Le 18 décembre : décrétée Journée Internationale de Solidarité avec les Migrants par les Nations Unies

Publié le 18 décembre 2003 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

Intervention de Robert BRET à cette occasion

OUROSSOGUI (Sénégal)

Monsieur le Ministre,
Messieurs le Gouverneur et le Préfet de Matam,
Messieurs les Présidents du Conseil Général et Régional ,
Monsieur le Maire d’Ourossogui,
Messieurs les représentants des autorités civiles, militaires et religieuses,
Monsieur le Président de l’USE T. BHA,
Mesdames, Messieurs, Chers Amis sénégalais,

Je voudrais tout d’abord remercier Messieurs Mamadou DIOP, Secrétaire Général de l’Union pour la Solidarité et l’Entraide » (USE) et Jean-Marc DUPEUX, Secrétaire général de la Cimade pour leur invitation à ce Forum organisé dans le cadre de la Journée Internationale des Migrants.

Il ne m’appartient pas de tirer les conclusions de votre Forum.
Mais sachez, Chers Amis de l’USE, que je partage ce qui s’est exprimé avec force depuis le début de vos travaux.
Je me contenterai, m’appuyant sur mon expérience de parlementaire, mais aussi de militant des Droits de l’Homme, d’insister sur quelques aspects du problème migratoire.

Comme on le sait tous ici, les mouvements migratoires sont depuis leur origine, constitutifs de l’histoire de nos sociétés. Et loin d’avoir été un obstacle à leur développement, ils ont, au contraire, contribué à leur rayonnement. Mieux, ils ont été un réel facteur de progrès.

Aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, de la libre circulation des capitaux, des marchandises et de l’information, force est de constater que le nombre croissant de migrants n’est ni un problème temporaire, ni le fruit du hasard.

C’est une conséquence prévisible de la crise des droits humains dans le monde, des inégalités Nord-Sud.

Il s’agit ici d’une migration contrainte et non d’une libre circulation des hommes.

Ainsi, l’immigration - (qui continue de s’intensifier : 170 millions de personnes concernées, soit 2 fois plus qu’en 1965) - constitue un sujet majeur et incontournable non seulement en France, au sein de l’Union européenne mais au delà aussi.

Tant que les écarts économiques et sociaux ne cesseront de croître entre les régions du monde qui profitent de la mondialisation, du libéralisme économique débridé et celles qui sont victimes du capitalisme, il est inévitable que les populations des pays ravagés par le sous-développement économique, la pauvreté, par les conflits ou l’absence de démocratie, vont continuer à tenter de trouver ailleurs de meilleures conditions de vie, quand ce n’est pas tout simplement le droit de vivre.
D’autant que les possibilités d’une migration Sud-Sud se réduisent aujourd’hui notamment en raison des conflits qui se développent en Afrique mais aussi à cause de ce fléau qu’est le SIDA.

A cette situation, s’ajoutent les écarts démographiques.
En effet, les pays de l’UE connaissent une baisse importante de leur démographie qui, conjuguée à l’allongement de la durée de la vie, va bouleverser le rapport entre actifs et inactifs.

La solution envisagée pour maintenir les grands équilibres socio-économiques, (à commencer par le financement des retraites) consiste pour les pays de l’UE en l’apport massif de ma main d’œuvre immigrée.

Ce que confirme le rapport du Conseil Economique et Social « les défis de l’immigration future ».
Le « besoin d’immigrés » des pays européens, y compris dans le cadre de son élargissement, est donc ainsi évalué, comme on évalue le besoin de marchandises disponibles sur le marché.

Les lois récemment adoptées en France sur l’immigration d’une part, et le droit d’asile d’autre part ne disent pas autre chose : elles présentent l’immigration sous un angle utilitaire :
L’étranger y est, en effet, considéré avant tout comme une main d’œuvre devant répondre aux besoins de l’économie libérale et suppléer pour un temps seulement les déficits de certains secteurs économiques de la France (ce qu’on appelle une politique de quotas).
La présence de l’étranger en France doit donc être par essence provisoire.
L’étranger, de préférence jeune et en bonne santé, doit être au service exclusif du marché de l’emploi.

Il faut donc décourager toute tentative ou tentation d’installation durable de l’étranger lui-même et a fortiori de sa famille. C’est ainsi que le regroupement familial a été remis en cause.

Ainsi, la France - (au lieu d’ouvrir de nouvelles perspectives de coopération internationale dans lesquelles le respect des droits et des libertés fondamentales serait le préalable à toute législation concernant les flux migratoires) - continue, comme dans les années 60 d’avoir une politique d’immigration reposant avant tout sur les besoins de son économie.

Cette vision reproduit les mécanismes de la domination de l’exploitation et de la mise en concurrence des travailleurs nationaux et immigrés.

Cette vision, loin de favoriser le développement des hommes, revient en réalité à piller les pays du Sud d’une part de leur population la plus active, la plus dynamique. Selon le rapport 2002 de la Banque Mondiale, l’Afrique a perdu le tiers de ses cadres et professions libérales au cours de ces 2 dernières décennies.
La France en procédant ainsi, loin d’assumer son devoir de réparation vis-à-vis des pays qu’elle a colonisé, réduit quasiment à néant les possibilités de développement sur place de ces pays.

Quant à l’Europe, comme cela l’a été rappelé hier, elle a beau, depuis des années, se parer de murs de plus en plus hauts, prôner l’immigration « zéro » et la fermeture des frontières avec l’instauration de l’espace Schengen, prendre des mesures dissuasives et répressives pour se protéger des mouvements migratoires indésirables, l’immigration continue.
Ce qui met en exergue à la fois l’inefficacité de cette politique (au regard de l’ampleur du phénomène qu’elle est censée contenir) et sa dangerosité sur le plan des droits de l’homme.

En effet, loin d’endiguer ces déplacements, cette politique les a rendus plus difficiles, plus coûteux, plus dangereux, allant jusqu’à mettre à mal le respect de certains droits fondamentaux, tels que le droit d’asile et la libre circulation des personnes.

Sans compter évidemment la vie même de ces femmes, de ces enfants, de ces hommes - ces exilés en quête de travail et de sécurité au sein de l’Europe - que cette politique met en danger.
Compte tenu de ces obstacles qui rendent le voyage toujours plus difficile les candidats à l’immigration se trouvent alors à la merci des trafiquants de tous poils - du passeur à l’employeur sans scrupule de travailleurs clandestins taillables et corvéables à merci - trafiquant dont l’activité se nourrit évidemment de ces politiques de fermeture des frontières.

Or, d’autres choix sont possibles et nécessaires.
Il n’y aucune fatalité en l’espèce.

Oui, les flux migratoires sont nécessaires pour les coopérations, la formation, la recherche, les échanges. Ils participent au dynamisme du développement et du rayonnement de chacun des pays concernés. Ils participent à l’avancée de l’humanité.

Par exemple pour permettre notamment aux pays d’émigration d’avoir les moyens de se développer et de conserver dans leur région d’origine les populations qui n’ont pour la plupart pas choisi d’émigrer.

Ce n’est pas ici, dans cette vallée du fleuve Sénégal, qu’il faut rappeler que les immigrés venant de régions pauvres transfèrent vers leurs familles restées au pays des sommes supérieures à l’aide au développement attribuée par les Etats comme la France ! Nous sommes encore loin de l’objectif des 0,7% du PIB destiné à l’Aide au développement, objectif toujours annoncé et jamais atteint. (le taux actuel est de 0,3% et la barre de 0.4% devrait être franchie en 2004).
Pour cette année 2003, 250 millions d’euros ont été bloqués par la France dans l’Aide au développement. Pour un pays comme le Sénégal, la subvention a été divisée par 2. (6 mois de budget seulement ont été assuré par l’Ambassade).

Et pour 2004, nous pouvons avoir des doutes quant au terme des engagements de la France.

Chers amis, on est loin, très loin du discours tenu lundi dernier à Dakar par le Ministre français de l’Intérieur, Nicolas SARKOZY.

Je le cite :
« Un des objectifs de la coopération entre la France et le Sénégal va se porter sur les moyens d’empêcher l’émigration en amont. De fait, il faut favoriser les projets de développement dans un pays où de nombreux jeunes ont les pieds au Sénégal mais la tête en Europe. »
Fin de citation.
Chers Amis, n’attendons pas que la réponse vienne d’en haut (des Etats et des Gouvernements). A l’image de votre forum, il convient que les peuples prennent à bras le corps un tel enjeu.

En France, il est de notre responsabilité (celle des associations comme la Cimade, celle des parlementaires et politiques) de faire prendre conscience aux françaises et aux français que le développement d’un pays comme le vôtre, le Sénégal, doit être pour la France une priorité dans la politique du Gouvernement.

Robert Bret

Ancien sénateur des Bouches-du-Rhône
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