Le groupe CRC a déposé une proposition de loi, cosignée par l’ensemble des sénateurs de gauche, visant à abroger le nouveau mandat de conseiller territorial. Pourquoi l’adoption de ce texte pourrait représenter une première étape vers l’annulation complète de la loi du 16 décembre 2010 ?
Christian Favier : Chacun en a conscience, la création des conseillers territoriaux, qui viendrait en 2014 remplacer à la fois les conseillers généraux et les conseillers régionaux, constitue l’une des pierres angulaires de cette mauvaise réforme. Aussi obtenir son abrogation n’est pas un simple aménagement de la loi, mais bien un premier démantèlement qui en appellera d’autres.
Rappelons-nous, l’instauration de ce nouveau mandat représente un triple non sens.
Non sens, d’abord, d’un point de vue démocratique car c’est éloigner les élus locaux des citoyens et des territoires. Songez par exemple qu’un seul élu siègerait à la fois dans une dizaine de conseil d’administration de collèges et de lycées. C’est purement intenable !
Non sens également d’un point de vue institutionnel. Confondre les mandats, c’est bien dans l’esprit des initiateurs de la réforme, je pense notamment à Edouard Balladur, qui parlait d’évaporation des collectivités locales, pour aller en particulier vers la disparition du département.
Or avec le groupe CRC nous sommes très attachés au maintien de trois niveaux de collectivités, la commune, le département et la région, à l’image de ce qui existe dans la plupart des pays européens. Ces trois niveaux d’exercice des responsabilités locales permettent d’assurer les fonctions de proximité, de solidarité et de stratégie indispensable à la démocratie locale et au développement territorial.
Non sens politique enfin. Car aujourd’hui franchement, cette question est loin d’être prioritaire pour nos concitoyens. Je le vois comme Président du Conseil général du Val-de-Marne, ce dont nous parlent les habitants c’est d’emploi, de pouvoir d’achat, de logement, d’éducation, de transports, mais pas de niveau de collectivité ou de fusion des mandats. Ce qu’ils attendent de leurs élus, c’est de l’écoute, de la disponibilité, du soutien, et surtout de l’audace pour trouver des solutions à leurs difficultés.
Pensez-vous que les Etats généraux des collectivités locales qui se préparent au Sénat, pourront porter la revendication de l’abrogation de la réforme territoriale ?
Christian Favier : J’en suis pour ma part tout à fait convaincu. A gauche, mais aussi au delà, nous n’avons eu de cesse de dénoncer cette réforme. C’est une réforme particulièrement dangereuse pour la démocratie locale et pour la décentralisation. Notre avis n’a pas changé. Or si une loi est mauvaise, et bien, il faut l’abroger ! C’est le meilleur sort que nous pouvons réserver à la réforme des collectivités.
Les états généraux des collectivités locales organisée à l’initiative du nouveau Président du Sénat, Jean-Pierre Bel seront donc l’occasion de rappeler nos critiques de fond de cette réforme mais aussi de poser des jalons d’une véritable nouvelle étape de la décentralisation.
C’est pourquoi nous comptons non seulement nous investir pleinement dans ces Etats généraux mais également proposer qu’ils puissent faire l’objet d’un large débat populaire, avec les élus locaux bien sûr mais aussi avec les organisations syndicales, les associations, tous les intervenants de nos territoires, et pour que nos concitoyens puissent eux aussi dire ce qu’ils attentent de leurs collectivités locales.
Quel bilan faites-vous de la décentralisation, telle qu’elle se construit depuis 1982 en France ?
Christian Favier : Indéniablement, la décentralisation constitue un mouvement de fond particulièrement positif.
En rapprochant les citoyens des assemblées chargés de prendre d’importantes décisions pour leur vie quotidienne, la décentralisation qui aura trente ans en février prochain, a permis de grande avancées dans de très nombreux sujets.
Pour prendre un exemple que je connais bien, celui des collèges, le fait que le Département en assure la gestion a permis d’améliorer de façon considérable les conditions matérielle d’accueil, de travail et d’enseignement. Là où l’Etat n’investissait plus, les collectivités locales ont beaucoup travaillé, et cela se voit. D’ailleurs, aujourd’hui, les trois quart de l’investissement public sont assurés au niveau local. C’est bien le signe d’un mouvement de fond. A cela nos concitoyens sont aujourd’hui très attachés.
Il reste un bémol et deux risques graves qu’il nous faut déjouer. Le bémol ce sont les moyens. Jamais les collectivités locales n’ont disposés des moyens leur permettant d’assumer leurs missions dans de bonnes conditions. C’est pourquoi nous proposons une refonte complète du financement des collectivités locales qui soit juste, ambitieuse et pérenne. Le premier risque, c’est de ne considérer les collectivités locales que comme des relais du pouvoir central.
C’était déjà l’esprit de la loi d’août 2004 de Jean-Pierre Raffarin et c’est ce vers quoi penche encore plus la réforme des collectivités, c’est un risque démocratique et politique très grave. Le deuxième risque serait un désengagement renforcé de l’Etat, au profit de baronnies locales, ce qui renforcerait la mise en concurrence des territoires et les inégalités.
Quelle sont, pour vous, les réformes prioritaires à entreprendre pour faire évoluer la décentralisation française ?
Christian Favier : Nous proposons six principes qui pour les élus communistes, constituent le socle sur lequel nous pouvons renforcer les droits et libertés des collectivités locales :
Maintenir les trois niveaux de collectivités, je l’ai évoqué il y a quelques instants.
Refondre leur financement en prenant en compte la réalité sociale des populations pour permettre à chaque collectivité d’exercer ses misions et de mener à bien ses projets et d’assumer, via la possibilité de lever l’impôt, la responsabilité de ses décisions vis à vis des citoyens.
Maintenir l’intervention de l’Etat pour garantir l’égalité des citoyens sur l’ensemble du territoire national.
Garantir pour toutes les collectivités locales la clause de compétence générale. C’est ce qui permet aux communes, aux départements et aux régions de se saisir de toute question d’intérêt local et donc de répondre aux attentes de leurs populations et aux besoins de leurs territoires.
Réaffirmer le principe constitutionnel de libre administration des collectivités. C’est un principe démocratique essentiel.
Enfin favoriser toutes les formes de coopérations entre les collectivités. En privilégiant la liberté d’association des collectivités et en rejetant toute tutelle, y compris d’une collectivité sur une autre, ou tout autoritarisme de l’Etat.