Rappelons que cette initiative est née lors d’une réunion organisée, le 7 janvier 2004, au Sénat à l’invitation des sénateurs communistes, en présence de nombreuses organisations concernées par les questions pénitentiaires.
Le choix de la date du 15 juin - qui a marqué le lancement de cette opération « retour à la case prison » - est bien évidemment symbolique en ce qu’elle marque le quatrième anniversaire de la fameuse loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et le droit des victimes qui devait marquer la mise en place de l’encellulement individuel (repoussé à 2008) et mettre un terme à l’exception française d’un usage abusif de la détention provisoire.
Cette date fait aussi écho à la visite en urgence du comité de prévention de la torture qui avait constaté que la surpopulation des prisons françaises généraient des « traitements dégradants » pour les personnes détenues.
Si une diminution du nombre des détentions provisoires a pu être constatée durant les dix premiers mois de l’année 2001, ce chiffre est vite reparti à la hausse en raison de la loi du 4 mars 2002 qui est revenue partiellement sur les limitations des cas de détention provisoire et des dispositions de la loi Perben I du 9 septembre 2002 qui ont facilité le recours à la détention provisoire.
Au cours de nos visites respectives (Villepinte en Seine-St-Denis et Le Pontet en Avignon), nous avons malheureusement constaté - quatre années après les deux commissions d’enquête parlementaires sur les prisons dont les conclusions édifiantes sont encore dans toutes les mémoires - que la situation non seulement ne s’est pas améliorée, mais s’est, en outre, largement dégradée.
La politique pénale menée par le gouvernement Raffarin depuis mai 2002 n’est pas étrangère à cette situation indigne d’un pays comme la France qui se targue d’être la patrie des droits de l’homme et qui est pourtant régulièrement condamnée par les instances européennes.
Alors que la commission d’enquête sénatoriale concluait qu’il était urgent d’incarcérer moins pour incarcérer mieux, de s’interroger sur le sens de la peine, sur qui mettre en prison, et de réfléchir aux alternatives à l’incarcération, aux libérations conditionnelles, à la détention provisoire, à la gestion des longues peines, à la future réinsertion des détenus, à la lutte contre la récidive, contre les suicides en prison etc., l’actuel gouvernement, faisant fi du travail sérieux effectué par les parlementaires d’opinion politique diverse a - singulièrement avec ses lois PERBEN I et II et SARKOZY - pris l’exact contre-pied de leurs conclusions et recommandations dont l’actualité et la pertinence sont pourtant toujours de mise.
Tant que la politique pénale du pays restera axée sur la seule incarcération, les conditions de détention continueront de se détériorer tout comme les conditions de travail du personnel pénitentiaire.
Plus fondamentalement c’est notre système pénal tout entier qu’il convient de réviser, lui qui est essentiellement basé sur la répression, ignorant la prévention, la réinsertion et donc la lutte contre la récidive.
L’inflation carcérale s’explique par une pénalisation de plus en plus lourde dont l’origine est à rechercher dans la réforme de notre code pénal entamée en 1992 et qui a revu à la hausse l’échelle des peines.
Pour remédier à la surpopulation carcérale, le gouvernement n’envisage qu’un seul type de réponse : la construction de nouvelles prisons.
Or, il s’agit d’une « vraie-fausse solution » tant on sait que plus on construit de prisons, plus on incarcère et plus on a de surpopulation. La France a ainsi construit 17000 places de prisons depuis 1986 sans pouvoir prévenir la dégradation des conditions de détention. Ce cercle vicieux est désormais bien établi.
Plutôt que de persister ainsi dans la voie du « tout-carcéral », mieux vaudrait investir en amont en terme de prévention ; à l’intérieur de la prison en terme de droits nouveaux pour les détenus mais aussi de devoirs, en terme également de reconnaissance des missions des personnels souvent difficiles et ingrates ; enfin après la prison, en terme de réinsertion pour éviter la récidive.
Il faut par ailleurs mener une réflexion et investir dans le milieu ouvert qui présente le double avantage d’être moins coûteux et d’éviter ou d’écourter le contact avec le monde carcéral qui se révèle trop souvent criminogène.
Le recours à la libération conditionnelle, tombé en désuétude, mériterait d’être renforcé, comme le préconise le rapport Farge. Ce dispositif permet de préparer au mieux la sortie de prison et donc la réinsertion du détenue par l’élaboration d’un « projet de sortie ».
Face à une telle situation, il s’avère urgent de prendre des mesures concrètes afin d’améliorer les conditions de détention et renforcer les contrôles des prisons.
C’est exactement l’objectif poursuivi par la proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons, déposée par nos collègues Messieurs HYEST et CABANEL, respectivement Président et Rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale, et adoptée à l’unanimité par le Sénat, le 26 avril 2001.
Cette proposition de loi tend, dans un premier temps, à créer un organe de contrôle externe et indépendant des établissements pénitentiaires, doté de larges pouvoirs d’investigation, comme le préconisaient la commission d’enquête sénatoriale et le rapport rendu sous la présidence de M. CANIVET.
Dans un second temps, ce texte vise à remédier à la surpopulation dans les maisons d’arrêt en interdisant le maintien dans les maisons d’arrêt de personnes définitivement condamnés à une peine d’emprisonnement supérieure à un an et à permettre l’affectation des prévenus, des appelants et de ceux qui ont formé un pourvoi en cassation en établissement pour peines.
Enfin, ce texte vise à améliorer l’encadrement du pouvoir disciplinaire, en limitant le placement au quartier disciplinaire à 20 jours, au lieu de 45 jours actuellement.
A notre initiative, deux amendements tendant à renforcer les droits de la défense en prévoyant le droit à l’assistance d’un avocat et le droit au recours s’agissant des décisions de placement à l’isolement ou de transfèrement, ont été adoptés.
Si, bien sûr, nous avons conscience que ces mesures ne permettent pas à elles seules de résoudre l’ensemble des problèmes soulevés par la situation carcérale, nous estimons en revanche qu’elles constituent une première réponse, de surcroît d’application immédiate en attendant une réforme plus globale.
Il suffirait pour cela que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et voté dans des termes identiques afin d’éviter des navettes qui reporteraient d’autant l’entrée en vigueur de ces dispositions législatives.
Nous restons bien évidemment convaincus de la nécessité d’une grande loi pénitentiaire qui a le mérite de provoquer un débat national sur la question pénitentiaire, notamment au regard de la redéfinition du sens de la peine et des missions de l’administration pénitentiaire.
Toutefois compte tenu de l’urgence de la situation, il est indispensable que la proposition de loi « Hyest-Cabanel » précitée soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale à qui elle a été transmise en date du 17 juillet 2002.