Madame, Monsieur,
Permettez moi de vous remercier de votre présence à cette conférence de presse dont l’objet est de vous présenter les analyses et propositions du Parti communiste sur l’école, alors qu’un débat sur sa réforme va se dérouler au parlement.
En effet, après s’être attaqué à la Constitution, aux retraites, à l’assurance maladie, le gouvernement s’apprête à réformer notre système éducatif.,
Socle de l’élaboration de la prochaine loi d’orientation, qui devrait être votée avant même le printemps prochain, le rapport Thélot abonde de propositions qui constituent une attaque d’envergure contre la qualité de la formation des jeunes, le métier d’enseignant et le service public d’éducation.
La participation du PCF à cette commission a pu sembler paradoxale, pourtant c’est en tant que parlementaire communiste, convaincue de la nécessité d’un grand débat ouvert à tous, que j’ai pris part à cette commission. Et c’est encore en tant que parlementaire communiste, attachée à un service public de l’éducation qui agit en faveur de la réussite pour tous les élèves que j’ai pris la décision de démissionner de cette commission, en accord avec Marie Georges BUFFET et le collectif national « Ecole » du PCF.
Démission qui fait suite aux propositions du rapport, il est vrai, mais dont j’évoquais l’idée dès le début même des travaux. En effet, au regard de l’annonce de la suppression du statut des MI-SE, des postes d’aides éducateurs, de la petitesse du budget 2004 (confirmé pour 2005)…dès octobre 2003, c’est à dire un mois après la mise en place de ladite commission, j’étais sceptique quant à la bonne foi, non pas des membres de la commission, mais du gouvernement.
Preuve en est, les déclarations intempestives des Ministres de l’Education : Luc FERRY, qui annonçait dès novembre 2003 sur une chaîne publique que « les idées seront prises quant elles nous sembleront bonnes » Quelle nécessité alors d’instaurer un débat si les dés sont pipés d’avance ?
Puis François FILLON qui nous annonçait, entre autre, un retour de l’autorité à l’école et qui préconisait une orientation précoce.
Enfin, récemment, ce fût le tour du Ministre, non pas de l’Education Nationale mais celui de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur Borloo intègre dans son projet de loi une partie sur l’égalité des chances à l’école, partie d’ailleurs très succincte et très floue, sans avoir pris la peine de consulter les partenaires de l’Education nationale, ni les membres de la commission ; a-t-il d’ailleurs consulté le ministre de l’éducation nationale ?
Sceptique aussi quant aux déroulements des travaux ; sur la forme, tout d’abord, puisque nous manquions de temps, pourtant nécessaire à l’approfondissement de nos réflexions. Le travail était colossal et nous avons du le réaliser dans la précipitation, avec des impératifs qu’on ne pouvait tenir sans dénaturer nos travaux.
Puis sur le fond, où mon opposition s’est manifestée dès l’élaboration des fameux sujets à débattre, synthétisés dans le « 4 pages ». L’orientation des questions me semblait largement guidée par les choix gouvernementaux et les thèmes que j’avais pourtant soumis avec force n’étaient pas évoqués, sous prétexte qu’ils reflétaient une position minoritaire au sein de la commission.
Ainsi on ne traitait du budget que par sa répartition et non par son volume, on traitait de l’autonomie des établissements dans le sens du texte sur la décentralisation, mais à aucun moment il n’a été question de gratuité, de la précarisation des métiers d’enseignants, de la présences d’adultes qualifiés au sein des établissements, de la fuite des élèves vers le secteur privé, de l’orientation différentielle des filles et des garçons et ses impacts sur le devenir professionnel.
Est-ce que dans une démocratie, l’expression de la minorité doit être muselée ? Je ne crois pas.
Pour autant je ne suis pas pour m’inscrire dans le consensus d’un diagnostic partagé qui se limiterait à ne poser que les questions qui conviennent à tous. Ce fût sans doute la raison de ma persévérance au sein de cette commission.
Malgré toutes ces réticences, que j’ai fais savoir à de nombreuses reprises à Monsieur Thélot ainsi qu’aux membres de la commission, j’ai pourtant choisi de maintenir ma participation car le débat initié parmi les acteurs de l’école me semblait important ; en effet, le « Miroir des débats », aussi imparfait soit-il, est source d’enseignements et donc de richesse.
Les débats ont permis de renouer les échanges sur la politique éducative et ont mis en exergue des priorités et des convergences fortes, telles que l’exigence d’un service public national d’éducation doté des moyens de fonctionnement, l’idée que l’éducation est un droit et non une marchandise, la place de l’école maternelle a été plébiscitée, ainsi que l’exigence d’un collège pour tous sans retour aux filières,…mais aujourd’hui les propositions issues du rapport ne font que reprendre les points les plus libéraux, exprimés eux aussi dans le Miroir des débats.
Pour moi, ce rapport, comme tout travail intellectuel, est une construction qui porte la marque de son commanditaire et de ses concepteurs.
Le Ministre de l’Education Nationale prétend qu’il ne s’agit que de propositions à débattre. Mais il les juge déjà intéressantes. En réalité, elles sont néfastes, mais aussi très cohérentes avec la loi organique relative à la loi de finance, et le projet de soi-disant « modernisation » de la fonction publique. C’est la logique libérale de réduction des coûts, de désengagement de l’Etat.
Il s’agit aussi d’un vaste plan d’harmonisation européen dont les grands axes ont été décidés aux sommets de Lisbonne en 2000 et de Barcelone en 2004. Le rapport y fait d’ailleurs référence alors même qu’en commission, nous n’avions pas soulevé ce point, et qu’il n’apparaît dans aucun compte rendu des débats.
Le but est de rapprocher tous les systèmes éducatifs européens autour d’un modèle scolaire dicté par l’idéologie libérale, qui fait de l’éducation un bien privé, individuel, dans une conception réductrice mettant la formation au service de l’économie. Satisfaire au moindre coût les exigences "d’employabilité" et de flexibilité des entreprises est devenu l’objectif central vers lequel doivent tendre les systèmes éducatifs européens. Il est écrit notamment dans le rapport, je cite « la part des emplois « peu qualifiés » ou requérant une qualification d’ordre comportemental ou relationnel demeurera considérable dans l’avenir ». C’est pour le moins une profession de foi cynique !
Pour moi, pour le PCF, le rapport Thélot tourne le dos aux exigences d’accès aux savoirs, d’investissement de haut niveau exprimés lors du "grand débat" l’hiver dernier. Le premier Ministre, avec son contrat pour la France, a promis de "nouvelles orientations pour garantir un parcours de réussite pour chaque élève". Mais pas un seul mot dans les 130 pages du rapport sur les causes de l’échec scolaire et des inégalités.
Quant aux propositions du rapport Thélot : ce sont 3 niveaux d’enseignement et de qualification :
Un 1er niveau extrêmement réduit (« les fondamentaux », sans doute), pour ceux qui occuperont les emplois les moins qualifiés : appendre à lire, écrire, compter, cliquer, le dernier terme est utilisé pour les nouvelles technologies, notions d’Anglais commercial, et « bien » se comporter, entendez l’éducation à vivre dans une société libérale, qui s’apparente plus à un dressage qu’à un apprentissage de la citoyenneté. D’ailleurs, le rapport prône un retour à l’autoritarisme, je vous parlais il y a un instant des déclarations intempestives des ministres, comme si c’était la solution de tous les maux de l’école. Or, la crainte qu’inspire l’autorité n’engendre ni le respect, ni l’estime, mais impuissance et humiliation.
L’aveu de la commission sur le secteur économique de demain ayant un besoin considérable d’une main d’œuvre peu qualifiée et la nécessité d’adapter l’offre scolaire à cette offre de travail reflète tout l’enjeu du « SMIG culturel », déguisé sous le terme de socle commun de connaissances, de compétences et règles de comportement. Le mot « compétences » est à lui seul plus probant que tous les discours !
Un des chapitre a quant à lui un titre éloquent : « l’adaptation de l’emploi à la formation » ; il repousse l’élévation de la formation hors formation initiale, prônant une formation tout au long de la vie se substituant à la formation initiale et fixe comme objectif je cite : « les performances économiques futures de la nation dépendront de la richesse du "capital humain" ce qui conduit l’ambition d’accroître le niveau de formation et de qualification des individus ; mais l’incertitude de l’avenir conduit à souhaiter que cet accroissement ne se produise pas lors de la formation initiale, il devrait au contraire résulter de la formation tout au long de la vie".
C’est un choix de société que ce renoncement à l’exigence d’une culture commune de haut niveau, permettant l’élévation culturelle de toute la société.
Le 2ème niveau est le "socle" précédent « les fondamentaux » plus, pour ceux qui maîtriseront ce socle, l’apprentissage d’autres disciplines. Les élèves en difficulté devront se contenter du socle et d’un « renforcement de l’indispensable » ; et c’est là qu’apparaissent l’orientation précoce et le retour des filières.
Le 3ème est calqué sur le 2ème, avec, en plus, une diversification des options qui ne s’adressera qu’à « l’élite ».
C’est donc bien une sélection précoce, puisque certains jeunes se contenteront du socle, pendant que d’autres bénéficieront d’enseignements plus complets et d’options.
Une telle orientation cloisonne aussi la finalité des formations, en distinguant celles qui ont vocation à ouvrir la voie à des études longues, celles qui ont vocation à conduire aux études courtes et celles qui n’ont vocation qu’à déboucher sur l’insertion professionnelle voulue par l’économie libérale.
En outre, le rapport préconise l’obligation scolaire dès 5 ans au lieu de 6 actuellement, mais pas un mot sur les 1ère et 2ème années de maternelle, et bien sûr, rien non plus sur la scolarisation des 2 / 3 ans. Or pour ces tout petits, le taux de scolarisation se situait jusqu’en 2001 à 35% avant de chuter à 28% en moyenne aujourd’hui. Je dis bien en moyenne, car dans certaines zones comme en Seine Saint Denis ou dans le département de l’Isère, il descend jusqu’à moins de 8%.
Notons aussi que le rapport organise un profond bouleversement du métier d’enseignant, afin de mieux prendre en compte, dit-il « les missions autres que celles de l’enseignement. » Les services intégreraient les fonctions éducatives et non plus seulement d’enseignement. Cela rendrait indispensable l’augmentation du temps de présence dans l’établissement, qui passerait de 4 à 8 heures. Ce temps de présence, individualisé et variable, serait imposé aux nouveaux arrivants et proposé au choix des autres. Et cela se fait dans le cadre d’un renforcement considérable de l’autonomie des établissements.
Quant à l’hétérogénéité des classes, le rapport va jusqu’à remettre en cause la carte scolaire et préconise la fermeture des établissements jugés difficiles. Ainsi, on prend le problème à l’envers, car pour permettre la mixité sociale, on « transfère » les jeunes dans des établissements « plus faciles », au lieu de proposer la révision de l’urbanisme en imposant une plus grande mixité sociale dans les constructions nouvelles et dans l’attribution des logements !
Un débat quelque peu tronqué, un rapport qui se réduit à n’être qu’un vecteur des idées libérales du gouvernement, ont légitimé notre démarche, la démarche du parti communiste d’un grand débat sur l’école qui doit se traduire par l’élaboration d’un projet de transformation progressiste pour l’école, décliné dans un projet de loi alternatif à la loi d’orientation. Il sera porteur d’une grande ambition, car il convient de souligner que la transformation du système éducatif est nécessaire. Il connaît aujourd’hui une crise globale et après avoir réussi la massification, il peine à réussir une réelle démocratisation.
Sa transformation est l’objet d’un enjeu de société considérable. La droite le considère comme insuffisamment sélectif, trop insoumis aux lois du marché, elle s’appuie sur les insuffisances pour alimenter le discours fataliste. L’appréciation sur l’état de l’école est volontairement noircie, pour faire regretter un passé souvent mystifié : « l’âge d’or » de l’école de la République. Il s’agit d’une campagne idéologique visant à charger l’école de tous les maux.
En conséquence, l’exigence d’une nouvelle loi ayant pour objectif une école de la réussite pour tous, au sein de l’éducation nationale, de la Maternelle à l’Enseignement supérieur, avec un haut niveau de culture commune se fait ressentir avec force, en réplique au dogme libéral et en réponse à la nécessité d’assurer à tous un droit égal d’accès aux savoirs.
On ne peut envisager une démocratisation scolaire efficace sans s’attaquer aux maux de la société qui ont pour noms chômage, insécurité sociale, misère et qui font que dans notre pays, 1 million d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté, car le constat est bien là : il y a un lien étroit entre l’échec scolaire et la situation économique et sociale des parents.
C’est pourquoi nous pensons qu’une loi sur l’école doit être adossée à une politique familiale et sociale audacieuse.
Nous affirmons par ailleurs que l’école doit relever de la seule responsabilité de l’Etat. Il doit en rester le maître d’œuvre et être le garant du service public de l’Education nationale, hors de toute marchandisation de ses services. Ce qui suppose de sortir l’Education Nationale de l’AGCS. L’éducation n’est pas une marchandise, elle ne doit pas devenir un nouvel "eldorado" pour le capitalisme. Nous affichons de grandes ambitions :
- Permettre à tous les élèves de s’approprier les enseignements.
- Sortir d’une logique de l’école au service de l’économie.
- Aider l’individu à se construire, à s’épanouir, lui donner les clés pour comprendre le monde, ce qui induit de déceler toutes ses capacités pour qu’il puisse les développer.
- Contribuer à former le travailleur, le préparer à l’insertion professionnelle.
- Contribuer à éduquer le citoyen, lui donner les moyens de participer à la vie de la cité, de choisir, de décider.
Dans cette perspective, l’école primaire et le collège unique doivent être des lieux d’acquisition d’une culture commune de haut niveau pour accéder et réussir au lycée. Une culture commune de haut niveau, afin qu’à leur sortie du système éducatif, les jeunes disposent d’outils, de repères pour comprendre le monde, ses évolutions, même si leur activité professionnelle y est étrangère.
N’est-il pas nécessaire pour atteindre un tel objectif que la collectivité nationale s’engage à offrir à chacun une formation jusqu’à 18 ans ? Formation qui pourrait bien évidemment se poursuivre au delà ou déboucher tout de suite sur un emploi. Dans ce dernier cas, la possibilité de reprendre des études par la suite reste ouverte.
Ecole Laïque, Gratuite, et Obligatoire, c’est sur ce triptyque que s’est fondé le service public d’éducation depuis la fin du 19è siècle. En fait la gratuité n’a jamais été totalement assurée, ni à l’école élémentaire, ni dans le second degré. Les familles ont toujours été mises à contribution, des initiatives de compensation ont été inventées par l’Etat, surtout et de plus en plus par les collectivités territoriales. Mais la gratuité totale de l’école en terme de droit public n’existe pas.
Parce que l’Education est un droit fondamental, parce que nous pensons que l’investissement dans la formation n’est pas un coût, mais d’abord le signe que la société se projette dans l’avenir, nous proposons de nous inscrire dans une démarche de gratuité, c’est une logique de justice sociale. Plutôt que d’adapter aux crédits votés les démarches pédagogiques et les besoins, nous proposons de définir la base commune des besoins indispensables dans tous les établissements pour assurer un enseignement de qualité. Notre volonté de mettre en place un plan conduisant à une véritable gratuité se conjugue avec la proposition de la création immédiate d’un fonds d’action contre les inégalités d’origine sociale contre la ségrégation dans l’appropriation des savoirs. Ce fonds d’action comprendrait 3 volets :
- Un volet social d’aide pour les jeunes (accès à la culture, maîtrise de différentes structures- bibliothèque, centre de ressource, aide aux devoirs, activités diverses favorisant la socialisation).
- Un volet éducatif destiné à lancer un programme national de recherche sur les inégalités, avec la création d’observatoires des inégalités dans les départements, permettant à tous les acteurs d’avoir une vision commune. Mettre à la disposition des citoyens toutes les données disponibles sur le système éducatif est une condition essentielle du débat démocratique.
- Un troisième volet devrait permettre de lutter contre les inégalités territoriales, tant du point de vue de la diversité des formations offertes que des moyens consacrés aux équipements scolaires. Tout cela suppose des moyens : un financement de l’Etat à hauteur de 7% du PIB. Repenser la participation des entreprises au coût global de la formation, ramener à zéro la TVA sur tous les produits nécessaires à l’ensemble des actions scolaires. Il est regrettable que le rapport issu de la commission Thélot ne formule aucune proposition dans ce domaine.
Par ailleurs, le recrutement et la formation des personnels de l’enseignement doivent devenir une priorité absolue. Nous savons qu’il y a là le risque d’une crise grave dans les prochaines années. Il s’agit bien sûr de compenser les départs en retraite, d’obtenir le maintien des postes et à ce sujet, notons une casse sans précédent du service public d’éducation. Jamais depuis la libération ce service n’avait connu une telle hémorragie de postes ; même les pires gouvernements, avec leurs mauvais coups, n’ont jamais été aussi loin. En 3 ans, c’est à dire d’ici 2006 le gouvernement aura supprimé 20 000 postes d’enseignants, et si on considère l’ensemble des personnels on arrive à près de 50 000 emplois, le plus grand plan social jamais réalisé !
Nous voulons rendre ces 50 000 emplois à l’éducation nationale. Cela suppose de mobiliser, pour les métiers de l’école, des dizaines de milliers d’étudiants. Nous proposons que la programmation annuelle des postes soit accompagnée de pré-recrutements encourageant l’orientation vers les concours de l’enseignement. En échange de leur engagement, il s’agit de les aider financièrement aussi bien que dans leur formation.
Telles sont les quelques propositions non exhaustives, pour l’école, que nous voulions porter à votre connaissance.