Malgré les événements qui ont marqué l’année 2000 - tels que le livre du Docteur Vasseur ; les rapports d’enquête parlementaire qui en ont découlé ; les rapports respectifs de Guy Canivet et de Daniel Farge ; la prise de conscience par l’opinion publique, par les médias, par le monde politique…, des difficultés inhérentes à l’univers carcéral - force est de constater que trois années plus tard, non seulement rien n’a changé mais de plus la situation s’est empirée avec la politique pénale mise en place par le gouvernement Raffarin depuis mai 2002.
Pourtant, l’enquête sénatoriale à laquelle j’ai participé a clairement conclu qu’il était urgent d’incarcérer moins pour incarcérer mieux, de s’interroger sur le sens de la peine, sur qui mettre en prison, et de réfléchir aux alternatives à l’incarcération, aux libérations conditionnelles, à la détention provisoire, à la gestion des longues peines, à la future réinsertion des détenus, à la lutte contre la récidive, contre les suicides en prison et j’en passe.
Les 30 mesures d’urgence proposées dans notre rapport - au titre évocateur de « Prisons : une humiliation pour la République » - étaient simples à mettre en œuvre. En voici les grands axes :
1) la lutte contre la surpopulation carcérale
2) la remotivation des personnels
3) la destruction/rénovation/construction du parc pénitentiaire
4) les droits et devoirs des détenus
5) la modernisation des méthodes de gestion
6) le renforcement des contrôles
Il est clair que le contexte général - propice hier à une réforme pénitentiaire - a profondément changé.
En effet, depuis notamment les événements du 11 septembre 2001 nous assistons à une inquiétante évolution sécuritaire tant au plan européen et international avec une nette propension à la restriction des libertés individuelles et publiques.
L’actuel gouvernement, faisant fi du travail sérieux effectué par les parlementaires (toutes tendances confondues) a - singulièrement avec ses lois PERBEN/SARKOZY - pris l’exact contre-pied de leurs conclusions et recommandations dont l’actualité et la pertinence sont pourtant toujours de mise.
Tous ces textes législatifs se complètent ainsi à la perfection : durcissement du droit pénal en stigmatisant notamment les populations les plus fragilisées : jeunes, SDF, étrangers, prostituées ; renforcement de la répression des mineurs ; relance de la construction de prisons nouvelles ; retour en arrière en ce qui concerne les mesures emblématiques de loi sur la présomption d’innocence ; regroupement des condamnés en fonction de leur dangerosité etc.
Il s’agit d’une véritable politique de répression, d’enfermement et d’exclusion qui se met en place sans aucun traitement social de fond de la délinquance.
Tant que la politique pénale du gouvernement ne changera pas radicalement de cap et restera axée sur la seule incarcération, les conditions de détention continueront de se détériorer tout comme les conditions de travail du personnel pénitentiaire.
A cet égard, les constats - que je partage complètement - dressés par l’Observatoire International des Prisons (OIP) en ce qui concerne les conditions de détention en France sur la période janvier 2002/juillet 2003, sont véritablement alarmants.
Je souhaite saluer ici l’initiative de l’OIP qui - en interpellant l’ensemble des membres ayant participé aux commissions d’enquête du Sénat et de l’Assemblée nationale sur les prisons - relance le débat sur cette importante question.
Permettez-moi de livrer mon point de vue :
L’inflation carcérale s’explique par une pénalisation de plus en plus lourde qui trouve sa raison d’être dans la refonte globale de notre code pénal, entré en vigueur en 1994, qui a revu à la hausse l’échelle des peines et, plus récemment, dans les toutes récentes modifications législatives.
Tant qu’on n’aura pas révisé le système pénal français qui demeure essentiellement basé sur la répression, ignorant la prévention, la réinsertion et donc la lutte contre la récidive, les prisons ont, hélas, de beaux jours devant elles.
Par ailleurs, il faut noter un certain déplacement qui s’opère depuis le milieu - je dirai ordinaire - vers le milieu pénitentiaire de certaines catégories de populations comme les pauvres, les précaires, les exclus, les malades, les toxicomanes, les immigrés, les sans papiers etc. qui - bien que n’ayant pas forcément leur place en prison - contribuent néanmoins à la surpopulation carcérale.
Les rapports parlementaires ont pointé l’inadaptation des peines de prison pour ces différentes catégories de personnes. Trop de personnes n’ont en effet pas leur place en prison. Leur présence au sein d’un établissement pénitentiaire participe de la surpopulation carcérale.
Je suis tout à fait favorable à la suppression des peines d’enfermement pour certaines catégories de personnes ainsi que pour certaines infractions.
Pour ce qui est des infractions sanctionnées par de courte peine d’emprisonnement par exemple, il convient de favoriser tous les autres modes alternatifs à l’incarcération afin d’éviter le contact avec la prison, la rupture des liens familiaux ou encore d’un contrat de travail. L’enfermement rend en effet difficile le retour à la liberté en terme de réinsertion et favorise la récidive.
Au-delà, il serait intéressant d’affirmer le caractère d’ultime recours de la prison et de considérer l’incarcération non pas comme l’unique réponse à la délinquance mais plutôt comme un des éléments du système répressif à côté d’autres formes d’exécution de la peine.
La prison ne doit plus être le référentiel d’exécution des peines.
Pour éviter le plus possible le contact avec le monde carcéral qui est davantage et au choix : une école de la récidive, un facteur déstabilisateur et aggravant, il faut à mon sens favoriser tous les modes alternatifs à l’incarcération tels que : le rappel à la loi, les peines de sursis, le contrôle judiciaire, les travaux d’intérêt général, la mise à l’épreuve, etc.
Pour les peines de courte durée ou pour de petits reliquats, pourquoi ne pas énoncer clairement que la règle est une exécution de peine sous une forme aménagée (semi-liberté, libération conditionnelle, permissions de sortie, surveillance électronique sous certaines conditions etc.) ; l’enfermement sans aménagement devenant alors l’exception.
Par exemple, le recours à la libération conditionnelle, largement tombé en désuétude, mériterait d’être renforcé, comme le préconise le rapport Farge. Ce dispositif permet en effet de préparer au mieux la sortie de prison et donc la réinsertion, notamment par l’élaboration d’un « projet de sortie » pour le détenu, au lieu que ce dernier attende passivement la date de sa sortie.
L’usage de la détention provisoire - selon qu’il est étendu ou restreint - est révélateur de la politique pénale mené par les pouvoirs publics.
La loi « présomption d’innocence » du 15 juin 2000 devait mettre un terme à l’exception française d’un usage abusif de la détention provisoire à la fois pour renforcer le principe de la présomption d’innocence et faire baisser le nombre de détenus, en attente de jugement, qui surpeuplent les maisons d’arrêt et où, a fortiori, les conditions de détention sont les plus difficiles.
Avant de repartir à la hausse, le nombre des détentions provisoires a - au cours des dix premiers mois de l’année 2001 et suite à l’application de la loi du 15/06/00 - connu une diminution.
Depuis, la loi du 4 mars 2002 est revenue partiellement sur les limitations des cas de détention provisoire de la loi du 15 juin 2000 tandis que les dispositions de la loi Perben du 9 septembre 2002 ont encore facilité le recours à la détention provisoire.
Il n’est pas étonnant dès lors que nos prisons battent, depuis plusieurs mois, des records en terme de surpopulation jamais égalés depuis la Libération (plus de 60000 détenus pour 48000 places)
Il faut savoir, par ailleurs, que la durée moyenne de détention a quasiment doublé en vingt ans.
Malgré une diminution du nombre des entrées, les effectifs de la population carcérale ne baissent que lentement du fait de l’allongement de la durée de la peine.
Derrière les peines de type : réclusion criminelle à perpétuité, périodes de sûreté, peine incompressible de trente ans, se cache la problématique des longues peines et de l’échelle des peines.
Il faut en finir avec ce type de peines qui sont inconciliables avec l’objectif de réinsertion. On sait, en effet, que jusqu’à 14 ou 15 ans de détention, la réinsertion est encore possible. Au-delà, elle s’avère plus difficile. Ce qui implique de revoir l’échelle des peines prévues dans notre code pénal et de préciser que l’énoncé des peines s’entend comme des maxima.
Il faut savoir qu’en Europe, la France est quasiment le seul pays à avoir instauré une période de sûreté. Or, nul n’a intérêt à ce que des gens restent 15 à 20 ans en prison : ni le détenu, ni l’ensemble de la société.
Il faut cesser de penser que le système pénal est laxiste. S’il y a de plus en plus de détenus âgés en prison cela est dû à l’alourdissement des peines.
En terme de prévention de la récidive, l’on sait que ni la peine de mort, ni la peine perpétuelle ne sont dissuasives.
Cette politique pénale répressive explique le surpeuplement qui règne dans nos prisons et dont les conséquences sur les conditions de détention pour les personnes privées de liberté et de travail pour les personnels pénitentiaires sont désastreuses.
Lutter contre la surpopulation carcérale ne signifie pas nécessairement construire de nouvelles prisons car qui dit nouveaux établissements dit tentation de les remplir.
J’estime que concentrer l’essentiel des crédits de l’administration pénitentiaire sur la construction de prisons, comme s’il s’agissait du remède miracle aux maux des prisons, c’est persister dans la voie du « tout-carcéral » qui n’est pas satisfaisant, quand bien même pour le justifier, on évoque l’encellulement individuel - d’ailleurs repoussé à 2008 faute de moyens ! - et l’amélioration des conditions de détention et de travail des personnels.
Plutôt que d’investir dans les murs, mieux vaudrait investir en amont en terme de prévention ; à l’intérieur de la prison en terme de droits nouveaux pour les détenus mais aussi de devoirs, en terme également de reconnaissance des missions des personnels souvent difficiles et ingrates ; enfin après la prison, en terme de réinsertion pour éviter la récidive.
Il faut également mener une réflexion et investir dans le milieu ouvert qui présente le double avantage d’être moins coûteux et d’éviter ou d’écourter le contact avec le monde carcéral qui se révèle trop souvent criminogène.
L’individu condamné, détenu ou pas, reste avant tout un citoyen à part entière.
C’est un préalable très important dans l’optique de réinsertion qui doit demeurer le fil conducteur. A partir du moment où celui-ci a purgé sa peine, où il s’est amendé aux yeux de la société, il doit avoir les mêmes droits que les autres citoyens. La sanction qui le frappe doit se limiter à la stricte application de la décision de justice dont il a fait l’objet.
Les personnes placées sous main de justice doivent pouvoir bénéficier en conséquence des minima sociaux, etc. Il faut également réfléchir aux mentions portées sur le casier judiciaire qui constitue une réelle entrave à l’embauche et donc à la réinsertion, dont le retour à l’emploi est un élément essentiel.
En détention, il faut affirmer les droits des condamnés : le principe à retenir doit être que, sous réserve des seules contraintes liées à la vie carcérale et au maintien de l’ordre public, les détenus ne doivent être privés que de leur liberté.
Il est nécessaire de renforcer le droit à la sécurité, le droit à la santé, le droit à l’intimité, le droit aux visites, le droit au sport, le droit de vote, la liberté d’association, d’expression, de pétition.
Concernant le travail carcéral, il serait temps de se pencher sur le statut du « détenu salarié » ; de revoir à la hausse la rémunération des détenus ; de rendre ce travail carcéral valorisant et professionnalisant en vue de la future insertion ; de supprimer le travail en cellule etc.
Compte tenu de la situation actuelle des prisons, il n’y a pas de préparation à la sortie ni de réinsertion. On a affaire à des sorites sèches qui le plus souvent mènent à la récidive et donc au retour en prison.
La question de la réinsertion n’a de sens que si l’on se place du point de vue du sens de la peine. Aller vers la « prison utile » est une nécessité absolue. Donner un sens à la prison signifie permettre au détenu de sortir dans des conditions meilleures que celles dans lesquelles il est entré, avec en ligne de mire sa future (ré)insertion.
Pour ce faire, il est indispensable de mettre à profit le temps passé en prison pour former les individus qui ne le sont pas, soigner ceux qui en ont besoin, apprendre à lire et à écrire aux illettrés, sevrer les toxico-dépendants etc.
Se posent alors avec force les questions de la formation des personnels pénitentiaires ainsi que de leur rôle en terme de réinsertion pour prévenir la récidive et stopper la spirale infernale incarcération/sortie/incarcération.
Il convient, pour cela, de revoir le contenu des missions de ces agents pour qu’ils ne soient plus de simples « porte-clés » et au-delà les remotiver, leur témoigner une certaine reconnaissance, valoriser leur rôle, améliorer leur protection, prévoir une formation continue, etc.
L’insertion doit primer sur la garde ; c’est une question de volonté politique qui implique des moyens supplémentaires. Je pense ici en particulier au rôle des services pénitentiaires d’insertion et de probation.
Par ailleurs, il est indispensable de renforcer les contrôles externes des établissements pénitentiaires comme le proposait la commission d’enquête sénatoriale. C’est ce que nous avons fait au Sénat en votant une proposition de loi créant un organe de contrôle externe et indépendant des établissements pénitentiaires, doté de larges pouvoirs d’investigation.
Ce texte n’ayant jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, j’ai voulu - avec mon groupe parlementaire - profité du débat parlementaire qui se déroule en ce moment même au Sénat sur l’évolution de la criminalité pour y intégrer, par amendement, notamment les dispositions instituant un contrôleur général des prisons, adoptées au Sénat, le 26 avril 2001.
Quand l’actuel gouvernement évoque les prisons, c’est uniquement sous l’angle sécuritaire : lutte accrue contre les évasions, construction de « supercentrales » destinées à regrouper les détenus les plus dangereux, brouillage des téléphones portables, empreintes biométriques, etc.
Ces problèmes, certes réels, ne font en réalité qu’occulter les autres questions tout aussi réelles qui restent en suspens concernant les conditions déplorables de la vie carcérale qui affectent tout autant les détenus et leurs familles, que les surveillants.
Bien évidemment, une telle situation ne peut que me faire regretter amèrement le fait que la grande loi pénitentiaire annoncée sous le précédent gouvernement n’ait jamais vu le jour.