliables avec l’objectif de réinsertion. L’on sait, en effet, que jusqu’à 14 ou 15 ans de détention, la réinsertion est encore possible. Au-delà, elle s’avère plus difficile. Ce qui implique de revoir l’échelle des peines prévues dans notre code pénal et de préciser que l’énoncé des peines s’entend comme des maxima.

En Europe, la France est quasiment le seul pays à avoir instauré une période de sûreté. Or, nul n’a intérêt à ce que des gens restent 15 à 20 ans en prison : ni le détenu, ni l’ensemble de la société.

Cette politique pénale répressive explique le surpeuplement qui règne dans nos prisons et dont les conséquences sur les conditions de détention pour les personnes privées de liberté et de travail pour les personnels pénitentiaires sont désastreuses.

Lutter contre la surpopulation carcérale ne signifie pas uniquement construire de nouvelles prisons car qui dit nouveaux établissements dit tentation de les remplir.
Or, concentrer l’essentiel des crédits de l’administration pénitentiaire sur la construction de prisons, comme s’il s’agissait du remède miracle aux maux des prisons, c’est persister dans la voie du « tout-carcéral » qui n’est pas satisfaisant, quand bien même pour le justifier, on évoque l’encellulement individuel – prévu pour 2003 et repoussé à 2008 faute de moyens ! - et l’amélioration des conditions de détention et de travail des personnels.

Plutôt que d’investir dans les murs, mieux vaudrait investir en amont en terme de prévention ; à l’intérieur de la prison en terme de droits nouveaux pour les détenus mais aussi de devoirs, en terme également de reconnaissance des missions des personnels souvent difficiles et ingrates ; enfin après la prison, en terme de réinsertion pour éviter la récidive.
Il faut également investir dans le milieu ouvert qui présente le double avantage d’être moins coûteux et d’éviter ou d’écourter le contact avec le monde carcéral qui se révèle trop souvent criminogène.

Compte tenu de la situation actuelle des prisons, il n’y a pas de préparation à la sortie ni de réinsertion. On a affaire à des sorites sèches qui le plus souvent mènent à la récidive et donc au retour en prison.

La question de la réinsertion n’a de sens que si l’on se place du point de vue du sens de la peine. Aller vers la « prison utile » est une nécessité absolue. Donner un sens à la prison signifie permettre au détenu de sortir dans des conditions meilleures que celles dans lesquelles il est entré, avec en ligne de mire sa future (ré)insertion.

Pour ce faire, il est indispensable de mettre à profit le temps passé en prison pour former les individus qui ne le sont pas, soigner ceux qui en ont besoin, apprendre à lire et à écrire aux illettrés, sevrer les toxico-dépendants etc.
Se posent alors avec force les questions de la formation des personnels pénitentiaires ainsi que de leur rôle en terme de réinsertion pour prévenir la récidive et stopper la spirale infernale incarcération/sortie/incarcération.

Il convient, pour cela, de revoir le contenu des missions de ces agents pour qu’ils ne soient plus de simples « porte-clés » et au-delà les remotiver, leur témoigner une réelle reconnaissance, valoriser leur rôle, améliorer leur protection, prévoir une formation continue, etc.

L’insertion doit primer sur la garde ; c’est une question de volonté politique qui implique des moyens supplémentaires.
Je pense ici en particulier au rôle des services pénitentiaires d’insertion et de probation.

Par ailleurs, il est indispensable de renforcer les contrôles externes des établissements pénitentiaires comme le proposait la commission d’enquête sénatoriale.
Ce que nous avons fait au Sénat en votant une proposition de loi créant un organe de contrôle externe et indépendant des établissements pénitentiaires, doté de larges pouvoirs d’investigation. Mais ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Actuellement, lorsque le gouvernement évoque les prisons, c’est uniquement sous l’angle sécuritaire : lutte accrue contre les évasions, construction de « supercentrales » destinées à regrouper les détenus les plus dangereux, brouillage des téléphones portables, empreintes biométriques, etc. Ce ne sont évidemment pas les quelques mesures proposées par M. Warsmann en matière de peines alternatives qui vont fondamentalement changer le cours des choses.

Aussi et face à un tel contexte, avons-nous décidé de remettre sur le devant de la scène politique et publique l’intérêt né au début de l’année 2000 sur l’univers carcéral.
Les propositions que nous mettons ici en débat consistent à lancer un appel en direction d’une part des parlementaires pour les inciter – ainsi que la loi les y autorise – à se rendre dans les prisons françaises pour y constater la réalité des conditions de vie et de travail, en créant les conditions de leurs venues (cibler un certain nombre d’établissements sur des jours convenus : une semaine par exemple).

D’autre part, en direction de la population, en s’appuyant sur le mouvement associatif ou autres structures de démocratie participative (ex : comités de quartiers), pour l’inviter à assister aux audiences des tribunaux lorsqu’ils siègent selon la procédure de comparution immédiate pour se rendre compte de l’iniquité de telles procédures de jugement.

C’est pour discuter avec vous – si vous en êtes d’accord - de ces actions dans un but de reconquête de l’opinion publique sur des objectifs progressistes, que nous avons souhaité vous rencontrer.

Nous souhaitons avec ce genre d’initiatives, qui ne sont évidemment pas exhaustives de toute autre action, initier un large débat politique public avec l’ensemble des acteurs du monde associatif, syndical, professionnel, intellectuel…, qui se sentent concernés par toutes ces questions.

Il sera nécessaire de rechercher tout ce qui pourra donner la dimension la plus large à ces deux initiatives.
Je vous remercie de votre écoute et vous laisse à présent la parole.

Robert Bret

Ancien sénateur des Bouches-du-Rhône
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