Marie-Hélène Amiable, députée PCF des Hauts-de-Seine, maire de Bagneux, et Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice PCF des Hauts-de-Seine.
Parlementaires attachées au service public de l’Education, nous souhaitons vous faire part de notre grande inquiétude. Vous venez en effet de publier l’arrêté promulguant les nouveaux programmes pour l’école primaire qui entreront en application dès la rentrée prochaine. Cette décision soulève, selon nous, trois problèmes graves.
Un problème pédagogique tout d’abord. Ces programmes, qui ont fait l’objet d’une concertation de pure forme, suscitent toujours une vive opposition des personnels, des formateurs et des parents qui les ont lus. Nombre des inquiétudes et des interrogations, exprimées avec force dans la synthèse nationale de consultation, n’ont rencontré aucun écho de votre part. La mise en application dès septembre prochain de ces programmes prive les enseignants de toute latitude pour se concerter, organiser leur travail dans les diverses disciplines et encore moins pour bénéficier d’une formation. C’est donc prendre là un risque d’autant plus grand que l’alourdissement envisagé des contenus paraît peu compatible avec la décision de réduire de deux heures la durée hebdomadaire des enseignements. D’autres incompréhensions demeurent quant au cloisonnement des disciplines, à la faible place accordée à certains savoirs culturels qui risquent d’être relégués hors du temps scolaire, et aux démarches simplement mécaniques préconisées pour l’apprentissage.
Les formateurs dans les IUFM sont tout autant démunis pour retranscrire ces nouvelles dispositions dans les plans de formation destinés aux futurs professeurs des écoles. Ces plans viennent tout juste d’être réécrits pour anticiper l’intégration des IUFM aux universités en conséquence de la loi Fillon mais avec l’annonce de la suppression pure et simple de ces IUFM par le Président de la République, la confusion est totale...
Par ailleurs, il est techniquement impossible pour les éditeurs, entre aujourd’hui et le 31 août, de fabriquer des manuels et des supports d’enseignements conformes à ces programmes et de les mettre à disposition des enseignants en temps voulu dans toutes les disciplines et pour tous les niveaux d’enseignement, et encore moins de les expérimenter dans les classes pour livrer des outils fiables.
Se pose aussi un problème d’ordre budgétaire. Vous savez que ce sont les communes qui financent l’achat des manuels et des fournitures pour les élèves du primaire. Or le bouleversement qui résulte de ces nouveaux programmes conduit pratiquement à renouveler les manuels pour l’ensemble des niveaux d’enseignements et pour la plupart des disciplines. A supposer l’impossible, à savoir que des manuels conformes puissent être fournis d’ici septembre où même que ceux-ci soient livrables en cours d’année, seules les communes les mieux dotées pourront évidemment accomplir un tel effort financier au cours d’un seul exercice. Avez-vous prévu un dispositif budgétaire pour aider les autres communes dès l’année d’application des nouveaux programmes ? Sinon comment éviter une école à deux vitesses ? Et comment éviter, avec la suppression de la carte scolaire que vous avez décidée, que de nombreux parents cherchent à inscrire leurs enfants dans une commune plus riche ?
Dernier problème et non des moindres. Le décret du 5 mars 2003, que vous avez signé avec le ministre de l’éducation nationale de l’époque, Luc Ferry, indique que « les programmes ne peuvent entrer en vigueur que 12 mois après leur publication, sauf décision expresse du ministre chargé de l’Education nationale (...) ». Vous avez d’ailleurs choisi, en mars dernier, d’intégrer cette disposition dans le code de l’éducation. Vous souhaitiez, à juste titre, laisser ainsi un temps raisonnable aux professionnels et aux éditeurs pour s’adapter à de nouvelles règles et pour se préparer à des changements pédagogiques significatifs.
La restriction « sauf décision expresse du ministre » n’a qu’un sens possible : anticiper les cas où la modification des programmes est mineure. Or nous sommes face à une refonte complète des programmes à tous les niveaux de l’école primaire, de la petite section de maternelle au CM2 et dans toutes les disciplines.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, Monsieur le Ministre, de ne pas appliquer les nouveaux programmes dès la rentrée de 2008, et d’engager à ce sujet, une concertation réelle avec toute la communauté éducative afin de permettre une adaptation ambitieuse, mais réaliste et accessible à tous, de notre école française aux savoirs du XXIe siècle.
Recevez, Monsieur le Ministre, l’assurance de notre considération distinguée.